@Uzumaki Seto @Kawasaki Kaïto

Eté 83, Pays du Feu - Homura.

Assis sur un tonneau, entre deux caisses en bois, j’observais en silence les va-et-vient incessants des homurajins et autres personnages. Malgré tout ce temps passé dans la capitale, cette dernière arrivait encore à m’étonner. Le quotidien de ces hommes et de ces femmes était d’un ennui mortel. Ils n’avaient pour eux que cette capacité à ébahir autrui par leurs comportements. Si la banalité d’un grand nombre d’entre eux laissait bailler aux corneilles ma mâchoire, certains sortaient du lot et accaparaient toute mon attention.

Une attention qui savait se satisfaire d’une foison de choses. Mes petites cellules grises se nourrissaient voracement de tout ce que mes sens pouvaient absorber pour les substanter. Pour s’aventurer sur le terrain des secrets de l’esprit humain, il fallait savoir se contenter de peu d’originalité et de beaucoup de médiocrité et de clichés, tout aussi platoniques les uns que les autres.

Parmi ces brouhahas incessants et fort peu intéressants, une voix s’était élevée. Au départ, elle n’avait été qu’un murmure parmi d’autres, tout juste solvable pour attiser l’intérêt de mon cerveau. Faute d’avoir mieux à faire et tout de même intrigué par cette initiative venant d’un étranger à la faction, j’avais fait le déplacement, dans l’espoir que son affection pour les mystères soit à la hauteur de ses présomptions.

Un jeune homme au teint mat interpella une rouquine. Si je devais m’en tenir à leurs caractéristiques physiques, je ne pus retenir une grimace. Le premier devait être le propriétaire de ce chuchotement. La seconde, une Uzumaki. Ils approchaient tous deux de la trentaine… A deux ou trois ans près. Dans quoi étais-je en train de m’embarquer ? Le regard ahuri du jeune homme n’avait rien à envier à celui d’illuminée de la demoiselle.

Tout en bourrant ma pipe, je sautais de mon tonneau et m’approchais d’eux. Je ne savais pas déterminer avec précision ce qui était le plus triste dans cette histoire. Que ce Shinjiro se prenne pour un enquêteur alors que sa cervelle était encore plus à la ramasse que la moule du coin. Et encore, là, c’était insulté la moule. Elle avait certainement plus de QI que cet énergumène. Ou que cette Seto se prenne pour une historienne tacticienne sortie du trou du cul du monde. Son résumé des faits, en plus d’être bancal et incomplet, était aussi vide d’intérêt que la merde déposée à l’instant par ce clébard rachitique entre le mur d’une bicoque et le perchoir que je venais de quitter.

« J’vous adresse mes salutations… »

Calant la pipe entre mes lèvres, je sortis une boîte d’allumette. Je pris soin d’émoustiller avec la flamme du bâtonnet les herbes contenues dans ma bouffarde. Ayant pris le parti de me faire oublier depuis ma mise à pied, j’obtins de mon irrécupérable caractère de petit merdeux qu’il se taise quant à son avis sur mes compagnons de voyage.

« J’vais être franc avec vous… »

Je tirais sur ma pipe et vins me placer un peu à l’écart de mes camarades de telle sorte que, lorsque je recrachais la fumée, celle-ci virevolte et s’envole loin d’eux. Ils n’avaient pas à subir passivement mon tabagisme. Je rangeais l’étui contenant les allumettes dans l’une de mes sacoches, avant de reporter mon attention sur mes interlocuteurs.

« Personne n'est dupe. Des infiltrés… Il y en a. Généralement dans les lieux auxquels on n’pense pas. C’est là où ils ont été malins. Surtout Naga. Avant de trahir la cause, il s’est assuré d’être bien implanté dans le décor. Il savait déjà que ses proches et ses alliés seraient suspectés. Si parmi eux, certains sont effectivement d’son bord, c’n’est pas là qu’il aura placé ses meilleurs pions. Quelque soit ses plans, il a b’soin d’avoir des… hum… je n’apprécie guère les appeler ainsi, mais il n’y a pas d’autres mots pour les définir… des pions. Oui. Des pions, il en a b’soin pour asseoir sa domination sur tout le yuusei. »

Je murmurais, grinçant des dents face à un constat aussi désolant.

« Ce n’sont que des pantins qu’il jettera dès qu’ils ne seront plus utiles à ses projets… Le sang va devoir encore couler pour que ses ambitions soient assouvies. Mais, de c’côté là, nous avons bien plus de souci à nous faire en c’qui concerne Janome. Ce mec est complètement fou. Tuer… Il le fait plus par plaisir que par pure nécessité… »

Je reportais mon attention sur mes congénères.

« Naga comme Janome sont des adversaires diablement intelligents. Ils le savent. Nous l’savons. Les probabilités que nous remontions jusqu’à leurs associés sont bien trop minces pour que nous perdions notre temps à les chercher pour l’moment. S’ils étaient aussi faciles à trouver, nos supérieurs les auraient d’jà chopé. »

Je tirais une nouvelle fois sur ma pipe.

« Naga est-il vraiment notre meilleure porte d’entrée ? Certes, le rapport d’Hanabi sur la piste de Kyûbi est… »

Si Seto parlait de ce fameux jour, j’y étais aussi.

« … intéressant, tout au plus. Mais inexploitable pour le moment. Sa trace disparaît là où elle a dressé l’arbre rose. A c’compte-là, l’invasion d’Oto, le temple souterrain, Rindô, l’incendie de 64 ou le massacre de Janome en 75 sont tout aussi… comment as-tu dit ? Ah oui. Précieux. Oui. Ils sont tout aussi précieux que ce rapport dont tu nous parles. Pourtant, tout aussi précieux soient-ils, ce ne sont que des pièces d’un puzzle qui, malheureusement, n’ont aucun lien précis entre eux, hormis le fait qu’elles incriminent l’un ou l’autre des plus grands criminels de notre pays. Certaines situations prennent même un plaisir à ne pas choisir entre les deux. »

J’avais travaillé avec le vieux sur le ton employé et sur ce que je pouvais me permettre de dire ou pas à mes congénères. Celui employé actuellement était posé, bien qu’une certaine pointe d’agacement pouvait se sentir sur certaines phrases. Je ne comprenais pas que des propos aussi simples soient aussi compliqués à envisager pour mes partenaires. Une furieuse envie de les secouer en les insultant me titiller : dans quel monde vivaient-ils ? Ils devaient se réveiller. Rapidement.

J’étais le premier à reconnaître que je n’étais pas apte à vivre en société. Pourtant, je comprenais avec plus de lucidité les évènements liés à Naga et Janome. Avaient-ils seulement conscience de ce qu’ils faisaient ? Ils entreprenaient une quête sans savoir par où commencer et visaient clairement des objectifs qui, à l’heure actuelle, étaient hors d’atteinte. Il n’y avait aucune logique dans leurs propos. Comme s’ils balançaient des mots les uns à la suite des autres, en espérant que certains d’entre eux formeraient un semblant de plan rationnel et cohérent.

« Je n’souhaite pas perdre mon temps à brasser d’l’air… J’ai clairement autre chose à foutre… »

Oups. Mes mauvaises habitudes linguistiques reprenaient le dessus. Je secouais vivement la tête pour reprendre aussi vite que possible la main sur mon insupportable caractère.

« J’repose donc ma question. Es-tu certaine de toé ? Penses-tu que Naga et les liens qu’il a potentiellement eu avec certains membres du shogunat soit le meilleur angle d’attaque pour cette chasse aux mystères ? Si c’est l’cas, j’te laisse volontiers prendre les rênes de notre trio et donner des directives en conséquence. »

Mon attention se porta sur Shinjiro.

« A moins que tu aies une meilleure idée à proposer ? »

Pour ma part, j’en avais une : remonter la piste des ottojins. Comment avaient-ils réussi à avancer aussi loin dans le territoire sans qu’Homura ne soit prévenu ? Nous avions su qu’ils étaient là au moment où ils avaient frappé à nos portes. Concrètement, une armée de cette taille laisse forcément des traces et ne peut guère passer inaperçue sans avoir une aide intérieure. Qui avait eu le loisir, l’opportunité et les ressources de le faire sans prendre le risque de se faire repérer ?

Pourtant, je n’en fis rien. Je ne voulais pas prendre la tête du groupe. Nous n’étions pas réunis de par mon initiative. J’étais clairement plus à l’aise en retrait. J’espérais ne pas avoir à foutre un grand coup de pied dans leurs petits culs mal fagottés. Ils voulaient jouer dans la cour des grands. Cela ne me gênait pas. Mais qu’ils le fassent bien… et en silence. Le silence était d’or… jusqu’à ce que nous trouvions des indices concrets à remettre à nos supérieurs. Il ne manquerait plus qu’on se fasse repérer par l’adversaire avant même d’entrer dans l'arène !

Eté 83, Pays du Feu - Homura

J’écoutais d’une oreille distraite les raisonnements de mes camarades. Mon regard suivait l’étrange forme qui se déplaçait sous les vêtements de Shinjiro. Puis, lorsque la tête de l’écureuil sortit, mon regard s’illumina comme celui d’un enfant émerveillé par ce qu’il avait sous les yeux. Ses paupières crispées ne m’échappèrent guère, alors qu’il m’avait à peine regardé. Mon enthousiasme et mon extase face à la petite bête s’estompèrent instantanément pour laisser place à une profonde tristesse.

De tous, cette bestiole était la plus à même d’ouvrir la porte de cette muraille dressée entre le monde extérieur et mon âme. Elle était ce lien indubitable entre l’être humain et la nature. Pourtant, ce petit bonhomme ne semblait guère m’apprécier. Cela me fendit le cœur. Je me renfrognais à nouveau, mon regard s’assombrissant une nouvelle fois, comme si je cherchais à cacher mon esprit aux autres.

Ne me sentant absolument pas concerné par la discussion sur les traits héréditaires, je tirais plusieurs fois frénétiquement sur ma pipe, vexé que l’animal met ainsi repoussé. Si pour les homo sapiens je n’hésitais à m’imposer lorsque je jugeais cela nécessaire, je ne me permettais pas ce genre de comportement avec une bête. Quelle qu’elle soit. Dans ma religion, les bestiaux étaient les envoyés de Mère Nature. Ils méritaient respect, délicatesse et vérité.

« N’faites pas attention à moé. Faut que j’prépare deux ou trois trucs… »

Ma voix était posée et mon ton sans animosité. J’avais simplement énoncé un fait. Je ne souhaitais guère qu’ils se fassent des idées concernant mes actions futures. Les laissant à leurs discussions, j’hélais un marchand qui déchargeait sa cargaison. Visiblement, le poste de garde se faisait livrer je ne sais trop quoi. Après quelques minutes de discussion avec lui, je lui empruntais un tonneau, une planche en bois et une caisse en bois.

Je vins positionner le baril entre les deux jeunes gens. La planche en bois subit le même sort et fut posée à plat sur la barrique. Puis, sans un mot, je retournais chercher la boîte que je plaçais juste à côté du fût. Je montais sur celle-ci pour être à bonne hauteur et, après avoir sortit une carte de mon sac à dos, je la dépliais et la posais sur la table improvisée.

« Maint’nant que nous avons mis en commun nos points d’vue et nos informations, j’propose que nous élaborions une stratégie pour passer de conjonctures à réalité, de théorie à pratique. »

Bien que je ne souhaitais pas particulièrement prendre les commandes, j’avais naturellement pris les devants pour donner une direction à cette enquête. En effet, Shinjiro ayant clairement refusé ce poste et Seto ne s’étant pas prononcée sur la question, je m’étais imposé comme leader. Au fond, ça ne changeait pas bien de mon poste d’apprenti chef de gang à la taverne. Mais cela allait à l’encontre de ce que je voulais construire en tant que soldat du shogunat. Toutefois, je savais mettre de côté mes envies lorsque mes responsabilités me rappelaient à l’ordre.

« Tes questions sont pertinentes, Seto. Malheureusement, je n’ai pas plus de réponses que toé à apporter sur le sujet. Les archives sont en effet un bon point de départ. Toutefois, notre rang de genin ne nous permettrait pas d’accéder aux dossiers les plus intéressants. Je ne doute pas que le shogunat garde des documents sur des membres actifs du Bingo Book, surtout si ces derniers ont servi dans les rangs de notre patrie. Néanmoins… »

Quelques passants s’arrêtaient parfois pour nous regarder, intrigués de voir notre quatuor en réunion improvisée autour d’une table bancale. Je ne tins compte ni de leurs oeillades ni de leurs murmures.

« … nous avons des cartes à jouer de ce côté-là. Et ça, dès maintenant. Notez toutefois bien que c’est une traque de longue haleine et que plusieurs mois pourront se passer avant que cette piste nous donne une information valable et exploitable sur l’un des membres de l’Alliance. »

Je voulais qu’ils prennent conscience de ce dans quoi ils s’embarquaient. Pour ma part, suite à mes deux expéditions à Rindô, à la guerre contre Oto et au temple souterrain qui, ma foi, n’attendait que mon retour pour continuer son exploration, ma décision était prise. Je n’aurais de cesse de traquer ces malades jusqu’à ce qu’ils soient mis hors d’état de nuire.

« Nous allons devoir prouver à nos supérieurs que nous sommes dignes d’obtenir ce droit de consultation. Pour débuter l’exploration de cette piste, nous allons adresser une requête aux autorités concernant des dossiers annexes, qui ne possèdent pas tous de liens directs et visibles avec les membres de l’Alliance. Toutes nos demandes ne seront pas acceptées, mais nous permettront d’avoir quelques pistes exploitables. Pour cette première sollicitation, je suggère que nous demandions tous les rapports d’incidents sortant de l’ordinaire s’étant produits… disons… dix jours avant l’invasion d’Oto et dix jours après. Réclamons également ceux traitant de l’invasion d’Oto. Dans ce dernier cas, je doute que nous ayons gain de cause. Toutefois, il ne nous coûte rien d’essayer. »

Mon regard se posa sur Seto.

« Cela répond en partie à tes demandes. Quant aux autres, je n’ai malheureusement pas de propositions à te faire pour le moment. Est-ce que cela te convient ? »

Puis, mon attention se porta sur Shinjiro.

« Ta proposition est tout aussi valable que celle de Seto. Dans une enquête de cette ampleur, il ne faut négliger aucune piste. Si les traces écrites peuvent en effet nous donner des renseignements, ce ne sont pas les seules. Les témoignages oraux sont tout aussi importants et, dans nos campagnes, sont bien plus répandus que des rapports papier. Trouver un de leurs abris est un objectif honorable, mais inatteignable pour le moment. Agissons sur les éléments en notre possession. Nous ne sommes guère dépourvus d’indices et, tout comme les archives, ceux-ci pourront nous conduire vers d’autres informations… Du moment que nous nous donnons la peine de chercher là où il faut chercher. »

Je fis signe à mes compagnons de regarder la carte. Je sortis des crayons de couleurs.

« Voilà les éléments géographiques que j’ai actuellement en ma possession. Je vous serais gré d’en prendre soin et de ne pas les transmettre à n’importe qui. »

Je fis trois croix au niveau de l’Arche Sacrée : la orange pour Kyubi, la rouge pour Janome et la bleue pour Naga.

« Nous savons que Naga, Janome et Kyubi ont fui Homura ensemble. Avec l’aide d’Hanabi, nous avons pu remonter la piste chakratique de Kyubi jusqu’ici… »

Je vins marquer une croix rose sur la carte, symbolisant l’arbre rose laissé par Hanabi lors de notre traque. J’indiquais également le chemin emprunté par Kyubi et ses acolytes ce jour-là. Je connaissais ce tracé par cœur tant je l’avais regardé.

« A l’heure actuelle, nous n’avons pas plus d’éléments pour partir de ce point vers une autre direction. Nous savons également que… »

Je vins tracer une croix bleue sur le temple souterrain.

« … Naga a fait quelque chose dans cette structure, mais nous ne savons pas quoé à l’heure actuelle. »

Puis, je vins tracer une croix rouge sur Rindô.

« Le double de Janome a été anéanti à Rindô par l’homme masqué. Il a assassiné le boucher et il est fort possible qu’il soit à l’origine du sceau en forme de pentacle… »

Je me tus quelques secondes.

« Concernant cette affaire, si vous souhaitez plus de détails, je vous invite à venir me voir à la Taverne Onirique, là où les oreilles indiscrètes seront moins… nombreuses. »

Je finis par tracer une grosse croix verte sur Oto.

« Je n’ai pas d’informations tangibles, seulement des présomptions quant à la présence de Janome, Naga et / ou Kyubi à Oto. Ils sont arrivés avec les forces armées ottojins, mais rien actuellement ne nous permet de retracer l’histoire de ce côté-là. De ce fait, si nous voulons baser nos recherches dans le pays sur des faits solides, il faudra concentrer nos fouilles… »

Je reliais Rindô, l’arbre rose d’Hanabi et l’Arche Sacré. Le tracé formait un triangle avec, pour sommets, chacun des lieux cités précédemment.

« … dans cette zone. Peut-être que les villages et autres bourgs vers Rindô pourraient être un bon point de départ. Bien que la bourgade soit assez isolée, des faits insolites auraient pu être aperçus par des habitants. Ou des rumeurs pourraient éventuellement circuler… Toutes ne seront néanmoins pas basées sur la vérité. Beaucoup ne seront que le fruit de la peur ou des racontars de la population. Espérons que les éléments que nous trouverons, aussi minimes soient-ils, pourront être vérifiés d’une façon ou d’une autre… »

Mon regard se reporta sur Shinjiro.

« Après avoir écouté ton point de vue sur la situation, c’est le mieux que je puisse t’offrir actuellement. Est-ce que cela te convient ? »

J’attendis sa réponse avant de leur demander, à tous les deux :

« Avez-vous des revendications ou des éléments à apporter à ce qui vient d’être dit ? Dans le cas contraire, nous écrirons une demande aux autorités pour consulter les archives puis, nous partirons en direction de Rindô pour trouver des pistes dans les bourgades les plus proches. »

Résumé: