Sam 9 Déc - 10:45
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▶ Sujet: Sur la route d'Homura [Minamoto Yoichi] Un chapelet de villages s’égrenait sur la route menant à Homura. On trouvait là des localités de tous les genres et de toutes les tailles. Aucune, bien sûr, n'avait le gigantisme de la capitale impériale. Certaines parvenaient toutefois à développer leur embonpoint dans des dimensions remarquables et elles s'étaient ainsi attiré une réputation et une renommée qui faisaient le tour des tavernes qui, comme chacun le sait, sont le refuge par excellent des voyageurs de grands chemins. La plupart cependant étaient beaucoup plus modestes, particulièrement à mesure que les murailles de la capitale se faisaient plus proches. Les bourgs et les hameaux fleurissaient plus aisément que les cités à proximité d'un centre hyper développé. Ils étaient des havres de paix, ou bien des lieux de tension extrême entre les voyageurs, les marchands itinérants et toute cette autre population nomade, difficile à identifier, que l'on considérait par défaut comme une nuisance et une source de danger. Le brigandage n'était, après tout, pas si rare, même sur les grandes routes.
Le village de Shinmen était un endroit tranquille. L'histoire de sa naissance était inconnue - à l'image de celles de nombre de ces lieux, qui semblaient n'avoir pour vocation que de servir de relai aux marchands de passage - mais il avait l'excellente réputation d'apaiser tous ceux qui choisissaient d'y séjourner, fût-ce pour une nuit ou pour une vie. Les autochtones disaient d'ailleurs en riant qu'ils ne comptaient plus les commerçants qui avaient tout plaqué, abandonnant boutique, marchandises et richesses pour bâtir une maison et s'installer là. Le lieu était, à la vérité, enchanteur. Le village s'était développé à la rencontre de la grande route et d'une rivière. celle-ci le traversait en son plein centre. Les deux moitiés du hameau étaient reliées par un unique pont, tout en bois, dont les services étaient complétés par ceux des passeurs qui proposaient de traverser la rivière dans leurs bacs en bambou. Du reste, le courant n'était pas très fort et la rivière déroulait ses eaux comme une chevelure souple, sans empressement, en produisant un glouglou dont l'air retentissait joyeusement. Ce rythme naturel s'imposait à tout le village, si bien que personne n'y était en hâte et que tout le monde avait le sourire aux lèvres. Mais l'eau n'était pas seulement au centre topographique du village : elle était également au coeur des vies. C'était l'eau de la rivière que l'on consommait, car elle était pure et dépourvue de toute pollution. Le poisson, les crabes et les algues que l'on mangeait, c'était encore la rivière qui les avait charriés jusqu'à Shinmen, pour que les mains habiles des pêcheurs puissent les récolter. Enfin, lorsqu'un feu se déclarait dans le village - ce qui n'était pas rare, puisque, comme partout ailleurs, les murs des maisons étaient de torchis et de bois, et leur toit de paille - c'était l'eau de la rivière que l'on puisait pour calmer les flammes. Elle était la souveraine maîtresse des lieux et des âmes et tous l'adoraient.
On avait érigé, en des temps oubliés, un autel au dieu Ida - divinité locale dont l'esprit habitait la rivière - sur un îlot perdu au centre des eaux. La légende disait que jamais les crues n'avaient élevé le cours si haut qu'il inondât le lieu sacré : aussi tous y voyaient un signe de la mansuétude du dieu et de sa bienveillance à l'égard d'un peuple qui le traitait avec respect et déférence. Le zèle des locaux n'en était que plus grand. L'endroit n'attirait pas beaucoup de pèlerins, mais si l'un d'eux se présentait il trouvait toujours une âme prête à lui raconter la prévenance du dieu Ida. On l'invitait ensuite à se recueillir devant l'autel et à faire son offrande à la divinité : une seule pièce, jetée sans un regard dans les eaux. Un plongeur mal intentionné aurait ainsi retrouvé dans le lit de la rivière un petit pactole, dont les monnaies les plus anciennes étaient frappées des profils de souverains dont seuls quelques livres érudits avaient gardé le souvenir.
Si l'on était pas riche, à Shinmen, on vivait tout de même confortablement grâce au flot ininterrompu des voyageurs, qui imitait celui de la rivière. Quelques auberges étaient renommées et l'on n'y trouvait que rarement une chambre. Mais on ne voyait jamais un malheureux à la rue, car il se trouvait toujours quelque bonne âme pour lui offrir le logis, moyennant un petit pécule. Jamais on ne refusait cette offre, car les sourires et les bonnes actions des habitants étaient d'une bienveillance telle qu'ils déliaient les bourses avec un succès remarquable. Les tavernes - que l'on trouvait dans chaque rue - avaient cette même faculté. On y servait des alcools de bonne qualité et jamais de piquette. S'il se trouvait un hôte qui abusait de la boisson et dont l'exubérance venait à déranger les autres, il était promptement chassé par le tenancier, qui ne se départait cependant pas de son sourire ; si bien que le malheureux, se trouvant à la porte, ne pouvait éprouver la moindre colère à l'égard de celui qui l'avait expulsé. Les ennemis eux-mêmes, lorsqu'ils se croisaient à un carrefour, n'osaient dégainer, car la tranquillité des lieux était sacrée. Ils s'éviscéraient généralement à la frontière du village et on les enterrait le long de la route.
