Eté 83, Pays du Feu - Homura, ruelle Yumemon : commerce de l’herboriste

Je n’étais ni perdu ni indécis. J’étais exactement là où je devais être. En d’autres termes, je me trouvais là où j’avais décidé d’être : devant la boutique de l’herboriste, au 49 ruelle Yumemon. Assis sur un tonneau, un chapeau de paille sur la tête, une chope de café à la main, j’observais tranquillement les allers et venus des clients de la boutique. Grâce à la disposition des caisses et autres objets de part et d’autre de mon perchoir, ma présence passait inaperçue ou, pour les plus observateurs, presque banale dans ce décor.

La journée avait été particulièrement chaude et chargée en humidité. De ce fait, j’avais limité au maximum mes déplacements. Voilà deux bonnes heures que je n’avais pas entrepris un quelconque mouvement autre que celui de boire du café et de fumer.  Ma pipe en bouche, je réfléchissais à la meilleure façon d’aborder le commerçant. S’il était aussi fiable que la devanture de sa boutique et les plantes que j’avais pu entrapercevoir dans les paniers de ses clients, le bougre devait avoir de sacrées connaissances. De ce fait, il allait faire rapidement le lien entre les herbes que j’allais lui demander.

« Bwa bwabwabwaaa bwabwa bwaaaa ! »

Assis à même le sol, face au mur, entre plusieurs caisses, le lapin crétin s’ennuyait à mourir. Bien qu’il ne fut qu’une marionnette, Bwabwa était comme une extension de ma personne. Il gesticulait avant même que l’information n’arrive à mon esprit et que ce dernier ordonne à mes doigts de s’agiter pour le faire bouger. Il n’avait pas tort. Le temps commençait à me paraître long. Les lanternes du quartier marchand s’allumèrent les unes après les autres. Tranquillement. Alors que le crépuscule dansait déjà à l’horizon. La nuit serait bientôt là. Et avec elle viendraient la fermeture des commerces.

« Et bien, ne te faisons guère languir plus longtemps… »

Le pantin sauta sur ses pieds, attrapa son éternel tapette à mouche et fut le premier à être prêt pour notre expédition. Alors que Moka, le roi des ours, s’ébrouait lentement pour réveiller ses articulations de bois, je finis d’une traite ma chope. Je rangeais mes affaires dans mon sac à dos, sous les ovations du lapin. Je sautais de mon tonneau et me dirigeais à grands pas de nain vers la boutique. Du haut de mon mètre trente-cinq, j’abaissais la poignée de la porte et poussais cette dernière pour créer une ouverture par laquelle Bwabwa se faufila sans mal.

J’ouvris le battant en grand et vins glisser sous celui-ci un morceau de bois pour éviter qu’il ne se referme sur ma seconde marionnette. Je n’étais pas des plus sereins. Étant réputé pour voir des complots partout, ce lieu n’était pas exclu de mes théories aussi loufoques qu’aberrantes. De ce fait, je préférais que Moka ait les deux mains libres, dans le cas où un malheureux incident devait survenir. Les tintements harmonieux d’une petite clochette résonnaient dans les airs, annonçant en grandes pompes notre arrivée.

« BWAAAABWA ! »

Tout en criant, le lapin indiqua une direction. Un livre, que mon œil avait entraperçu dans son angle, volait à travers la pièce. Une fois de plus, le corps avait réagi plus vite que l’esprit, comme s’il savait d’avance ce que nous redoutions tant. Nous étions petits et notre taille pouvait être fort handicapante face à des adversaires mieux… fournis physiquement par Mère Nature. Le bouquin vint promptement frapper un palmier en pleine croissance. Positionné dans le coin de la boutique, celui-ci tanga un instant, avant de s’effondrer, entraînant dans sa chute l’une des plantes suspendues.

« Attention ! »

Sans me départir de mon calme, le lapin s’élança en direction du livre, trop intrigué par ce dernier pour rester avec nous. Moka entra, de son pas lourd d’ours. Bien qu’il ne fasse qu’un mètre cinquante, il était suffisamment imposant avec son armure dissimulée sous d’amples vêtements, ses bras protégés de boucliers et ses haches à sa ceinture pour nous éviter les plus simples désagréments. Grâce à lui, plus d’un être mal intentionné avait renoncé à venir nous trouver pour chercher querelle. Il tendit ses mains devant lui, jusqu’à ce qu’elles soient au même niveau que ses épaules puis, avec une précision chirurgicale, vint cueillir délicatement le pot et son contenu en plein vol, juste avant qu’il ne s’écrase sur ma tête.

« Mes salutations sur vous, maître herboriste. »

L’ours posa les plantes sur le sol et de sa démarche lourde se dirigea vers le palmier. Je m’assis en tailleur à même le sol, face à la victime collatérale du livre volant. Bwabwa revint avec le recueil, le placer sans aucune délicatesse sur le plancher et s’assit nonchalamment dessus. Tandis que Moka s’affairait à redresser le palmier, je me présentais, d’une voix distraite, mon esprit tout tourné vers l’incident qui venait de se produire.

« Kaïto… Kawasaki Kaïto… »

Un grand sourire vint illuminer mon visage et mon regard s’embrasa, laissant alors un foyer briller de mille feux au fond de mes pupilles. Le propriétaire des lieux eut alors toute mon attention.

« Maître herboriste, j’ne crois guère me tromper en affirmant que votre… »

Je jetais un coup d’oeil en direction de l’ouvrage qui se trouvait sous le postérieur du lapin.

« … votre grimoire possède une âme. Pour d’obscures raisons, ses capacités lui ont permis de fomenter un plan contre votre boutique. C’la s’rait vraiment très mauvais pour vos affaires qu’un nouveau client se prenne une plante, aussi décente soit-elle, sur la tête. »

L’espoir d’avoir trouvé un lieu enchanté comme dans les histoires que me racontaient le vieux avait allumé en mon fort intérieur un de ces brasiers. Puissant. Chaleureux. Enthousiaste.

« Vous êtes le mieux placé pour savoir à quel point une mauvaise presse peut être dévastateur pour un commerce comme le vôtre. Surtout que sa jeunesse ne joue pas en sa faveur. »

Je n’avais pas honte d’avouer avoir fait quelques recherches sur le commerce avant d’y mettre les pieds. Les quelques habitués que j’avais eu l’audace de rencontrer m’en avaient peint un tableau idyllique pour le marionnettiste que j’étais.

« N’vous en faites pas, maître herboriste. J’suis un fin limier lorsqu’il s’agit d’mener à bien une enquête. Résoudre un mystère, il n’y a qu’ça d’vrai pour se sentir en pleine forme. Alors ! Dites m’en plus sur cet ouvrage. Où l’avez-vous acquis ? Est-ce la première fois qu’il porte ainsi atteinte à la notoriété de votre affaire et à votre honneur ? »

J’étais on ne peut plus sérieux quant à ma proposition. Je comptais bien résoudre cette énigme.  

« Accepteriez-vous que j’interroge le palmier et la plante ici présents pour avoir de plus amples informations sur l’affaire qui nous concerne ? »

Ces derniers étant les locataires du jeune homme se trouvant en face de moi, il aurait été indécent de ne pas lui demander une quelconque permission. Pire encore. Un lien plus familial pourrait être en cause dans cette affaire. Peut-être avait-il lui-même planté les graines et fait croître les spécimens que je souhaitais questionner.

« Qu’est-ce donc, comme plante ? Je n’aimerais guère lui manquer d’respect lorsque je l’interrogerais. Certaines fleurs sont plus susceptibles que d’autres. Vous l’saviez ? »

Dans mon regard et mon comportement, il ne vit aucune moquerie, mais bien un nain persuadé de trouver un monde fantastique dans cette boutique… À moins que cela soit simplement un homme qui aimait son travail et certainement un peu trop les histoires de son père ? Certainement un amalgame de tout cela. Sans les taquineries que pourraient suggérer cette discussion.

« Ah… Oui… Pardonnez-moé. Vous êtes maître herboriste, après tout. Quelle question… »

Je n’osais imaginer ma déception lorsque j’apprendrais qu’il n’y avait aucun mystère à résoudre. Seulement un malheureux concours de circonstance provoqué par le manche d’un balai. L’intérêt pour cette boutique serait alors bien moindre… sauf si j’arrivais à me procurer les plantes nécessaires pour les poisons introduits dans les pièges de mes marionnettes.

Marionnettes utilisées: