Sa dernière patrouille terminée, ses pas métalliques le ramenait chez lui. Son retour à un service actif après le rétablissement des blessures causées par Janome lui avait fait grand bien. Weihan avait toujours eu une santé relativement fragile et sans exercice rigoureux et régulier, il se sentait rapidement dépérir. L’effort constant, même celui aussi simple que de porter l’armure, lui semblait presque indispensable pour rester au meilleur de sa forme.

Et celle-ci semblait continuait à augmenter. Il se sentait plus fort, plus vigoureux qu’avant, une somme de ses expériences passées. Avec plusieurs missions à son actif, il commençait à découvrir son propre potentiel comme shinobi, mais également dans sa foi, un exercice bien plus complexe en réalité que tout effort physique.

Rendu chez lui, il passait le pas de sa porte avec le soulagement que toute personne a une fois une longue journée de travail achevée. Un soulagement du fait accompli, pas négative, juste reconnaissante peut-être. Posant l’hallebarde dans un coin du mur, il soupirait, retirant son casque pour le poser sur la table longue où des nombreuses pièces d’armures gisaient en divers état de maintenance ou de réparation. Han lui apprenait la métallurgie, un travail de longue haleine qui pourtant le captivait.

Entreprenant de retirer sa cuirasse pour le poser sur un étal conçu à cet effet – l’un de ses premiers projets de forge comme en témoignait sa fabrication grossière et maladroite, mais tout de même utilitaire – Weihan songea qu’il n’avait pas eu l’occasion de méditer depuis un certain temps. La Voie ne prévoyait pas ce que les religions majeures considéraient comme des prières. Prier supposait une sorte de communication bilatérale entre la divinité et ses suivants.

Mais l’Éternité n’était pas ainsi. La Voie n’avait pas de voix, de personnalité. Et surtout pas d’oreilles. Ainsi, si son dieu lui dictait pourtant son chemin par sa simple existence, elle n’écoutait rien ni personne. Prier était donc inutile.

Mais méditer l’était. C’était une forme d’écoute du plus bas niveau possible, lorsqu’on y pensait bien. C’était un effort pour se connecter à sa propre existence et sa relation avec le sentier éternel qu’est la Voie.

Perdu dans ses réflexions, il entendait à peine quelqu’un cogner à sa porte. Sorti de sa rêverie, il maugréait en portant la main à son casque pour le poser sur sa tête sommairement avant d’aller ouvrir.

L’attendant sur le pas un homme accompagné de deux autres et d’une femme. Ils n’étaient définitivement pas des soldats si on se fiait à leurs vêtements et leur allure. Celui qui avait cogné était d’un âge relativement semblable au sien, mais Weihan remarqua immédiatement que la femme était voilée, de même qu’un des hommes. Mais le cogneur ne l’était pas.

« Puis-je vous aider ? »

Les étrangers échangèrent un regard incertain.

« …Êtes-vous Weihan ? »
« Oui ? »
« Celui qui a survécu au déserteur Janome et au boucher Kurogane ? »

Le Genin les considéra quelques instants avant d’hocher la tête. L’homme sembla soulagé, s’arma d’un sourire enthousiaste en parlant à ses comparses.

« Je vous l’avait dit, c’est lui ! »

L’homme se retournait vers Weihan.

« Mon nom est Atsuman. On dit que votre survie est rien de moins qu’un miracle. Puis j’ai rencontré Longma et sa femme, et ils m’ont parlé… De la Voie. »

Le genin considéra Atsuman quelques instants, avant de porter son attention vers le couple voilé avec une certaine surprise.

« Vous êtes des membres du culte ? »

Longma hocha de la tête avec humilité.

« De simples suivants. Je me suis converti il y a quelques années après une rencontre avec l’un de vos frères d’Éternité. Nous ne sommes que des spectateurs, mais les adages nous sont précieux. »

Estomaqué, Weihan se porta une main derrière le heaume. Il avait toujours pensé être le seul croyant à Homura. D’apprendre qu’il n’était pas seul à savoir la vérité dans la Capitale…

« Je… La Voie est. »

Longma eut un petit rire, prenant la main de sa femme alors qu’ils s’inclinaient, main libre sur l’épaule opposée, le salut rituel du culte.