Le soleil se couchait et enflammait le ciel de ses derniers traits lorsqu'Ubu arriva à Shinmen. Il avait marché toute la journée durant et sentait bien que ses jambes ne le porteraient pas jusqu'au prochain village. Il s'en désolait. S'il avait la constitution et l'endurance d'un paysan, il devait cependant admettre qu'une semaine de pérégrination ininterrompue avait eu raison de ses forces. Il lui semblait que la capitale ne dût jamais se profiler à l'horizon. Et avait-il le temps et le droit de s'arrêter et de jouir de ses haltes, tandis que sa famille était retenue, quelque part, dans ce pays ou déjà au-delà de ses frontières ? Ses nuits étaient troublées par la culpabilité qu'il éprouvait à se reposer et cette agitation ne faisait rien pour améliorer son état. Il avait entendu parler de Shinmen, cependant. S'il y avait un endroit sur terre où il pût goûter au calme, ce devait être ici. Cette dernière pensée acheva de le convaincre.
Il était d'ailleurs sensible au charme des lieux. Cette rivière, surtout, lui plaisait. Sa première destination fut naturellement l'îlot sacré où trônait l'autel du dieu Ida. Il goûtait peu à la religion, cependant, et se contenta d'une prière distraite à l'attention de la divinité. Il était venu pour perdre son regard dans le courant. Les eaux brillaient alors d'un éclat tout particulier, car les derniers rayons du soleil y ricochaient en pépites riantes. Ubu sourit. Il distinguait, dans l'eau claire, la silhouette des truites et des carpes qui étincelaient comme de l'or. Puis il ferma les yeux et ce fut son esprit qui fut enveloppé du chant guttural de la rivière. L'envie d'y plonger, de se métamorphoser et d'en goûter toute la fraîcheur le tenaillait, mais il ne céda pas.
"N'oubliez pas de faire votre offrande !"
Il rouvrit les yeux et se retourna : la voix était celle d'une vieille femme, dont il devina aisément à la tenue qu'elle était la gardienne de l'autel. Elle avait parlé sans ordonner et son sourire était bon, mais il comprit à l'insistance de son regard qu'il n'avait d'autre choix que d'obéir. Masquant son malaise - car il avait été dérangé dans un moment de plénitude parfaite pour être ramené à des réalités bien vénales - il tira un sou de sa bourse et s'apprêtait à le poser sur l'autel lorsque la vieille interrompit son geste d'une tape sur le dos de la main :
"Non, non ! Par-dessus l'épaule !"
Et elle joignit à l'instruction le geste, pour lui montrer comment faire. Ubu resta un instant hébété. En voilà une étrange coutume. L'argent coulait-il tant à flot que ça, ici, que l'on dût se débarrasser de son pécule dans la rivière ? Le dieu Ida devait être bien riche. D'ailleurs, ce dieu-là n'aurait-il pas préféré qu'un de ses sujets, créature aquatique par excellence, gardât pour lui le peu de pièces qu'il gardait encore pour s'offrir un bon repas et un lit ? Mais Ubu ne voulait pas risquer de se fâcher avec une divinité de l'eau. Il se tourna, dos à la rivière, et lança par-dessus son épaule sa pièce, comme la vieille lui avait montré. Elle sembla satisfaite. Elle entreprit ensuite de s'enquérir de sa situation. Comment, il n'avait pas réservé de chambre à l'avance ? Par tous les dieux, il lui serait impossible de loger à l'auberge. Les lits y étaient pris d'assaut depuis deux saisons déjà ! Non, non, il lui faudrait crécher chez une âme dévouée. Elle-même n'avait pas de place chez elle, mais la fille de son frère, peut-être… Elle promit d'enquêter et lui conseilla, en attendant, de manger un bout et de boire à sa santé à la taverne la plus proche : "Au havre d'Ida". Tenue par son frère.
Ubu la remercia bien, sensible au sourire dont elle avait enrobé son démarchage. Il ne s'était, d'ailleurs, pas rendu compte une seconde qu'il venait de subir les assauts publicitaires coutumiers aux habitants du village : il était de ces chalands dont la candeur est telle qu'ils font la fortune des vendeurs retors. Aussi se délesta-t-il de quelques écus encore avec une joie parfaite lorsqu'il vit que le frère de la prêtresse était tout aussi cajoleur qu'elle. On lui servit à boire et à manger sans attendre et il porta le goulot et ses baguettes à ses lèvres dans une tranquillité d'âme comme seule en connaissaient les pachas.
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Sam 16 Déc - 8:45
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▶ Sujet: Re: Sur la route d'Homura [Minamoto Yoichi] La mosaïque de couleurs vivaces offrait une image pittoresque et holistique de la bourgade au creux de la vallée à la tranquillité enivrante, dorlotant ses habitants dans un sentiment mystique de fausse sécurité. Un îlot de sûreté au milieu de la nature sauvage et impétueuse, un microcosme dans le Yuusei, un sanctuaire préservé par la faveur de la déesse populaire. A l’image des pièces étincelantes et mirobolantes tapissant le lit doré de la rivière paisible traversant le village, la monnaie coulait à flot dans les commerces environnants, qu’il s’agisse des échoppes ou bien des boutiques de gri-gri et bric-à-broc proposant des souvenirs de leur passage aux différents visiteurs prospectant la bénédiction de la divinité des eaux et de l’opulence. Qu’ils fussent de passage ou qu’ils viennent accomplir leur pèlerinage jusqu’à l’autel pour observer un moment de plénitude et d’austérité, il n’était pas rare pour les visiteurs de se loger sur place le temps d’une nuit afin de reprendre leur grande épopée dans les contrées du Feu. Ainsi, on rencontrait des saltimbanques de tous horizons, aux passés aussi obscurs que abscons, aussi troublés qu’édifiants, la plupart ne donnaient même pas la peine de s’ouvrir à la populace, de peur de créer des attaches inutiles ou d’éveiller la curiosité voire les soupçons. Chaque passage était éphémère, chaque rencontre, une occurrence mettant en branle la fortune. Les raisons qui conduisirent Yoichi à faire son étape dans ce village étaient purement circonstancielles et subordonnées à son objectif de rentrer à Kumo pour collecter son dû auprès des autorités, après la complétion de sa mission d’infiltration à Homura, il n’avait aucune raison de ne pas hâter sa marche et d’attendre ses coéquipiers, lesquels lui avaient fait se rappeler au fond de lui pourquoi il ne désirait guère travailler sous la bannière d’une nation, encore moins celle dont les shinobis ne lui avaient montré que du mépris ou de la méfiance, parfois les deux. Quoiqu’il fallait nuancer ce constat avec quelques individus ayant su faire preuve de considération, voire de bénévolence à son égard, son vécu personnel l’avait convaincu qu’il n’était pas taillé pour la soldatesque ni pour la servitude envers les puissants, mais qu’il était voué à vivre comme un électron libre se laissant porter par les vagues de l’océan des possibles, suivre son coeur au gré de ses caprices et pérégrinations. L’oriflamme de la déesse solaire quant à elle disparaissait progressivement à l’horizon, couvrant la cîme des chaumières dans un voile d’obscurité. Il eut vent lors de ses échanges avec les locaux qu’une taverne accueillait les âmes vagabondes et esseulées, et le titre éponyme rappelait l’omniprésence de l’ondine dans les us et coutumes du village. Au Havre d’Ida. Yoichi avait pris place et grâce à sa langue d’airain avait réussi à gagner la confiance du responsable de l’établissement, en lui proposant d’offrir ses services en tant qu’artiste ambulant, colporteur d’histoire et chasseur de légendes (vivantes de préférence). Ce fut ainsi qu’il se retrouva au milieu d’une pièce noire de monde, une masse bruyante et hétéroclite, au point que d’aucuns se seraient sentis intimidés, mais pour quelqu’un qui avait joué sur scène toute sa vie, la question ne se posait plus. En regardant de plus près, il pouvait apercevoir des visages tantôt étrangers, tantôt conférant l’illusion d’une singulière familiarité, et pourtant, il savait qu’il ne les avait jamais croisés de sa vie. Le monde était peuplé de ressemblances et de différences à proportions égales, et l’esprit ne pouvait s’empêcher d’attribuer des significations ou de saisir la réalité à travers le prisme limité de sa propre intelligence, faculté elle-même tributaire de sa condition d’être humain. En voyant toute cette congrégation vagabonde ainsi rassemblée, il fut inspiré de partager avec eux un poème d’un lettré qui avait résonné avec lui lors du début de ses voyages. À mon père Las d’avoir visité mondes, continents, villes, Et vu de tout pays, ciel, palais, monuments, Le voyageur enfin revient vers les charmilles Et les vallons rieurs qu’aimaient ses premiers ans. Alors sur les vieux bancs au sein des soirs tranquilles, Sous les chênes vieillis, quelques bons paysans, Graves, fumant la pipe, auprès de leurs familles Ecoutaient les récits du docte aux cheveux blancs. Le printemps refleurit. Le rossignol volage Dans son palais rustique a de nouveau chanté, Mais les bancs sont déserts car l’homme est en voyage. On ne le revoit plus dans ses plaines natales. Fantôme, il disparut dans la nuit, emporté Par le souffle mortel des brises hivernales.
Le voyageur
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Sam 16 Déc - 13:03
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▶ Sujet: Re: Sur la route d'Homura [Minamoto Yoichi] Le silence qui retomba dans la salle fut bref : déjà, les applaudissements éclataient, ponctués des sifflets et des bravos enthousiastes du public. La taverne avait été transformée, l'espace d'un instant, en théâtre. Le poète avait accompli l'exploit de faire taire les conversations, le temps de sa récitation, et ce sans s'attirer l'animosité d'une foule pourtant déjà sous l'emprise de l'alcool, pour une partie. D'aucuns y auraient vu un miracle. Il n'y avait là que du talent : celui des véritables artistes, dont la sensibilité ne se limite pas à leur création mais leur permet de sonder le coeur de leur audience pour mieux le charmer. Et puis, ce public était également d'une grande sensibilité, car les mots du plus habile des orateurs n'avaient aucun effet sur un esprit absolument fermé et hermétique à la beauté des choses. En somme, dans cette salle s'étaient trouvées les deux moitiés d'une combinaison idéale : un poète talentueux et des spectateurs prêts à l'écouter et à se laisser envoûter par ses mots. On leva des verres à sa santé et on trinqua, puis le murmure des conversations s'éleva de nouveau.
