Dim 29 Oct - 0:01
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▶ Sujet: [An 65] Le naufrage de l'innocence - ft. Uzumaki Ran LE NAUFRAGE DE L'INNOCENCE Un paysage intemporel s'étirait sur des lieues, à la frontière entre terre et mer. Là, se trouvait une silhouette qui côtoyait le grondement des vagues. Un petit bonhomme, qui répétait inlassablement les mêmes gestes, sabre en main. Parfois, il semblait disparaître, pris entre le ressac et les embruns. Pourtant, il se tenait toujours debout, mû par une volonté qui le dépassait. Car après tout, Washirō avait hérité de la volonté de ses ancêtres sur plusieurs générations.
En ces temps-là, il n'était guère qu'un adolescent. Et déjà, il avait la stature d'un homme. Il le fallait, après tout. Ici, dans les provinces du nord de Mizu, on lui avait fait confiance pour représenter le clan. Alors, en cette journée de repos, le rejeton des Asakura avait décidé de trouver refuge dans cet endroit, un peu trouvé par hasard. Une plage singulière. Elle semblait dégager une sorte de magnétisme, qui avait attiré le pubère en ces lieux. Au sol, une bande de sable d'un noir profond. Un héritage volcanique que des siècles d'érosion sublimèrent pour offrir aux Hommes cette curiosité de la nature. Il n'en tenait qu'à eux, en cette période, de s'abstenir d'occulter cette teinte d'ébène d'une couche d'hémoglobine. Par delà le rivage, l'océan se déchaînait. Le concours du courant et des vagues brassait écume et brouillard, éclaircissant les eaux et le ciel d'un manteau laiteux.
Pourtant, ce n'était pas ce monochrome harmonieux qui avait capté l'attention d'Asakura Washirō. L'épéiste en devenir était venu chercher le calme, et pas n'importe lequel. Dans cette chaotique symphonie de remous, il était venu étouffer ses propres pensées pour trouver la quiétude. Unique moyen pour lui de trouver la concentration nécessaire à l'exécution des katas du Kubikiri Itto-ryū, le kenjutsu de sa famille. Son épée lui paraissait lourde. Ses mains moites manquaient de peu de laisser s'échapper l'arme à chaque mouvement. Chaque enchainement le laissait en proie au doute. Avait-il bien fait comme on lui avait appris ? En réalité, était-il régulier dans la répétition ?
Un rouleau s'écrasa non loin de là au même moment. Les pensées de l'aspirant sabreur furent évacuées avec la marée. Il reprit aussitôt, en se fixant sur un unique geste, celui qui conditionnerait sa vie pour les années à venir. Mais après quelques répétitions, l'œil aux reflets safranés de l'adolescent fut attiré par ce même endroit où la vague s'était échouée. Après quelques longues secondes à essayer de réprimer cette persistance parasite, le sabreur décida finalement de s'interrompre. Washirō eut la bonne intuition en s'opposant à ses principes : quelque chose clochait, quelques mètres plus loin. Ce quelque chose n'avait rien à faire ici, entre le sable volcanique et la mer déchaînée. En s'approchant un peu plus, ce quelque chose avait tout l'air d'être une personne.
Washirō se précipita aussitôt. Il fallait faire vite. Quelques débris entouraient le corps. L'apprenti Asakura rangea son arme, s'agenouilla et extirpa le corps de l'eau. Le pire était à craindre. Heureusement, Washirō était catégorique : bien que d'apparence inerte, cette personne était encore en vie. Il savait de quoi il parlait. Dans la panique, il essaya de relever l'enfant qu'il tenait dans ses bras, de l'aider à expulser de ses poumons de l'eau de mer, avant de finalement chercher à lui faire reprendre conscience.
