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En dernier lieu, Washirō se rappelait être suspendu au-dessus du vide. Sa vie ne tenait que grâce à l'entrecroisement des branches qui entouraient le crâne flottant du Yōkai aux Milles Sangsues. Ses forces l'abandonnaient, ses oreilles sifflaient terriblement, et son corps souffrait de l'acide qui rongeait son enveloppe. Il s'apprêtait à lâcher prise, pour choir de plusieurs mètres de haut et rejoindre dans la fosse les ultimes Corrompus.

Quand soudain… un silence immense s'empara de lui.



Lorsqu'Asakura Washirō rouvrit les yeux, le monde autour de lui avait changé. Les arbres avaient disparu. Le sol et ses multiples failles s'était évanoui sous ses pieds. Toute trace de vie semblait absente dorénavant. Le colosse s'acclimata doucement à la faible luminosité des lieux. En réalisant où il avait atterri, il commença à s'affoler et manqua de se noyer. Des bulles d'air de panique remontaient au-dessus de lui, avant qu'il s'arrête de songer à respirer. Il était dans un océan infini qui n'avait aucune prise avec la réalité. Encore moins ses lois.

Une faible lumière crépusculaire teintait cette étendue liquide. Il n'y avait pas de surface à proprement parler. Washirō était peu à peu happé vers le fond d'une obscurité abyssale.

Il n'y avait pas besoin de respirer.
En revanche, Washirō était transi de froid à mesure qu'il amorçait sa descente. Une sensation intense, qui s'infiltrait au cœur de son être. Aucune protection ne saurait l'en abriter.

Des formes s'approchèrent de lui.

De toutes parts. Des volutes de fumée d'ébène au loin. A mesure qu'il s'enfonçait dans l'abîme, Washirō découvrit que ces ténèbres n'étaient pas constitutives d'un néant. Mais bien l'accumulation d'un tout.

Un temps s'écoula. La fumée prit forme. Des traits humanoïdes. Des visages. Des voix. Certaines étaient familières. D'autres, érodées par le temps, n'avaient plus grand chose d'humain. Toutes peu à peu tourmentaient Washirō, comme des langues de lave rappant la surface de son être, avant de s'insinuer dans chaque parcelle de sa peau pour le dévorer tout entier.

C'étaient des tueurs. Des assassins. Des brutes. Des barbares. Des pyromanes. Des empoisonneurs. Des tortionnaires. Des monstres. Des fous. Des menteurs. Des trompeurs. Des corrompus. Des vendus. Des espions. Des traîtres. Des déserteurs. Des pirates. Des bandits. Des voleurs. Des marginaux. Des lâches. Des misérables. Des mendiants. Des ermites. Des pèlerins. Des voyageurs. Des pêcheurs. Des bucherons. Des cueilleurs. Des promeneurs. Des marchands. Des vendeurs. Des passants. Des roturiers. Des ouvriers. Des hommes. Des femmes. Des vieillards. Des enfants. Des nourrissons. Des humains.

Des générations de damnés, issues d'autant de générations de porteurs de Misasagi s'étaient agglomérés en ce lieu inconnu. Dans cet océan de vide, Washirō se tordait de douleur. Il avait beau hurler, pas un son ne sortait. Personne ne l'entendait. Personne ne l'entendrait, sinon cette assemblée fantomatique. Eux avaient connu une éternité de souffrance. A son tour de connaître un fragment de leur sort. Sa conscience était fébrile. Elle était à la dérive. Le train de ses pensées se noyait dans cette masse éthérée, si bien que sa seule attention fut dirigée vers ces formes dégradées par des éons d'enfermement, et la torture qu'elles lui firent subir.

Telle fut sa punition pour avoir échoué dans sa tâche de terrasser la Bête aux Mille Sangsues. A la merci des prisonniers de son arme maudite, il subissait de plein fouet l'influence néfaste de ces âmes en quête de liberté, de vengeance, de sens, de terreur et parfois de rien. Ses pensées se noyaient maintenant dans celles de ces âmes en peine, de leurs ambitions, leurs sombres desseins. Soudain, l'infinité de ces voix convergea dans un chœur assourdissant, allant du soprano strident jusqu'à la basse des plus caverneuses.