Ubu était resté hébété. Il avait joint ses applaudissements à ceux des autres clients, mais il lui semblait que les vers du conteur avaient une résonance particulière en lui. N'était-ce pas sa propre histoire qu'il venait d'entendre, dans la bouche de cet homme ? N'étaient-ce pas sa quête, sa maison, son village dont il avait été question ? Tout le monde peut, sans doute, trouver quelque chose qui lui permet de s'identifier à un poème et d'y puiser une substance familière : c'est même là l'essence des bonnes oeuvres. Elles sont universelles et leur nature ne les borne pas à un public spécifique. Toutefois, ici, la coïncidence était troublante. D'autant que le destin du voyageur dont traitait le poème semblait infiniment triste à Ubu. Il avait entendu les remords d'un homme errant dans le monde et regrettant son village natal, dont il n'avait oublié aucun des traits, mais pour lequel il n'était plus lui-même qu'un fantôme.
Etait-ce là ce qui l'attendait, lui aussi ?
Cette pensée ne pouvait le quitter, à présent. Elle lui serrait la poitrine. Il se leva de sa table et se dirigea vers l'estrade, où se trouvait encore l'artiste. Il trouva sur sa route le patron des lieux.
"Sacré talent ce bougre, hein ? Je me doutais bien qu'il avait ça dans le ventre. Il m'a si bien embobiné avec ses belles paroles ! Bah, je ne regrette pas. On aime les histoires d'ailleurs, par ici.
-Dites, patron, comment est-ce qu'il s'appelle ?
-Sais pas. J'ai pas pensé à lui demander son nom, tiens. Mais après tout, quelle importance ?
-Aucune, aucune. Et vous lui avez demandé d'où il venait ?
-Pas besoin, je l'ai vu quand il est arrivé. Il marchait sur la route d'Homura, alors j'imagine qu'il vient de la capitale. Il y a des tonnes d'or à se faire, là-bas, pour quelqu'un de son talent. Les maisons nobles raffolent des artistes de qualité. J'imagine qu'il a fait un tabac."
Ubu restait songeur, scrutant la figure tranquille de cet homme. Il dégageait un charisme certain, cela ne faisait aucun doute. Il avait d'ailleurs toujours eu l'impression que des artistes ambulants dans son genre émanait une aura toute particulière. Les quelques-uns d'entre eux qui s'arrêtaient dans son village natal, au temps de son enfance, avaient toujours fait forte impression. Les récits qu'ils apportaient étaient merveilleux et n'auraient jamais pu germer dans le terreau stérile d'esprits bornés au travail de la terre, dont les yeux, jamais, ne se levaient vers le ciel pour y trouver le réconfort d'un rêve. Peut-être Ubu différait-il, en cela, de ses compatriotes. Lui prenait goût non seulement à écouter les histoires mais aussi à les imaginer. Combien de héros de contes n'avaient-ils pas trouvé une suite inédite à leurs aventures dans sa tête ? Tout cela, en plus de cet étrange sentiment qui l'avait pris en entendant le poème, le poussa à finir de s'avancer vers le poète, non sans avoir glissé une pièce au patron pour qu'il leur apporte de quoi manger.
Ubu se présenta de front, un sourire aux lèvres mais plus léger qu'à l'accoutumée. Ses yeux pétillaient d'une malice teintée d'ombre. Il commença par s'incliner pour présenter sa gratitude, comme il était de coutume :
"C'était un beau poème. Merci de nous l'avoir récité. Vos vers resteront gravés dans ma mémoire, pour sûr."
Puis, se redressant, et sur un mode plus hésitant :
"Dites… Le voyageur, dont vous avez parlé, il a vraiment existé ? Vous le connaissez ? Et… Réel ou pas, vous pensez qu'il est heureux ?"
Comme toujours, ses questions étaient la candeur même. Elles filaient droit vers leur cible.
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Jeu 28 Déc - 16:14
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▶ Sujet: Re: Sur la route d'Homura [Minamoto Yoichi] Récitant le poème d’un autre temps et d’un autre pays, le voyageur racontait la vie d’un confrère qui jadis parcourut le monde en quête d’aventures et de moults péripéties, la vadrouille du picaresque garçon devenu homme et enrichi par ses rencontres bigarrées. Tant de routes à arpenter, tant de lieux à visiter pour un homme dont la curiosité n’avait de limites que sa propre condition. Tout voyage avait une fin, toute ambition, une limitation. Le leitmotiv du pèlerin dans sa recherche insatiable de l’insolite et du merveilleux le conduisait à découvrir la nature sous toutes ses formes, et la création dans toute sa majesté. L’entendement était le récipient incapable de contenir l’immensité qu’était le cosmos, ce puits sans fond et cette source de toute vie dont nous nous abreuvions afin de satisfaire notre propre existence. De ces expériences, le voyageur en tirait la sagesse de ses printemps, laissant la nostalgie l’emporter en même temps que la terre qui l’avait mis au monde, il retrouvait les siens et complétait le parcours cyclique dans lequel il s’était engagé. Il réalisait dans sa quête de l’infini la finitude de sa propre condition, hanté par les démons de la nostalgie et le besoin de laisser son empreinte sur le monde. Aussi nébuleuses fussent les origines de ce témoignage poétique, on ne pouvait nier à quel point celui-ci résonnait avec chacun des badauds installés dans la pièce qui se turent l’espace de quelques secondes, captivés par la verve hypnotique de l’artiste mystique.