« Hé ! Hé, tu m'entends ? Réveille-toi ! Si tu es en vie, ouvre les yeux, réveille-toi ! » |
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Dim 29 Oct - 13:20
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▶ Sujet: Re: [An 65] Le naufrage de l'innocence - ft. Uzumaki Ran [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] AN 65, QUELQUE PART SUR LES CÔTES DU PAYS DE L'EAU« Ce qui est irrémédiablement écrit, Il serait bien vain d'essayer de le changer, Pire encore, de tenter de l'ignorer ou de le troquer, Pour perdre contre la grandeur du destin et de toute sa folie. » Observateur silencieux —La colère. Elle grondait, sur les côtes qui délimitaient le Pays des Tempêtes et ses frontières. Elle hurlait, sur les flots qui protégeaient le reste du monde de ses mystères. Mais surtout, elle dévastait sans foi ni loi les chairs et les pensées d'Uzumaki Ran, comme un incendie dévorerait sans distinction les animaux et les arbres d'une même forêt. Une enfant, qu'elle souhaitait à tout prix inonder, pour mieux la désoler. Une âme d'à peine six ans, qu'elle convoitait à un tel point qu'il lui était impossible de ne pas la briser, pour mieux la ravager. Un esprit pur et innocent, qu'il lui fallait absolument piller, pour mieux lui voler ses souvenirs jusqu'au dernier. Pour mieux les lui arracher sans remords ni pitié et la laisser vivre, mais déchirée. Mais rongée, jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus jamais se rappeler ne serait-ce que le fait qu'elle avait pu un jour oublier. Jusqu'à ce qu'elle soit dépouillée de ses espoirs, ses envies, ses habitudes, ses goûts, ses joies, ses rêves, ses pires défauts et même ses plus belles qualités, tous ces éléments qui auraient pu l'aider à peindre le tableau de sa personnalité. Ce courroux, il s'en prenait à elle avec autant de rogne et de force qu'il ne remuait déjà les eaux du territoire le plus craint d'entre tous en mer. Et tout ce que ce petit corps renfermait, il essayait de l'infester et de le ruiner, pour la saboter et la destiner à un avenir fade auquel d'autres avaient décidé de la condamner. Et, si un jour elle le voulait, contre lequel elle ne pourrait certainement pas se rebeller. Cette fureur, elle se démenait pour l'étouffer et l'écraser, sans aller jusqu'à l'éliminer. Sans aller jusqu'à la faire couler, comme si les vagues qu'elle affrontait, les plus terrifiantes du monde entier, avaient trop de pitié pour ne pas aller la rejeter. Pour ne pas aller la faire s'échouer, loin de tout ce dont elle avait connu et ne pouvait même plus se rappeler. La peur. C'était tout ce que le sentiment précédent avait eu la bonté de laisser à cette orpheline, brûlée par le feu de la haine. C'était tout ce qu'il lui restait, avec le seul mérite d'avoir été préservée de ses peines. Et à mesure que le premier voyage de son existence s'éternisait, il y avait en elle cette épouvante qui germait, grossissait et se faufilait entre ses côtes. Qui grandissait à vue d'œil, comme le ferait une tumeur agressive et assiégeante. Qui s'intensifiait en un clin d'œil, pour être là avant que ne se lève l'aube de cette destinée à laquelle elle était contrainte d'assister, sur son siège d'ignorante. Et pour lui tenir au corps avec persistance, jusqu'à la terrasser d'une manière consternante. Par chance, ce n'était ni le sable ni la solitude qui avaient intimé à son corps que peut-être la fin de ce cauchemar approchait. Mais plutôt les bras d'un homme, qui l'extirpaient de cette mer déchaînée pour essayer de la réanimer, sur la plage d'un continent plus humain. Trempée jusqu'aux os, la petite fille transportait encore, sur sa peau et ses vêtements, les stigmates de la chasse dont elle avait été la proie et de l'horreur à laquelle elle avait été la seule spectatrice. Car là où un blanc satiné l'avait autrefois habillée d'une tenue anoblie d'ivoire, le sang et la boue l'avaient tachée, l'avaient souillée. De sorte que les seuls fragments de celle qu'elle avait un jour été n'étaient que le carmin de sa chevelure qui était encore difficile à distinguer et la [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] qui, pendant encore étrangement à son cou, n'avait pas sombré dans les méandres de l'océan qu'elle venait tout juste de traverser. Voilà qu'après quelques secondes d'effort, la récompense pour le geste de cet inconnu vint se présenter et le remercier, en faisant cracher l'eau qui avait investi les poumons de la rescapée. Son acte, d'aucuns auraient pu le considérer comme honorable en ce qu'il avait été certainement salvateur. Le réveil de cette étrangère, l'enfant de l'Eau aurait pu le voir comme la lueur d'un espoir. La lumière d'une chance de survie. Mais dès qu'elle ouvrit ses paupières sur ce ciel ombragé et cette chevelure éclaircie, il put entrevoir dans ses yeux myosotis l'absence d'intérêt pour la vie. Tandis qu'elle, elle ne sentit rien d'autre que le poids de l'oubli. Un instant s'écoula, pour lui laisser le temps de reprendre son souffle, peut-être même celui de se rappeler ce qu'elle pouvait bien faire ici, abandonnée à elle-même. Mais là où d'autres auraient pu se rappeler, Uzumaki Ran ne se souvenait de rien. Pas même de son propre nom, qui trônait pourtant comme une autre empreinte sanguinolente de son malheur dans la couture de son habit, sous le symbole du clan Uzumaki. Et plus la combattante en devenir essayait de creuser, plus les parois de son esprit lui paraissaient incertaines, instables et peu rassurantes. Plus une impression lui torturait le cœur et lui affamait l'esprit. Plus un seul et même mot serpentait entre ses organes, hantait ses pensées saccagées et résonnait dans sa tête comme le vulgaire écho de son passé tout juste envolé. . . . LE VIDE. |
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Dim 17 Déc - 23:52
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▶ Sujet: Re: [An 65] Le naufrage de l'innocence - ft. Uzumaki Ran LE NAUFRAGE DE L'INNOCENCE Tapoter le dos. L'incliner de sorte à laisser la gravité faire le reste. Parler dans le vide. Presser le ventre. En tentant de faire sortir l'eau de mer de l'inconnue, Washirō explorait toutes les options à sa portée. C'était confus. Il n'avait jamais pratiqué ces gestes auparavant, alors il s'adonnait à toutes les possibilités qui lui venaient spontanément en tête. Toutes, sauf celle de transmettre son souffle lors de l'exercice périlleux du bouche à bouche. Impossible d'envisager pareille option. Par chance, avant de devoir sérieusement se mettre à l'envisager, la jeune fille retrouva ses esprits. Sa respiration reprit, ténue, alors que celle de Washirō cessa de s'affoler.
Il ignorait tout d'elle. Son identité. Sa provenance. Les circonstances du drame dont elle fut victime. Les indices demeuraient bien maigres. Au loin, quelques débris de bois gisaient sur le rivage. Impossible de reconstituer son embarcation. Le regard ambré du bretteur en herbe se porta sur la tenue en mauvais état de la rescapée. Par-delà la fange, la simplicité de ses vêtements auparavant d'albe évoquaient quelque chose de familier pour l'héritier du clan Asakura. Il ignorait quoi. Et puis il y avait cette arme. Ou un ornement luxueux. Difficile de trancher. Son regard se perdit brièvement sur la lame cristalline, avant de revenir à la réalité. Même revenue à la vie, cette fillette était une naufragée. Elle était trempe, gelée de surcroît. Les mers bordant l'île principale de l'Archipel n'avaient rien d'un havre de paix tropical. Les courants violents et les vagues déchaînées avaient sans doute lessivés celle que Washirō venait de sauver. Alors spontanément, il fit ce qui lui paraissait logique en cet instant : l'aider à survivre. Pourtant, cet instinct de survie s'était évanoui dans le regard de cette enfante.
En d'autres temps, Washirō n'aurait eu sans doute que faire du sort de cette anonyme dont il ignorait tout. Sa conception de la vie et de la mort avait évolué avec le temps. L'histoire récente de Mizu avait fortement contribué à forger son ressentiment à l'égard d'autrui. Peut-être aurait-il eu autant de considération pour cette fille échouée sur la plage que pour les quelques débris de bois qui constituaient son embarcation : une entité brisée arrivée au crépuscule de son existence. Et qui dès lors ne représentait aucun intérêt pour l'Archipel de son Seigneur. Mais Washirō baignait en cet instant dans un curieux mélange d'innocence et de maturité. Depuis sa tendre enfance, il avait été forgé à blanc pour suivre la voie des Asakura. Mais il subsistait encore dans son être quelque chose qui relevait de la candeur, une ultime digue mentale renforcée par la puberté. Face à lui, la mer déchaînée grondait au loin. Sans doute un avertissement, une prémonition qu'il serait incapable d'interpréter.
Sans réponse de la part de la rescapée, l'héritier des Asakura décida de confier son manteau à l'étrangère, et la porta pour rentrer chez lui. Les deux quittèrent progressivement ce monde monochrome dominé par le sable volcanique et l'écume sauvage pour s'abriter de la fraîcheur des embruns. Le bretteur en devenir contempla une dernière fois de loin la plage d'obsidienne, avant de mettre le cap vers la civilisation. Il traversa notamment une petite clairière, dont la respiration continuait de condenser l'humidité en cumulus menaçants. Parfois, il surveillait l'état de la fille, bien qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il cherchait. Son souffle se perdait dans celui de la sylve, alors que les battements de son cœur s'étouffaient dans le clapotis de l'eau le long des feuillages. Après quelques pauses, Washirō atteignit enfin un village, dans lequel il fit une halte pour se ressourcer avant la route finale vers la cité provinciale où il officiait. Sur place, le soleil dominait haut dans le ciel, mais la brume le dévorait, comme bien souvent sur l'île principale de Mizu. Bien que fatigué par le poids dans ses bras, et la précipitation de sauver une presque-noyée, il débarqua dans la maison de son clan. Son oncle était absent. Il reviendrait sans doute en fin de journée, après avoir terminé son travail.
Washirō alluma un feu au centre, et fit réchauffer un peu de soupe pour celle dont il ignorait tout. Il l'installa près du foyer, et se mit en quête de vêtements propres et secs pour elle dans le voisinage. A son retour, le feu crépitait et irradiait la pièce d'une chaleur réconfortante. La lueur du feu illuminait d'un éclat coruscant la pièce principale. Loin de Kiri, et encore plus du château seigneurial, la demeure de ses pairs en province s'avérait assez modeste. Il y avait tout juste l'espace pour manger et dormir. Une sorte de cour extérieure offrait un bref espace privatif pour s'exercer au sabre. L'adolescent s'approcha de l'âtre pour réchauffer ses deux mains. La soupe manquait de bouillir, alors il l'éloigna du foyer et posa un bol à proximité de son invitée. Il s'installa finalement à ses côtés pour jauger si elle avait retrouvé ses esprits. Après confirmation, il décida de briser le silence.
« Tu es en sécurité, ici. Je t'ai apporté des habits propres et réchauffé du bouillon, n'hésite pas à en boire. Tu étais frigorifiée lorsque je t'ai sauvé. »
Son regard se perdit sur le katana qui reposait non loin de là. Une terrible odeur de mort en émanait, et il détourna aussitôt son regard de cet artefact qui prêtait à confusion avant de poursuivre .
« Quand je t'ai trouvé, tu étais échouée au bord de la plage. Est-ce que tu te souviens de quelque chose ? »
Il n'était pas courant pour lui de faire preuve d'hospitalité. Au point où il manqua de s'en tenir à la plus élémentaire des politesses. L'image de son père surplomba ses pensées alors qu'il déglutissait. Washirō se présenta sur un ton humble, la tête abaissée avec la dignité d'un guerrier rompu à l'exercice.
« Je suis Asakura Washirō. Nous sommes dans la demeure de mon oncle, Mineaki, dans la ville de Yakuhaba. » |
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Ven 16 Fév - 20:33
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▶ Sujet: Re: [An 65] Le naufrage de l'innocence - ft. Uzumaki Ran C'était là, à un âge où l'être humain s'épinait d'ordinaire de défauts comme de qualités, qu'Uzumaki Ran avait tout oublié sans se rappeler. Oublié ce qu'elle voulait. Oublié qui elle était. Et qu'elle venait de s'abandonner, en devenant aussi lisse qu'une feuille de papier et aussi calme qu'une mer qui, après une tempête, s'était apaisée. Les traits qui avaient autrefois dessiné le visage de ses pairs et de ceux qui lui avaient peut-être été chers, ils étaient en train de s'assoupir. Même ceux de ses propres mère et père. Leurs voix, leurs odeurs, leurs grains, leurs attributs, leurs contours, leurs habitudes, leurs caractères, leurs attitudes, leurs volontés, leurs empreintes, leurs souvenirs et tout ce qu'ils auraient pu avec elle construire, tout était en train de lentement cramoisir. Les formes et les couleurs du Pays des Tourbillons, ce qui avait si longtemps incarné son seul point de repère dans un monde gouverné par les montagnes et cerné par les mers, tout ceci était simplement en train de s'évanouir. Et irrémédiablement, au sein d'elle, de pourrir. Les petits évènements qui avaient déjà pu l'aider à se découvrir et à grandir, tous ses goûts, ses plaisirs, ses passions, ses excès, ses exécrations, ses dégoûts, ses envies, ses obnubilations, ses tracas, ses inquiétudes et même ses peurs, hélas tout était en train de se faire anéantir. Et lentement, dans sa mémoire, de mourir. Tout ce qui avait fait d'elle un être lumineux et attachant, ses croyances d'enfant, ses plus belles et jeunes ambitions d'antan, son admiration pour ses parents et peut-être son inégalable adoration pour ce qui avait certainement été son clan, tout était voué à s'assombrir. Et fatalement, même pour l'avenir, à croupir. C'était là, à un âge où les enfants devaient jouer derrière les barreaux de l'ignorance, qu'Uzumaki Ran avait tout perdu sans le vouloir. Perdu la mémoire. Perdu toute sa candeur, son sens de l'amusement et tout ce qu'une jeunesse pouvait avoir de jubilatoire. Car même revenue à elle, il était difficile de croire qu'elle avait l'âge de sa petite taille. Et qu'elle n'avait affronté que six printemps seulement. Dans cette demeure honnête et humble, son corps récupérait après avoir subi les épreuves dont il portait encore les terribles stigmates. Mais son esprit, lui, était parti. Comme toute trace de joie d'être toujours en vie. Comme tout espoir de guérison après avoir été si meurtrie. À tel point que, pendant l'absence de son propriétaire, la petite fille ne s'était pas permise de bouger d'un poil et avait fini par détremper le manteau qui l'enveloppait et le parquet qui la portait. Les pensées délabrées, les émotions anesthésiées, seul son regard s'était autorisé à courir sur le bois brut qui élevait et protégeait cette bâtisse terriblement modeste. Seuls ses yeux, si empourprés de fatigue qu'ils ne lui offraient rien d'autre qu'une vision floue, savaient s'imprégner de cette sylve qui avait gonflé par endroits à force de combattre l'eau. Alors que sa respiration, elle, sifflait encore suffisamment pour faire frissonner même un mort. Fruit de son voyage en mer et de la violence des vagues ou bien preuve de son début d'accoutumance à l'air humide et pesant du Pays de l'Eau, ses poumons qui n'arrivaient plus à la faire se sentir plus libre que lourde s'étaient noyés. Si bien que, même si rien ne la retenait prisonnière en ces lieux, elle se sentait lestée. Une pierre à la place du cœur, du sable dans les bronches, la jeune fille n'était plus que l'ombre de l'enfant qu'elle avait pu être auparavant. Une âme à l'aube de son errance, qui ne s'entendait même plus penser. Qui ne se souvenait même plus de sa voix, ni de sa tonalité. Alors comment devait-elle réagir, face à la rencontre avec un autre congénère ? Et comment devait-elle répondre à l'hospitalité que lui présentait ce pair ? Le sillon de ces réflexes que l'éducation avait autrefois creusé en elle appartenait désormais au passé. Si bien que la fillette fut incapable de prendre ne serait-ce qu'une initiative et laissa l'habitant revenir de l'extérieur et prendre