Abattue par la fatigue, la Tatouée rouvrit difficilement les yeux pour faire face au visage satisfait du Déshumanisé. D’un coup d’œil sur le côté, elle s’avisa de la main cadavérique qui retomba mollement et qui, tel un objet défectueux dont l’on se débarrasse, disparu de leur vision en allant s’échouer sur le sol. De l’autre elle constata de la réussite de leur mission, leur ultime tentative de sauvetage était un succès et le corps de l’Uzumaki était maintenant aux mains de sa consœur du clan du tourbillon.

Tandis que son corps se détendait face à cette réalité sur laquelle elle n’aurait pu parier quelques minutes plus tôt, son cerveau lui rappela en un flash surnaturel le sourire pervers du cadavre humain. Il venait de tout perdre et pourtant… il souriait comme s’il venait d’atteindre le nirvâna.

Puis, la terre trembla.

Puis, le ciel trembla.

Et ses yeux incrédules aux paupières alourdies par la fatigue furent les témoins de la réalisation de la sinistre promesse de leur adversaire. Dans ses pupilles se reflétèrent les filaments rougeoyant que laissaient en une traînée céleste les immenses gravats descendaient des cieux pour rendre une justice aveugle et meurtrière.

Son corps était tétanisé, son visage blafard, elle n’avait même plus la force de lever les bras et exécuter quelconque mûdra. Et même si elle était au sommet de sa forme, qu’est-ce que cela changerait ? Face à une puissance aussi implacable que celle ci, elle ne possédait aucune arme. Une simple réflexion du cadavre vivant c’était transformé en un fait: tout le monde allait mourrir et la petite unité perchée sur l’oiseau d’encre de Shinjiro ne pouvait qu’observer péniblement le massacre se produisant sous leurs pieds.

Elle s’allongea brutalement sur le large volatile du guerrier au pinceau et posa ses mains sur ses yeux afin de les protéger du soleil qui brillait de manière imperturbable dans le ciel. Ou peut être était-ce pour cacher ses larmes. Elle tourna la tête en direction du Jinchûriki qui était l’épicentre des récents évènements.

« J’espère que tu en vaux la peine… » Murmura-t-elle dans sa direction.

Spoiler:

Désormais, c'était au tour du ciel de saigner. Dans un ultime legs, Wasuka offrait en avance le crépuscule à ses administrés d'antan. Une pluie de feu embrasait les cieux de Homura, qui portait tristement bien son nom en ce jour. Amputé de sa tête, estropié à sa base, l'hospice de la capitale impériale était à la fois la victime et son propre agresseur. Et vous, perchés sur votre oiseau tout droit sorti d'une estampe, vous seriez aux premiers loges pour contempler son suicide.

Un parfum de cendre et d'ozone embaumait les ruines encore fumantes et leurs habitants. De derniers fuyards s'échappaient des alentours de l'hôpital. D'autres, livrés à leur sort, se figèrent sur place, contemplant le spectacle surnaturel qui se jouait au-dessus de leurs têtes. Ils étaient condamnés, sidérés par l'expérience sans cesse renouvelée de l'extraordinaire dompté par l'Homme au prix du chakra. Nul ne s'opposerait à la course céleste de ces bolides décrochés de cette même terre, et qui retournaient à toute allure. Çà et là, chacun luttait ailleurs déjà pour sa propre survie. Il ne restait que la prière pour certains, le renoncement pour d'autres, tous bercés dans la chaleur de la volonté du feu qui s'approchait d'eux pour les enlacer.

Au loin, Wasuka gisait au sol dans un état quasi-larvaire. Il était minable, tant il inspirait le dégoût. Il baignait dans un mélange de suc d'insecte et son propre sang, séché par endroits, carbonisé en d'autres. Sa chair autrefois cireuse était marqué au fer rouge d'Uzumaki Seto, tant et si bien que seul un œil avisé saurait distinguer les ecchymoses de ces sortes de suçons de la Brume Sanglante. Ses perceptions étaient faibles, à la limite de la léthargie. Sa compréhension surnaturelle des chiffres qui régissaient la matière se réduisit à un bruit de fond parasite.

Puis soudain, un immense frisson traversa l'entièreté de sa pauvre carcasse.
Il ne faisait qu'un avec le sol, animé d'un second souffle qui exalta sa conscience, loin de la misère de sa chair.

Avec lui, c'était tout Homura qui sursautait dans le sillage de cet impact. À peine rétabli du départ de l'Alliance, que son serviteur manifestait une ultime déclaration de guerre avant de s'exiler. Une violente déflagration suivit le grondement de la terre, et les malheureux qui ne furent pas emportés par la chute de ces corps terrestres rejoignirent les premiers. Une pluie de débris incandescents arrosa une dernière fois les environs, avant qu'un calme assourdissant envahisse le centre de la capitale du bakufu de Homura. Nombreux furent les rescapés de cette apocalypse, grâce à vos efforts. Mais nombreux furent aussi ceux qui en périrent, ou en souffrirent à des degrés variables. De ce refuge des âmes et corps blessés, n'en subsista que le substrat maléfique du symbole de votre faction : un menaçant brasier contenu dans un cratère. Son souffle chaud remontait jusqu'à vous, perchés sur votre oiseau d'encre, comme la promesse que la volonté du feu, si chère aux habitants de Homura, était la garantie de la victoire, mais qu'elle se méritait à un terrible prix. Telle était la triste récompense qui vous revenait pour avoir sauvé la vie de l'hôte du démon-renard.


