▶ Sujet: Nakamairi

Ton irruption dans le centre névralgique de la vie administrative de Kirigakure no Satô ne se fit pas sans sursauts, malgré ton appartenance plus qu’évidente à l’un des trois piliers de ce village militaire. La rareté, voire même l’absence totale de guerriers tels que toi, de Kaguya vivant au quotidien selon les voies ancestrales et primitives, se confirmait chaque moment un peu plus depuis ton arrivée. Avec une assurance qui n’eut d’égale que la méfiance qu’on te témoigna, tu te mis en quête de la figure d’autorité dont tu avais besoin, de cette personne qui aurait le niveau de responsabilité nécessaire et suffisant, accès aux informations indispensables, afin de te soumettre au plus vite à la sanction de l’examen. Celui-là même auquel tu avais échoué plus d’une décennie plus tôt, rongé par un mal qui avait bien failli te coûter la vie. Le nom de Bankichi, et ce malgré ta réticence initiale à l’utiliser à cette fin, te permit d’enfoncer figurativement quelques portes un peu trop récalcitrantes à ton goût. On te reconnaissait sans aucun mal ni compromis ton appartenance au clan Kaguya, mais le fait de ton identité exacte posa davantage de problèmes. Un obstacle qui fut finalement levé une fois que tu eus trouvé l'interlocuteur qu'il te fallait.

Ancien cadre de l'administration désormais retiré à des fonctions subalternes, ce Mura Sôsuke t'apparut assez vite comme un homme compétent, à l'esprit vif malgré son âge désormais fort avancé, et qui disposait autant du bagage que de la prestance nécessaire pour imposer ses solutions à ses collègues moins rompus aux exercices de ce style. Il était en effet, et tu l'admettais fort volontiers, certainement très peu courant de devoir aller fouiller dans des registres vieux de plus de dix ans afin de ramener officiellement à la vie un Aspirant considéré comme mort. Une tâche qui nécessitait un aplomb et une volonté sans faille, dans un milieu qui pouvait se montrer tout aussi impitoyable que la jungle dans laquelle tu avais vécu jusque là. La bureaucratie. Heureusement, comme c’était le cas dans ton souvenir, beaucoup d’individus au sein de la Brume avaient bien plus à coeur de nourrir la force de cette dernière plutôt que de laisser des peccadilles se mettre sur le chemin de ce qui était juste. Sôsuke était de ceux-là, et il te mit dès lors devant le test préliminaire le plus pragmatique qui fut : réciter le Code Assassin.

De toute ta hauteur, tu te redressas alors, un sourire dentelé fendant tes lèvres ornées d’ossatures défensives. Le défi était à la fois d’une simplicité enfantine et d’une difficulté relevée, pour toi qui n’avais pas pu converser avec quelque shinobi de Kiri que ce soit depuis des âges, à l’exception de ce Bankichi qui t’avais escorté jusqu’au coeur du village. Sans dire un mot, campé devant Sôsuke, tu replongeas alors dans les tréfonds de tes souvenirs, lointains, nébuleux, mais pour autant toujours bien présents. Morceau par morceau, tu allas récupérer les bribes éparpillées, ravivas les braises de ta mémoire, et ne finis par délier ta propre langue qu’une fois certain d’avoir rassemblé ce dont tu avais besoin.

«  ...Mourir pour la Brume, abandonner, tuer mes camarades pour la mission. Suivre les ordres… M’entraîner, rester à Son service. Obéissance… Tuer Ses ennemis.  »

Tu n’avais oublié aucun précepte et, fort de cette certitude, tu toisas l’archiviste du regard. Pourtant, dans ses yeux, tu lus d’abord une forme de déception, suivie de près par une compréhension intime d’une faute dont tu n’avais même pas connaissance. Un court moment, tu le dévisageas alors, lui intimant de te dire avec tout le poids de ta carrure ce que signifiait cette attitude presque désinvolte, insultante. Intolérable. De vive voix, il t’expliqua alors les grandes lignes de ce phénomène, de cette entité que tu étais voué à ne jamais pouvoir remettre en question selon ce dernier précepte qui était depuis ton époque venu s’ajouter aux autres.

« ...Brume sanglante, l’alliée de Kiri… Je comprends. »

Tu avais échoué, une fois de plus. Une frustration indicible faillit alors s’emparer de toi, te ramenant à la honte et à la disgrâce qui t’avaient envahies jadis. Comme à l’époque, tu avais l’excuse parfaite,  l’alibi tout trouvé, mais toi comme ton clan n’aviez que faire des excuses et des explications. Seul comptait le résultat. Mura Sôsuke, pour sa part, vit la chose avec une plus grande magnanimité. Absent du village depuis une douzaine d’années, tu n’avais pas pu avoir vent de l’avènement de la Brume Sanglante, n’avait eu aucune connaissance des disparitions dont elle était apparemment l’autrice, et aurais été dès lors bien incapable de deviner qu’un nouveau précepte avait été ajouté aux précédents. Tu grinças des dents, ton orgueil t’empêchant d’accepter pleinement l’opportunisme de ce verdict tandis que ton pragmatisme te dictait d’aller de l’avant pour avancer sur la voie. L’un était, en l’occurrence, voué à prendre le pas sur l’autre, tandis que Mura Sôsuke, bien au fait des règlements mis à jours et actualisés qui concernaient les passages de grades au sein de la Brume, prit le soin de te les communiquer… et de t’inscrire derechef sur la liste des Aspirants qui, le jour-même, allaient se soumettre aux épreuves.