« Avec Éternité ! Nous sommes désolés de vous déranger à cette heure, mais il était impossible de convaincre Atsuman d’attendre pour venir vous parler, et ce malgré la prohibition. »

Weihan garda le silence quelques instants. La prohibition était un précepte sacré dans la Voie, un qui voulait l’interdiction de poursuivre la conversion activement. L’Éternité donnait une place importante à la présence de l’hérésie dans le monde. Sans chaos, il n’y a nulle paix, nulle gloire à poursuivre. Le genin sembla réfléchir quelques instants.

« …  Que diriez-vous d’une tasse de thé ? »

« Et Longma reçoit le sceau en pleine figure, et tout ce qu’il y a dedans ! »

Ils éclatèrent de rire tous en cœur à la lueur des chandelles qu’avait posé Weihan sur la table basse auxquels ils avaient pris place au centre de la pièce. La séance de thé s’était rapidement éternisée une fois la conversation lancée et la glace brisée. Atsuman était un homme loquace mais avait bon cœur. Longma et sa femme Shila était plus réservés, mais serein comme l’était les suivants de l’Éternité. Weihan avait remarqué que s’ils étaient voilés à leur premier contact, ils avaient retirés les shales qui couvraient leur visage une fois à l’intérieur de sa maison. Longma lui avait expliqué que leur pratique était plus permissive, et s’en était d’ailleurs excusé. Mais Weihan avait secoué la tête, nullement insulté.

« La Voie ne voudrait pas que nous soyons tous dédiés au même degré. Nous avons tous notre place dans l’Éternité. »

Le thé avait lentement refroidi, tout comme la mondanité des conversations. Weihan avait peu à dire en vérité, car la vie d’un shinobi avait peu de complicité avec celle d’un civil. Il avait discuté musique avec Shila, elle aussi une joueuse d’Erhu. Elle avait promis de lui enseigner quelques balades de plus, d’ailleurs. Retsuko était souvent occupée en ce moment, ce qui rendait les leçons plus rares. Longma, un charpentier de métier, lui avait fait quelques commentaires concernant le bois utilisé dans la hampe de son hallebarde, ayant selon lui une idée sur une meilleure essence à utiliser. Le Genin l’avait noté dans l’un des carnets qui jonchait sa table de métallurgie, se promettant d’en discuter avec Han plus tard.

Mais les mots avaient finir par se tarir, non pas par manque de sujets mais bien l’intérêt grandissant vers un en particulier. Atsuman particulièrement semblait appréhensif, mais Weihan approchait la question avec une précaution incertaine, aussi aux faits de la prohibition que Longma et Shila. L’intéressé, un marchand, avait presque étudié son propre intérêt et acculé son propre empressement, attendu le moment propice entre deux gorgées de thé et l’effort de Weihan pour récupérer les tasses.

« … Longma dit que si ce n’était de la Voie, vous n’auriez survécu. »

Weihan se suspendit, mais reprit vie, prenant un chiffon mouillé pour nettoyer les tasses.

« La Voie est davantage qu’un moment dans le temps. Comme le nom l’image, elle est un sentier, et la somme de nos pas sur celui-ci. La totalité de mes gestes, de mes décisions l’a mené à m’amener sur un  chemin qui m’a fait survivre à ce qui aurait dû, en d’autres circonstances, me tuer. »

Il revenait à la table, un plateau de biscuits dans les mains. Mais le ton de sa voix se voulait aussi sérieuse que possible.

« Atsuman, il est important que vous ne voyiez pas la Voie comme une faiseuse de miracle. L’Éternité connait notre futur, mais nous donne le choix de l’entreprendre ou non. La route est prédéterminée, mais ce sont nos propres pieds qui nous y mènent. L’Eien ne prend aucune décision. Elle n’a aucune volonté, seulement une direction définitive. Vers la paix. »

Le marchand restait silencieux.