Telle était la compensation de Wasuka pour avoir échoué si près du but en dérobant le réceptacle de Kyūbi. Grâce au mécanisme qui parcourait son échine, il fut sauvé in-extremis du trépas afin d'être convoqué auprès des siens afin qu'ils puissent s'enfuir ensemble. Les combattants de l'Alliance auraient pu alors constater l'évolution fulgurante de l'un des leurs sur le champ de bataille qu'il avait fui depuis tout ce temps. Ils auraient pu apprécier le potentiel terrifiant de celui qui convertissait les talents et la ténacité de ses adversaires en une équation à plusieurs inconnues dont l'unique solution était le progrès. Néanmoins, force était de constater que dans ce lieu initialement prévu pour d'éprouvantes retrouvailles, Wasuka fut bien seul.

Un râle roque s'échappa involontairement des entrailles de sa gorge, mais l'érudit s'en accommoda très bien pour moduler sa surprise, bientôt son exaspération. Il lui fallut peu de temps pour comprendre que les "siens" l'avaient livré à son propre sort. Les émotions qui affluèrent dans les pensées du savant auraient pu l'inciter à éprouver de la rancune envers ces derniers. Mais une froide rationalité soupesa les bienfaits de cette alliance qui l'avait sorti de cette précarité intellectuelle, permis de développer son potentiel et ainsi de saisir davantage la trame arithmétique qui façonnait cette réalité. Wasuka demeurait intimement rattaché à ce pacte avec le diable, qui devait continuer de l'élever vers des plans de compréhension qui dépassaient toujours plus la perception humaine. Et ce, en dépit de son piteux état et de l'abandon manifeste des siens.

Wasuka devait, à son tour, partir loin. Partir, et les retrouver pour poursuivre la lutte, féconde en vecteurs et formules. Il était pour l'heure hors de danger ; mais bientôt, les sentinelles impériales iraient à sa poursuite pour achever ce tas de chair qui tenait en vie à peu de choses près. Mais quelque chose se passait en lui, qu'il ressentait enfin. Un grain de sable grippant le mécanisme. Loin des tumultes de son ultime assaut, l'ordinateur humain réalisa que ses calculs étaient incorrects. Il ne devait pas être là où il avait prévu d'atterrir. L'écart était minime, pour quiconque souhaitait échapper à son ennemi et se situait dorénavant hors d'atteinte, mais pour le fin calculateur qu'était Wasuka, cette marge était intolérable. Et si ses méninges ne purent en cet instant trouver la ressource suffisante pour évaluer avec une exactitude monstrueuse la situation, sa chair, elle, envoyait d'étranges signaux à son propriétaire.

« La position… sur l'axe Suzaku… inexacte. »

Une quinte de toux sanglante interrompit le voyageur dimensionnel dans ses réflexions.

« L'harmonisateur de ki… endommagé… la translation… dans le Voile… »

Un mal inconnu ressurgissait du plus profond de son être, et se diffusait à présent dans son schéma neural. Une douleur inédite s'empara de lui. Wasuka eut beau engager les protocoles mentaux d'effacement du stimuli, cette étrange mutation lui arracha un nouveau râle de douleur.

« La translation… dans le Voile… AAAARRRG… »

Par son impuissance, une adversaire avait ciblé le dispositif qui siégeait dans son rachis et l'aidait à maîtriser le Voile. Son escapade providentielle fut dès lors incorrecte. Sa chair fut frappée par la marque du Voile, altérant ses tissus sur le plan matériel. Lui-même ignorait les conséquences de cette déviation indésirable. Au fond de lui, quelque chose n'était plus vraiment humain. Son essence était altérée par l'expérience dangereuse des dimensions. Toujours était-il que pour survivre, il devrait réitérer cette aventure, quitte à nouveau à accepter une marge d'erreur. Pour la première fois, Wasuka fulmina en son for intérieur. Non pas pour son propre état. Ni l'échec de sa mission vertueuse au nom de l'Alliance. Mais bien pour cette maigre marge d'erreur dépassée au sein du Voile. C'était intolérable à ses yeux. Et reproduire cette erreur coûtait beaucoup à celui qui appliquait une savante rationalité à l'ensemble de sa pensée. Cette souffrance serait l'incarnation cathartique de cette aberration mathématique. Et, tandis qu'il sombrait à nouveau dans l'inconnu du Voile, il consolida cette sensation en la liant au souvenir pugnace du sabreur Shinjirō, de la peintre Hanabi, de la combattante Seto et du guerrier Matamune. Elle deviendrait le moteur de sa vengeance et de son évolution sans limites. Une nouvelle constante, dans cette équation du Mal au nom de Wasuka.