les devants. Des vêtements tenus éloignés de l'écume et du sel, il avait eu l'idée d'en ramener pour elle. Et un bol de bouillon chaud et bien plus réconfortant que n'avaient pu l'être à son égard les vagues de la mer, il y en avait un déposé juste à côté d'elle. Soudain, des mots heurtèrent ses oreilles, pendant que sa vue s'améliorait et discernait de mieux en mieux les formes, les couleurs, les lumières et les ombres. Mais ce qui la fit naturellement se lever, ce fut cette sensation de chaleur. Celle qui émanait du brasero central et qui, désormais, diffusait son âme fiévreuse dans toute la pièce. Celle qui la traversait, elle et le poids du tissu moite et baptisé par les flots qui lui pesait sur les épaules. Celle qui, malgré elle et le noir qui imbibait les tréfonds de sa mémoire, semblait la ramener à quelque chose dont elle ne savait plus rien. Ou plutôt à quelqu'un. La petite miraculée abandonna son lit improvisé pour s'asseoir. Et pour s'attarder sur tous ces petits détails, qu'elle pouvait enfin raisonnablement voir. Le plancher, beau mais brut, qui lui donnait près de ses pieds nus l'impression de se risquer à la compagnie d'une écharde. Le mobilier, simple mais percutant, qui ne lui parlait pas ou peu, peut-être parce qu'il se voulait rudimentaire. L'espace, restreint mais efficace, qui semblait étouffant pour un noble mais suffisant pour deux pauvres. Cette cour, fraîche mais intrigante, qui tendait à lui aérer l'esprit alors que les ténèbres l'avaient déjà trop envahi. Et ce garçon, au teint bruni mais aux jolis cheveux d'ivoire, qui la questionnait pour savoir d'où elle venait. Pour connaître qui elle était. Alors qu'elle l'ignorait. Étrangère à cet homme comme à elle-même, la rescapée aurait voulu fermer les paupières pour ne plus jamais avoir à les écarter. S'il avait un toit, un repas et une identité à lui offrir, elle n'avait rien à lui rendre. Pas même un nom qui, s'il avait pu danser sur ses lèvres pendant plusieurs années, n'arrivait désormais plus à en sortir. Comme l'aurait fait un lointain souvenir qui s'était laissé mourir. Les yeux de l'enfant, s'ils avaient la couleur du ciel, n'arrivaient pourtant pas à quitter la terre. Comme s'ils étaient prêts à creuser pour trouver des réponses à tous ces mystères. « ...A...sa...-ku... » Hésitante mais douce, une voix peinait à être perceptible. C'était la sienne. Peut-être la seule chose qui lui restait. Un maigre instant, la jeune enfant se mit à froncer les sourcils. Comme si quelque chose d'épineux et de douloureux lui tiraillait la chair et l'esprit. Comme si tout sentiment, même le plus malheureux, était condamné à ne plus s'épanouir en elle. Voilà qu'elle se rendait compte, malgré elle, que son cœur n'était plus une terre suffisamment fertile pour faire mûrir ou au moins fleurir même la plus petite des émotions. Même la plus légère des attentions. Si bien que, même si son attitude se voulait polie, ses pensées n'arrivaient même plus à s'accrocher à des mots pour que ses paroles le soient aussi. Ou ne serait-ce que pour regarder ce natif du Pays de l'Eau droit dans les yeux et pour lui dire merci. « ...Je... » Sa salive fut aussitôt ravalée, lorsqu'elle comprit qu'elle n'avait aucun nom à donner. Mais ses pupilles azurées, elles, furent absorbées par le feu qui crépitait et la chaleur qu'il s'amusait à déverser. En elle, un autre brasier venait de s'allumer. Celui de sa curiosité qui, sans aucune raison apparente, la poussait à voir ce feu d'une autre manière que ce qu'il était. Ces flammes, parfois rouges, parfois ocres, elles dansaient et lui paraissaient terriblement familières. Dans un endroit qui ne lui disait rien, près de quelqu'un qui semblait ne lui vouloir que du bien, cette lumière lui disait pourtant tout malgré son caractère éphémère. Et lui rappelait quelque chose qui lui avait été cher, avant qu'elle ne soit rejetée par la mer. Si cher que, sans détour ni hésitation, la petite fille leva une main vers le foyer avec la ferme intention de l'attraper. Même si cela devait la brûler. - Spoiler:
La vue du feu évoque à Uzumaki Ran un souvenir chatoyant, dépourvu de visage et de voix. Elle ne le sait pas encore, mais les flammes auront pour la suite et certainement pour toute sa vie tendance à lui rappeler la chevelure de lumière de son propre père, auquel elle a été arrachée lors de son expulsion du Pays des Tourbillons.