Les paupières légèrement plissées, le sourcil arqué, son visage angélique se tournait vers la figure d’un brave homme qui pour l'œil non entraîné n’avait guère l’apparence que d’une personne ordinaire et sans prétention, mais qui en réalité, dégageait une aura particulière difficile à capturer avec les mots. Ses pupilles céruléennes reflétaient les flots insondables, tandis que ses mèches mordorées évoquaient la période des moissons. Sa peau était une toile vierge sur laquelle il restait encore à dessiner une myriade d’aventures et d’exploits, il incarnait le personnage à l’âme charitable, touché par la fortune et qui était à l’aube d’une grande iliade qui l’emmènerait jusqu’aux confins du monde. Son flair le trompait rarement dans ces cas précis, et c’était tout naturellement qu’il s’ouvrit à un échange amical avec le joyeux luron. D’un sourire cordial, il acceptait le compliment du mystérieux interlocuteur qui lui demandait le contexte dans lequel le poème avait été écrit, montrant son intérêt pour l'œuvre. En tâchant de tempérer ses envolées lyriques pour revenir au domaine des vivants, Yoichi apporta des éclaircissements quant au fameux voyageur du poème dont il ignorait lui-même le nom. Il tâcha de ne pas se cantonner aux poncifs du voyageur universel, mais plutôt alimenter la réflexion en titillant la curiosité intellectuelle de son vis-à-vis.
— Personne ne le sait vraiment. Il pourrait s’agir d’un personnage fictif, ou le véritable auteur de ce poème, qui sait? Toujours est-il qu’il existe pour nous aujourd’hui, et qu’il nous fait prendre conscience de la finitude de notre condition, l’histoire est une manière d’ancrer dans l’immémorial les expériences des voyageurs avant nous. Nous héritons de leurs souvenirs, et nous les transmettons en même temps que les nôtres, aux prochaines générations. Et c’est la leçon qu’on peut retenir de ce poème: que nous finissons tôt ou tard par revenir chez nous, car autrement, partir pour partir n’a pas de sens, s’il n’y a pas un retour. Sans cela, le voyageur est condamné par disparaître dans l’oubli, une fois emporté par la mort.
Bien sûr, on pouvait avoir des interprétations multiples et différentes de ce poème chéri par Yoichi en ce qu’il s’identifiait tout autant que son interlocuteur, au personnage évoqué dans le récit. La nostalgie ne cessait de hanter ses errances et c’est pourquoi il ressentait le besoin fondamental d’opérer cette purgation des émotions à travers cette performance artistique. Une manière de se soulager d’un fardeau en le partageant avec d’autres frères et sœurs connaissant les mêmes tourments et les mêmes aspirations.
— En parlant de “chez nous”, je m’appelle Minamoto Yoichi, et je suis originaire de Tetsu. Quelle curiosité vous amène donc à croiser mon chemin au Havre d'Ida, bel étranger?
Dernière édition par Minamoto Yoichi le Sam 6 Jan - 10:34, édité 1 fois |
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Sam 30 Déc - 10:01
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▶ Sujet: Re: Sur la route d'Homura [Minamoto Yoichi] Alors ce voyageur n'avait pas vraiment existé… Il n'était qu'une allégorie, un symbole de poète qui servait à effectuer de jolies figures de style. Comme une marionnette dont on agite les membres en tout sens, pour amuser le public, et qui, une fois son spectacle achevé, retombe mollement, sans vie et sans personnalité. Ubu ne put s'empêcher de ressentir une certaine déception en entendant la réponse de l'artiste. À quoi s'était-il attendu ? À trouver la piste d'un compagnon, d'un homme partageant son sort et qui aurait pu lui servir de guide, sinon sur les routes qu'il devrait emprunter physiquement du moins sur celle de sa vie, bouleversée à jamais par la quête dans laquelle il s'était lancé à corps perdu ? Son inconscient avait sans doute fait naître cette graine d'espoir malgré lui. Il devait admettre se sentir terriblement seul depuis son départ de son village natal : là-bas étaient restés tous ses amis, les compagnons de ses jeux d'enfance, et sa fiancée, la plus charmante des jeunes filles. Il n'avait emporté avec lui que le souvenir de leurs rires et de son dernier baiser. La chaleur d'une étreinte, voilà ce qui lui manquait cruellement.
Pour toutes ces raisons, dont il ne parvenait pas à saisir lui-même la teneur, il se contenta de répondre, d'abord, par un sobre :
"Ah. Bon…"
Les explications du poète ne l'aidèrent pas tant. La portée de l'histoire était belle, sans doute, et son message plein d'une sagesse grandie par chacune des bouches qui avaient récité ces vers, mais tout ça ne parlait pas tant à Ubu. Il savait déjà que tout l'intérêt de sa quête à lui était dans le retour. C'était même pour rentrer chez lui qu'il s'y était lancé. Mais ce retour, il ne l'imaginait qu'avec ses parents. Leur trace, il la cherchait encore. Du reste, il se fichait bien de finir dans l'oubli. Dans sa famille, on n'avait jamais officié pour la postérité. De telles visées étaient bonnes pour les véritables héros, ceux qui cherchaient à changer la face du monde par leur seule action. Les Kawazu se contentaient d'entretenir leur rizière, qui elle-même entretenait les estomacs de tous les gens de leur village. C'était déjà beaucoup de travail, merci bien : nul besoin d'y ajouter la charge d'une postérité exceptionnelle, d'exploits extraordinaires ou de toutes ces sortes de grandes actions dont on n'entend parler que dans la bouche des conteurs et des gens du voyage.
Il se réjouit que Yoichi - puisque c'est sous ce nom qu'il se présenta - changeât de sujet. Discuter de leurs origines était sans doute bien plus réjouissant que de le laisser se morfondre dans le désespoir qu'était son aventure. Il n'avait jamais entendu parler d'une terre qui s'appelât "Tetsu". Comme il n'avait pas de honte à avouer son ignorance, il se lança donc avec sa candeur caractéristique :
"Oh, Tetsu ? Qu'est-ce que c'est ? C'est dans le coin d'Homura ? Parce que c'est là-bas que je vais. J'espère y trouver des pistes pour… l'affaire qui m'occupe."
Il ne tenait pas spécialement à parler de l'objet précis de son voyage. Pas tant par prudence - il était trop ingénu pour ça - mais plutôt pour ne pas se miner le moral en se rappelant encore que la vie de ses parents était entre ses mains, et que ses mains étaient bien incapables de porter un tel fardeau. Il ne faisait cependant aucun obstacle à dévoiler d'où il venait et ce fut dans cette voie-là qu'il s'engagea :
"Moi mon village est à plusieurs jours de marche d'ici. Il n'est pas bien grand, à peine quelques maisons, mais tout le monde s'y connaît comme dans une famille. Ma famille cultive une rizière, depuis des générations. Je crois qu'on était des esclaves, il y a très longtemps. Du temps des grands empires. C'est la première fois que je pars aussi loin et pour aussi longtemps. C'est un peu excitant, mais surtout assez effrayant, je trouve. Vous devez être souvent sur la route, vous : on voyait passer des poètes dans votre genre dans mon village, pour les grandes fêtes. Ils nous racontaient leurs histoires et un peu leur vie, aussi. Ca ne vous fatigue pas, tout ça ?"
Un enfant n'eût pas formulé ses phrases différemment.
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Sam 6 Jan - 14:02
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▶ Sujet: Re: Sur la route d'Homura [Minamoto Yoichi] Placé sous le signe de la sérendipité, l’abouchement des sentiers leur avait conduit à faire l’exégèse introspective d’un poème auquel ils s’identifiaient respectivement selon leurs pérégrinations personnelles. L’un comme l’autre, ils reconnurent cette ligature jusqu’à en former des caractères, et à partir des caractères des mots. Des mots pour qualifier le non-dit, des phrases pour exprimer leur rapport face à la réalité et à ses vicissitudes. Un message suffisait à rassembler les âmes esseulées — les esprits vagabonds prompts à rompre leur fil d’Ariane avec la société, un seul colporteur et sa lyre se suffisait à faire écho à la déréliction partagée par ses confrères du monde. Galvanisé par sa mission de prêcheur sans-frontières, il lisait dans les cœurs transis par le mal du pays, la doxa cosmopolite qui composait son audience, son verbe épousait les formes de leurs aspirations et contemplations que rien ne pouvait purger jusqu’à aujourd’hui. L’agrégation des réminiscences était le catalyseur qui leur faisait découvrir la portée de leurs actions dans le cycle inexorable de la vie. Cette première se révélait à eux avec une vivacité d’autant plus édifiante qu’elle tempérait chez eux le goût de la nostalgie, et en même temps, stimulait la poursuite vers de nouveaux horizons. Ainsi, il n’existait guère sur terre meilleur remède aux maux du cœur que la maïeutique opérée par la raison.
La houle des cheveux de seigle couronnaient le front du zadig bienheureux. Celui-ci exprimait son intérêt pour le poème mais manquait définitivement les mots pour répondre à la réponse du poète éphèbe qui dépeignait la portée philosophique du poème, transportant le sujet de l’oeuvre vers des horizons idéels et intellectuels que tous ne pouvaient contempler sans poursuivre individuellement une quête approfondie de l’érudition. Qu’à cela ne tienne, le rôle du message n’était pas tant de faire l’étalage d’une connaissance inaccessible que de se placer en tant qu’il était le traducteur des émotions indescriptibles par la gente populaire, employant avec les moyens de la langue vulgaire, une éloquente tirade embellie par la faconde de l’esthète. En raison de ses origines plébéiennes, il lui était aisé de se mettre dans le rôle du démagogue, de son promontoire dans l’Agora, défendre le sort des laissés-pour-compte, éclopés et purotins. Il ne le faisait pas tant pour la poursuite du gain, que par obligation morale, un devoir qui passait par la nécessité de parcourir toutes les terres du continent, et l’examiner sous toutes ses coutures. Qu’il fût matériel ou immatériel, l’ambition était à la discrétion de chaque voyageur qui désirait laisser sa marque sur le monde.
Au moment de répondre à son interlocuteur qui lui demandait des renseignements sur Homura, Yoichi, touché par la grâce de la muse, leva son doigt comme pour signaler à l’audience de ne plus faire de bruit et le laisser déclamer sa prose:
— Quittant l’Havre d’Ida suivez le vent de l’Ouest, Marchez jusqu’au chêne vénérable de mille ans, Aux vallées plantureuses et rivières fluettes, Naviguez la houle qui emporte les marchands.
Homura vous cherchez, prenez garde là-bas, Des hommes bons vous trouverez, sages et bien avisés Dans la ville où richesse et intrigue se côtoient, Isolez vos ennemis, préservez vos alliés.
A ce moment-là, il tira sa révérence en réponse aux réactions des personnes qui assistèrent à cette nouvelle prestation de la part de l’artiste exalté par la rencontre avec le vaillant aventurier.
— Le pays du Feu est magnifiquement riche, la prodigalité de ses ressources aurait de quoi décourager les habitants de mon pays, où nous arrivons à peine à y faire pousser des cultures, la terre y est gelée et infertile. Mais ici, je vous avoue que tout semble si… Riche et éclatant de vie… j’aurais aimé rester plus longtemps, mais ma quête m’emmène vers le nord-est. La manière dont vous décrivez votre village, cela me rappelle beaucoup nos propres interactions à Tetsu… D’ailleurs, quelque chose me vient encore…
Il marqua un temps de pause, faisant le même signe à l’audience de s’interrompre pour le laisser décrire un tableau de son pays:
— Terre glaciale et hostile, nourricière et fragile, Famine et indigence ô capricieuses maîtresses, Le supplice qu’elles infligent aux cœurs et corps fébriles. Retourner sur mes terres, ce credo je professe.
A ces mots il se mura dans le silence, regardant son interlocuteur avec insistance, par mimétisme le reste de l’audience fixait leurs yeux vers Uku comme s’ils attendaient quelque chose de sa part, peut-être qu’il l’aide à clôturer sa performance?
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Dim 14 Jan - 11:36
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▶ Sujet: Re: Sur la route d'Homura [Minamoto Yoichi] Un silence pesant, lourd d'attente était tombé sur la salle. Chacun attendait. Pas un verre ne remuait, pas un souffle ne s'échappait de lèvres un peu écartées sans paraître s'excuser de ce dérangement infime de la quiétude. La taverne entière était suspendue aux lèvres d'Ubu. Quel prodige de poésie ce jeune allait-il produire, pour clore les vers de son aîné ? Il devait lui aussi être un de ces artistes prodigieux, qui font le bonheur des buveurs, car il s'entretenait depuis un moment déjà avec celui qui avait ravi les esgourdes de tout ce peuple soiffard. Alors, quelle magie des mots convoquerait-il pour ponctuer, enfin, la poésie si joliment commencée ?
Ubu n'avait jamais composé de vers. S'il en avait récité, c'était par pur mimétisme : il s'était contenté de répéter ceux qui lui étaient parvenus, par le truchement des chansons rapportées par ces bardes des grands chemins dont il avait parlé à Yoichi. Il ne se serait hasardé pour rien au monde à composer ses propres histoires. L'idée d'ailleurs ne lui était jamais venue à l'esprit. Et là, en plus, il ne s'agissait pas de raconter une histoire mais bien d'exprimer des choses allant au-delà du récit et touchant à la nature plus profonde des hommes. Autant dire qu'il n'avait aucune idée de la façon d'agencer des mots pour dire quoi que ce soit de cet ordre-là. Il ne connaissait pas le sens de la poésie, ne savait pas même appréhender son véritable charme : il se contentait d'apprécier les rimes, qui étaient comme un jeu de devinettes pour savoir comment on terminerait cette phrase alambiquée, trop compliquée pour être naturelle mais ma foi bien sympathique tout de même.
Pas question, cependant, de faire défaut à Yoichi. Surtout, pas question de rester silencieux devant une telle assemblée. Diable, un peu de courage ! S'il flanchait devant cet obstacle, que ferait-il lorsqu'il trouverait, sur sa route, des adversaires redoutables qui exigeraient de lui qu'il convoquât jusqu'aux plus infimes morceaux de courages qui peuplaient son coeur ? Tant pis s'il disait n'importe quoi, mais il fallait bien parler. Il inspira profondément, gonfla la poitrine, et déclama :
"Ô mes rizières, mes champs, mes marais,
Il est loin le temps de nous aimer.
Je suis parti, hélas, encore enfant.
Je reviendrai, un jour, déjà adulte. "
On applaudit, poliment. Il n'avait pas produit de la grande poésie, c'était certain : ses rimes n'étaient pas de grande qualité, lorsqu'elles existaient, et le ton de sa déclamation était en décalage avec son propos. Inconsciemment ou non, il avait produit un texte d'une certaine mélancolie. Yoichi avait parlé de ses propres terres natales alors, naturellement, Ubu s'était senti enclin à dépeindre les siennes. Surtout, à dépeindre le sentiment qui étreignait sa poitrine lorsqu'il y pensait.
Le brouhaha des conversations reprit et Ubu put, à son tour, reprendre la sienne avec Yoichi. Il espérait que les interludes poétiques ne se répéteraient pas sans cesse, car l'artiste éveillait sa curiosité. Il était un personnage haut en couleur et Ubu devinait qu'il en savait beaucoup sur des coins du pays, voire du monde, dont il n'avait lui-même pas idée. Ses conseils déguisés sous la forme de vers au sujet d'Homura étaient restés ancrés dans la cervelle du jeune homme. Aussi reprit-il sur ce sujet-là :
"Homura est si dangereuse que ça ? Je sais que c'est une ville très riche, que c'est la capitale de l'Empire et toutes ces choses-là. Mais vous pensez que je pourrais y faire de mauvaises rencontres ? Parce que bon, je n'ai rien à offrir à des brigands. J'ai presque pas d'argent et je sais rien faire de mes dix doigts, à part cultiver des rizières. On pourra pas me vouloir du mal, hein ?"