▶ Sujet: Re: Nakamairi

Tu n'eus besoin d'aucune autre explications que celles données oralement par Mura Sôsuke pour savoir où te rendre. Bon fonctionnaire, le vieil archiviste t'assura qu'il se chargerait de mettre à jour tous les documents papier te concernant, et que tu serais libre de participer aux épreuves réservées aux Aspirants en parallèle avec le simple renfort d'un parchemin portant son sceau. Épreuves qui, en ce jour, allaient se dérouler non loin à l'extérieur du village, dans un pan de marécage fortement boisé dont tu te rappelais fort bien. Beaucoup de choses avaient changé à Kirigakure no Satô, à commencer par sa régence, mais il semblait malgré tout, et heureusement, que bien d'autres étaient restées fidèles à ce qu'elles avaient été à ton époque. Ce marais, tu le connaissais en effet, l'avais pratiqué de nombreuses années lors de tes entraînements quotidien, et il n'était pas surprenant que les autorités du village, dans leur ambition inflexible de maintenir et développer la force du pays, aient continué à organiser des tests dans ce genre d'endroit. Hostile, impitoyable et dangereux.

Le parchemin signé par Sôsuke fermement tenu en main, tu te hâtas donc de rejoindre le point de rendez-vous qui avait été donné aux Aspirants de cette promotion, adoptant une foulée ample, sauvage, presque féline. Rapidement, tu obtins le visuel sur le groupe qui s'était déjà constitué, et qui faisait dors et déjà face aux deux gradés, certainement Chûnin, qui seraient chargés de juger leur performance. A pas feutrés, tu terminas alors ton approche, prenant instinctivement tes derniers appuis avec une agilité redoublée comme tu l'avais fait des milliers de fois auparavant pour fermer la distance avec ta proie. Ce fut presque au prix d'un effort conscient que tu infléchis finalement ta course pour aller atterrir non loin du groupe d'Aspirants sans aller arracher la carotide à l'un des examinateurs, arrachant à celui de gauche un sursaut notable. Tu fis peu de cas de leur surprise, de même que de leur expression en te voyant déambuler ainsi simplement vêtu d'ossements, et te contentas de transmettre le parchemin rédigé par Mura Sôsuke avant d'aller prendre place au côté des jeunes gens rassemblés là. Le Chûnin termina sa lecture, redevenu pleinement maître de lui-même.

« ...Shinji. Il semble qu'on ait un participant de dernière minute. On a ce qu'il faut ?
- Ça devrait aller...
- Zetsumei. On a déjà donné les consignes, et je déteste me répéter. Observe bien et peut-être que cette fois, tu te foireras pas comme une morue.
- … A vos ordres, Senpai. »

Il avait s'agit là d'une tentative bien vaine de te faire perdre ton calme et ta concentration. Une procédure plutôt standard à ce niveau, à laquelle devaient certainement déjà avoir eu droit tous les autres aspirants au grade de Genin qui se trouvaient à ton côté. Tu en avais décompté une douzaine en arrivant : jusqu'à la moitié, certainement, connaîtraient un sort similaire au tient. Exilés et mis à l'épreuve de la vie sauvage. Une expérience qui, pour ta part, t'avait beaucoup réussi. Bien plus que ce que pouvaient supposer les deux gradés chargés aujourd'hui de faire passer les épreuves. Peut-être, quand tu aurais pu terminer ce chapitre ennuyeux et poussif de ta quête, rendrais-tu une visite plus intime à ce Chûnin. Une entrevue plus courtoise, où vous pourriez prendre davantage le temps de faire connaissance et où lui, en particulier, pourrait alors apprendre les leçons que tu avais tiré de ton échec. Des enseignements peints dans le sang et sculptés dans la chair.

Mais ces délices allaient pour toi devoir attendre, car la première épreuve ne tarda pas à débuter. Il s'agissait du gantelet, un classique auquel tu avais eu droit par le passé, au cours duquel chaque prétendant au grade de Genin devait s'acquitter d'un parcours tout ce qu'il y avait de plus tortueux au cœur du marais. La consigne était simple : arriver à destination. Ce que chacun découvrait à ses dépends en entamant sa course, c'était que la traversée s'effectuait sous un feu nourri et quasi ininterrompu de projectiles, expédiés sans répit par les examinateurs tapis dans l'ombre des arbres décharnés et cerclés par la brume. Il ne s'agissait que de la première épreuve, et beaucoup de candidats dépensaient instinctivement le plus d'énergie possible pour éviter et parer les tirs qui menaçaient leur intégrité physique. Les examinateurs, à vrai dire, comptaient bien sur ce fait. Tu avais pu être témoin de cela, autrefois. Tu avais vu l'épuisement sur le visage des Aspirants qui cherchaient désespérément leur second souffle, des ressources supplémentaires pour réussir à passer les tests suivants, en vain. Toi-même à l'époque, affaibli par la maladie, il t'avait fallu puiser dans tes réserves pour parvenir au terme de ce parcours avec un minimum d'entailles. Mais aujourd'hui...

Oui, te dis-tu avec une conviction formidable. Aujourd'hui serait bien différent. Lorsque vint ton tour de t'élancer, dans le silence de mort des marais, tu filas à une allure de croisière qui surpassait allégrement le sprint de n'importe quel des Aspirants passés avant toi, au point qu'il fallut quelques secondes supplémentaires aux deux examinateurs pour se caler sur ton allure et ajuster leurs tirs. Des assauts dont tu identifias rapidement la provenance... et contre lesquels tu n'agis d'aucune façon. L'écho des impacts sur ta carapace osseuse résonna faiblement au cœur des marais, et alors que tes appuis redoutables te faisaient changer subitement de direction pour tromper tes assaillants et te jouer de leurs tentatives de te faire le moindre mal, tu acquis une nouvelle certitude.

Cette fois, la victoire t'appartenait.