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Dim 24 Mar - 23:53
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▶ Sujet: Re: [An 65] Le naufrage de l'innocence - ft. Uzumaki Ran LE NAUFRAGE DE L'INNOCENCEfeat. [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]Sa chevelure était incandescente, mais la lumière que projetait cette flamme capillaire était froide. L'inconnue peinait à balbutier quelques mots, et Washirō ne sut comment réagir en cet instant. De longues secondes s'écoulèrent, sans qu'il ne sache quoi faire. Il s'entraînait un beau matin, s'assurant de poursuivre la destinée tracée par sa famille. Et le voilà dorénavant, hébergeant une enfante qui avait manqué de se noyer et dont il ignorait tout. Si à l'avenir, son empathie avait été érodé au point de ne laisser en surface qu'une brève obédience envers le genre humain de Mizu, en ces temps-ci, Washirō voyait cette inconnue comme son égal. Indépendamment de son origine, elle méritait d'être sauvée. Selon son récit, les autorités s'occuperaient ou non du reste. Pour l'heure, faute de mieux, et pris dans l'urgence, l'aspirant sabreur essaya de rassurer comme il pouvait celle dont le nom fut englouti dans les rives l'ayant conduit ici. « Ce… ce n'est pas grave. Tu dois d'abord te reposer. » Il ignorait encore quoi faire de cette jeune fille. Mais, l'instant d'après, Washirō fut forcé d'avaler le début d'un soupir, pour interrompre Ran dans sa folle entreprise. « Hé ! Tu vas te brûler, comme ça. » L'adolescent agrippa derechef la main gracile de la noyée qui manqua de connecter le brasier de cheveux qui jaillissait de son crâne à celui du logis. Ceci fait, il écarta la dite dextre en lieu sûr, avant de poursuivre ce soupir qui croupissait entre ses lèvres. En cet instant, son paternel l'aurait réprimandé d'exprimer pareil soulagement, ou forme d'agacement ainsi. Il lui aurait fallu contenir ad vitam ad æternam cette tare de l'esprit qui ternissait l'image des Asakura. Un pincement de l'esprit appela le spadassin en devenir à adresser un pardon en levant les yeux au ciel, avant de reporter son attention à l'égard de sa convive. « Si tu as encore froid, dis-le. Enfin… fais moi signe. Les journées sont humides, et les nuits fraîches, ici. Je t'apporterai de quoi te couvrir au besoin. » Plus de la compassion à son égard, c'était une forme de bon sens, édulcorée de docilité, qui cherchèrent à préserver l'anonyme en ces terres à jamais mêlées à l'eau. Son éducation à la dure lui avait appris à être obéissant envers les siens : ses parents, les autorités de la Brume, et au-dessus de tout, le Daimyō de l'Eau. Washirō se leva et se prépara à son tour un bol de bouillon pour manger aux côtés de l'inconnue. Il l'invita à faire de même, arguant qu'elle avait besoin de reprendre des forces, et de continuer à se réchauffer. Malgré cette forme de bienveillance, Washirō observait avec fermeté l'étrangère. Il souhaitait éviter que l'incident du feu ne se reproduise à nouveau. Un frisson parcourut son échine, réveillant dans son dos de vieilles douleurs du passé. Le créateur de ces stigmates résonnait encore dans ses pensées, alors qu'il fixait la rescapée. Mais pour l'heure, il balaya mentalement ces réminiscences qui lui arrachèrent un nouveau frisson. Son oncle étant occupé pour la journée, les deux jeunes étaient par conséquent livrés à eux-même. Après avoir mangé un peu, l'enfant des Asakura s'occupa du feu et songea à un moyen d'occuper cette rescapée loin des tracas qui entouraient la raison de son naufrage. Tandis qu'il la laissait s'accommoder du nécessaire pour se laver, s'habiller et manger, une idée lui traversa l'esprit. « Suis-moi. Allons nous dégourdir les jambes. J'aimerais te montrer quelque chose. » La réalité, c'était qu'il avait souhaité se rendre à cet endroit bien avant qu'il ne fasse la rencontre de cette naufragée. Sa présence n'était qu'une coïncidence qui ne fit que renforcer cette volonté, désir fugace d'un passé où son esprit n'était pas entièrement dédié à son nindō. Washirō et sa convive quittèrent la demeure des Asakura et se rendirent à quelques maisons de là. Dans un quartier calme en apparence, ils s'approchèrent d'une clôture, sur laquelle on pouvait facilement s'appuyer pour distinguer, entre quelques fourrées, les fenêtres du domaine. Là, le bretteur en herbe chercha un point de vue sur cette frontière entre le public et le privé, puis, après avoir tâté le terrain, au bout de quelques minutes, il s'arrêta. Silencieusement, il convia d'un geste de la main l'inconnue à le suivre pour observer le spectacle qui s'y déroulait. De l'autre côté de la barrière, une femme ajustait un vase sur un rebord de la fenêtre. Ses gestes étaient amples et précis à la fois, et s'en dégageaient une certaine grâce. En observant plus attentivement le vase, on distinguait diverses fleurs et plantes qui se dispersaient dans un tout une mosaïque de formes et de couleurs. La femme ajustait ce bouquet avec la concentration d'un moine en pleine prière. Elle triait avec une grande application les tiges inutiles, ajustait la forme de certaines, pour retirer tout le superflu qui dépassait de ce vase. Ce n'était pas là l'expression d'un minimalisme débridé, fruit de décennies d'isolationnisme décadent conduisant à l'austérité de la raison. Au contraire, c'était dans cette rareté que les fleurs survivantes exprimaient toute leur beauté, débordant dans la rétine des spectateurs qui épiaient la scène. Même de ce côté de l'océan, la sensibilité de l'ikebana avait traversé les frontières et les cœurs des habitants de l'archipel. Washirō en faisait partie. Mais si tout ces prémices paraissaient satisfaisant à épier, ce qui suivait avait décidé le chien des Asakura à consacrer un peu de son temps libre loin de la surveillance des siens pour cet instant. L'artiste s'absenta quelques secondes, avant de revenir avec un ciseau à la main. Il était temps pour elle de tailler le superflu, une fois encore. Une profonde lenteur animait ses gestes, trahissant l'extrême minutie qu'imposait cet art. Aux yeux de Washirō, cette contraction temporelle paraissait s'accentuer en son esprit, tant il était investi dans cette démarche. Son visage d'ordinaire si peu expressif était tourné tout entier vers cette fenêtre. Son regard, deux ambres ternes, pétillaient d'intérêt pour le contact si délicat entre l'acier et le végétal. En voyant la tige coupée, Washirō absorbait un savoir qui dépassait la simple connaissance technique. L'art du sabre ne se limitait pas qu'à la seule maîtrise de son arme et la répétition parfaite de gestes. Il existait une véritable harmonie à respecter entre le corps, le sabre et l'espace autour. Une grammaire à trois corps qui avait également sa part de poésie afin de repousser les frontières du possible. Cet exercice d'ikebana représentait dès lors à ses yeux profanes une source inépuisable d'inspiration pour atteindre son objectif. Tout au long de cette démonstration impromptue, Washirō ne perdit pas des yeux la naufragée. Il espérait que ce spectacle l'investirait de la même passion qu'il éprouvait. Mais en parallèle de ça, l'apprenti-sabreur ne put s'empêcher de songer à un des enseignements capitaux de son instructeur et géniteur. * * * « Dans ce monde de volumes, notre art est insignifiant face au Ninpō des shinobis, ou au Kenjutsu des samourais. Trop mou sur nos jambes. Trop lent dans nos réflexes. Trop médiocre dans notre compréhension du chakra. C'est dans un univers à deux dimensions que le Kubikiri Itto-ryū s'élève au-dessus du reste. Pense à cette ligne, mon enfant. Rappelle-toi de ce que je t'ai appris. Trace cette ligne mentalement. Elle guidera tes pas, dessinera le chemin ininterrompu de ta lame à travers les trois dimensions, et ta puissance n'en sera qu'absolue. » * * * Cette phrase ne cessait de hanter l'esprit de Washirō. Elle échappait à tout contrôle de son esprit, au moindre mécanisme protecteur de sa conscience pourtant forgée dans le fer le plus robuste que son père eut à trouver. Et pour cause : son géniteur outrepassait ces barrières mentales, pour s'instiller en lui comme un poison sans remède. Asakura Ryōzaburō était un Yamanaka sans maîtrise de chakra pour exercer son don. Si tant est que, presque rongé par la honte, Washirō ne pouvait s'empêcher de superposer à sa vue une vision qui conditionnerait à jamais son existence. Réglée comme une mire, la Ligne se traçait spontanément sur la nuque d'Uzumaki Ran, à l'interstice entre l'atlas et l'occiput, épousant parfaitement les courbes de son cou pour former un cercle parfait. |
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▶ Sujet: Re: [An 65] Le naufrage de l'innocence - ft. Uzumaki Ran |
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