« Il n’y a donc aucune faveur pour obtenir son approbation ? Pas de rites ? D’offrande ? Quel serait mon rôle ? »

Le Genin secoua la tête en reprenant place avec les autres convives.

« Le chakra est divin, mais pas un dieu comme les religions majeures prétendent aux leurs. Essayer d’obtenir les louanges d’une force qui dirige notre monde est aussi productif que de danser pour appeler le vent ou la pluie. L’Éternité n’est pas humaine. Nous ne sommes qu’un autre élément de son paysage. Tout ce que nous pouvons faire en tant qu’hommes, c’est avancer dans la même direction qu’elle, et cueillir sa gloire par nos propres actes. Notre rôle est leur nôtre. »
« Et quels sont ces actes ? »

Weihan prenait une gorgée de thé froid, tout de même des plus rafraîchissants. Un mélange de fleurs sauvages qu’Urumi lui avait enseigné jadis. Mais le Heaume se penchait légèrement vers Atsuman alors que Shila et Longma échangeaient des regards.

« Ceux qui sont nécessaires. La Voie n’est pas morale. En tant qu’humain, vous devrez établir vos propres critères de conscience. Il est hérésie de penser qu’une divinité aurait que faire nos choix d’éthique, de la valeur intrinsèque de nos actions. Pour peu que l’Éternité soit concernée, la paix est le seul résultat qui compte, quelque soit vos moyens pour y arriver. »
« C’est ainsi »

Shila avait presque murmuré. Longma s’adressait à Atsuman, posant sa main sur celle de sa femme.

« C’est aussi un sentiment de communauté. Ce que nous aimons avant tout dans la Voie, c’est qu’elle est absente d’inégalités. Nous sommes tous destinés à parcourir ce sentir à notre propre manière, et nous ne sommes que d’autres marcheurs. L’un des concepts est d’ailleurs de présenter un visage d’humanité, pas de singularité. C’est pour cela que nous nous couvrons en public. Là-dehors, nous sommes des marcheurs vers la paix. »

Long silence, puis Atsuman croisait les bras, l’air réfléchi.

« Et si j’étais l’un de ces marcheurs, je devrais couvrir mon visage ? »

Weihan le considéra avec gravité.

« C’est n’est pas une question si aisée à répondre. Je ne couvre pas mes traits pour obéir à un dogme inscrit dans quelque livre poussiéreux. Mon individualité est bien au-delà du simple angle de mon nez, de la couleur de mes yeux. Que je sois un homme ou une femme, que mes cheveux soit clair ou sombre… Ma volonté de poursuivre la paix l’excède. Je suis la paix avant l’homme. »

Un moment de silence, mais Weihan le comblait.

« … Mais là n’est pas à tous de faire ce sacrifice. Dans la Voie, il est nécessaire d’obtenir un équilibre. L’Éternité accorde une part aussi importante à ceux qui la suivent que ceux qui l’ignorent ou la réfutent. À ceux qui la suivent avec zélotisme et ceux qui le font avec raison. Ma réponse ici est, Atsuman, que vous ferez ce qui vous semble juste. Et la Voie vous mènera dans les termes de vos actes. »

Le Heaume tournait la tête vers Shila et Longma.

« La Voie n’est pas une de suivre aveuglément des croyances ou des préceptes. Elle est l’ultime liberté tout autant qu’un phare dans le brouillard qu’est le chaos du monde. Elle est un guide certes, mais ne choisis jamais pour nous. C’est pourquoi la gloire de nos actes nous appartient, même si nous parlons en son nom. Le sentier sera tracé quoi qu’il arrive. C’est ainsi. »

Un silence avait pris la place après les derniers mots de Weihan, qui s’était relevé pour reprendre le plateau désormais vide et l’amener dans la cuisine. Shila s’était levée à son tour pour le rejoindre, offrant silencieusement de l’aider à nettoyer, prenant un chiffon avant qu’il ne puisse refuser. Dans la pièce principale, on pouvait entendre Atsuman et Longma discuter à voix basse, sur un sujet qui semblait des plus évidents, mais Weihan avait dit ce qu’il avait à dire. Il était proscrit d’insister. La Voie n’aurait pas voulu qu’il tente de forcer les rôles que nous avions tous dans son Éternité. Si le marchand était davantage qu’un hérétique, il lui fallait faire ce choix lui-même.