Il trahissait à demi-mots les angoisses sourdes qui l'assaillaient depuis la récitation du poème. La crainte d'être pris pour cible par toutes sortes de malfrats aux intentions obscures. La crainte que ses cuisses de grenouille finissent frites sur la table d'un noble aux moeurs étranges.
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Ven 26 Jan - 18:26
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▶ Sujet: Re: Sur la route d'Homura [Minamoto Yoichi] La performance du jouvenceau ne laissa pas l’audience indifférente, les applaudissements solennels reflétaient la réaction des clients qui, accoutumés aux chansons des artistes vagabonds, ont vu leurs goûts s’affiner au fil des jours. Il ne fallait donc guère s’attendre de leur part à un véritable engouement. D’une certaine manière, ils respectaient l’effort du bellâtre chansonnant, jouant sur le thème du voyage retour, faisant écho aux précédents vers du maître des mots qui le regardait d’un air bienveillant. Un sourire se dessinait sur son visage rayonnant d’une complicité juvénile, bien conscient de ce qu’il venait d’imposer à son camarade étranger, il s’amusait intérieurement de l’avoir placé dans cette situation, mais n’en appréciait pas moins l’étendue de son verbe et l’inspiration dont il fit montre à l’instant. Car si les mots manquaient souvent, le signifié s’exprimait au-delà du signifiant, l’émotion pétillait au travers du regard et de la passion qui pulsait dans les gestes naturels décrits par l’aventurier natif du Feu. Ce dernier se montrait curieux quant aux routes menant au village shogunal, tant et si bien qu’il insista auprès de son interlocuteur pour en connaître davantage sur les “mauvaises rencontres” qu’il pût y faire. Des rencontres, il en fit, mais pouvait-il les qualifier de mauvaises quand chacune d’entre elles furent édifiantes à leur manière. Une fenêtre sur la condition humaine, la vision de l’autre, les semblances et altérités des âmes errantes convergeant sur les sentiers du destin.
Des personnalités intrigantes, excentriques et stupéfiantes. Un guerrier avec des valeurs nobles cherchant à réformer son clan, un maître guérisseur d’une tribu autochtone aspirant à aider les petites gens, un fanatique mystérieux à la verve prosélyte ou encore une aventurière au naturel indomptable assoiffée de liberté. Autant de personnages colorés ayant marqué son séjour derrière les murs d’une cité impériale, capitale du pouvoir et irradiant de prospérité. Il fut témoin des aspérités du tissu humain qui composait la peuplade locale, les franges populaires marginalisées, la classe nobiliaire dans toute sa splendeur. Intercalé entre les forces en présence, il s’était intéressé à l’histoire et au patrimoine qui solidifier l’assise de cette puissance dominant le Yuusei, les clans de guerriers conféraient ses lettres de noblesse à la grande Homura. Yoichi réalisait aux paroles de son interlocuteur qu’il avait face à lui un travailleur de la terre, et plus spécifiquement, des rizières. Un profil qui n’était pas sans susciter chez lui une certaine forme d’identification puisqu’il était lui-même un roturier, quoiqu’il n’avait eu le loisir de cultiver quoi que ce soit, tant son pays était ravagé par un blizzard infernal et un sol infécond. Le plaisir d’ensemencer ses champs, de porter à ses mains écorchées le fruit du labeur quotidien, contempler le vaste horizon de granulés brillant sous les lueurs du soleil levant. A la question du laboureur des champs il répondit naturellement:
— Vous savez, moi je ne crois pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise rencontre. Il se lança alors dans une longue tirade, une apologie de la vie et ses rencontres, tantôt heureuses, tantôt moins. C’était dans cette balance aléatoire que résidait l’essence de l’existence humaine:
— Moi, si je devais résumer ma vie aujourd’hui avec vous, je dirais que c’est d’abord des rencontres. Des gens qui m’ont tendu la main, peut-être à un moment où je ne pouvais pas, où j’étais seul chez moi. Et c’était assez curieux de se dire que les hasards, les rencontres forgent une destinée. Parce que quand on a le goût de la chose, quand on a le goût de la chose bien faite, le beau geste, parfois on ne trouve pas l’interlocuteur en face je dirais, le miroir qui vous aide à avancer. Alors ça n’est pas mon cas, comme je disais là, puisque moi au contraire, j’ai pu; et je dis merci à la vie, je lui dis merci, je chante la vie, je danse la vie… je ne suis qu’amour! Et finalement, quand des gens me disent “Mais comment fais-tu pour avoir cette humanité?”, je leur réponds très simplement que c’est ce goût de l’amour, ce goût donc qui m’a poussé aujourd’hui à entreprendre une construction mécanique… mais demain qui sait? Peut-être simplement à me mettre au service de la communauté, à faire le don, le don de soi.
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▶ Sujet: Re: Sur la route d'Homura [Minamoto Yoichi] |
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