« Je dois vous faire une confession, Weihan. Avant de venir nous voir, nous avons parlé à d’autres soldats afin de savoir là où vous habitiez. Ils vous décrivaient fort différemment de ce que j’ai vu de vous ce soir »
« … »

Le Heaume avait jeté un regard vers elle, mais reportait son attention à nettoyer la théière.

« Mais ils vous ont aussi décrit d’une manière qui vous ressemble. Incorruptible. Décisif. Et je pense que la Voie voudrait vous entendre parler d’elle. »
« L’Éternité est une famille, et j’aimerais tant la voir s’élargir. »

Weihan se tournait vers elle, s’appuyant sur le comptor.

« Ma maison vous sera toujours ouverte. À vous comme à tout membre du culte. »

Shila s’esclaffait légèrement, posait la main sur son avant-bras.

« La Voie voudrait vous entendre au-delà de votre maison, Weihan. »

Weihan la considéra, sans répondre. Elle se détournait.

« La prohibition… Je comprends l’importance du libre arbitre. Mais je pense pourtant que pour faire un choix, un qui soit éclairé, nous devons connaître nos options. Nous ne sommes que des pratiquants modérés, pourtant nous le sommes car un adhérant nous a instruit sur la vérité qu’est la Voie. Et je suis convaincue que ce monde serait meilleur si nous prenions le temps d’instruire nos semblables, de leur proposer un chemin vers la paix. Et cela passe par un lieu commun pour nous réunir. »

Le cultiste croisa les bras.

« Le culte est nomade. Ce que vous décrivez-là est un temple. La Voie n’est pas une église. Elle n’est pas pierre et mortier. »
« Mais elle est l’écho de votre voix, Weihan. Et celle-ci résonnerait fort mieux entre des murs qui y sont dédiés. Une grande maison dont les portes seraient ouvertes à tous. Rien ne serait offert, ni refusé d’ailleurs. Un lieu où nous pouvons suivre la paix, tout simplement. »

Weihan resta silencieux plusieurs instants. Enfin il soufflait métalliquement.

« Vous me donnez beaucoup à réfléchir. »
« La Voie s’en réjouit, j’en suis certaine. »

Ils retournèrent dans le salon. Rapidement vint le temps de faire leurs adieux, puisqu’il se faisait tard. Weihan promit de rendre visite au couple pour prendre le thé à nouveau. Quant à Atsuman, il se faisait beaucoup plus silencieux désormais, et semblait avoir bien des pensées en tête. Tout comme le Genin, songeait celui-ci en refermant la porte sur sa maison désormais vide à nouveau. Il jetait son casque sur le côté, se passant les mains dans les cheveux en soupirant.

Un lieu de culte à Homura ? Les autorités le permettrait-il ? Même si c’était le cas, il n’avait pas les moyens de construire quoique ce soit, pas pour le moment. Mais tout cela n’était que des questions de surface. Les anciens n’approuveraient pas. L’idée était en contradiction avec le principe de prohibition…

Du moins, en surface. Les mots de Shilah lui revenaient sans cesse en tête, mais pas seulement. Les rencontres qu’il avait fait, les actes qu’il avait posé, les choses qu’il avait vu… Le monde était plein de chaos et d’hérésie. Comment le purifier ? Le ramener dans la paix…

Épuisé, il prenait quelques notes dans ses carnets avant de prendre le chemin de son lit, même si les pensées refusaient de le quitter et empêchait même une méditation qu’il décida de remettre à plus tard. Cette rencontre avait ravivé un feu secret qui l’avait toujours habité, quelque part entre les flammes qui brûlaient derrière les grillages de son casque.


« Weihan ! »

En plein patrouille, lourde arme à l’épaule, l’apostrophé s’arrêtait dans un grincement métallique, cherchant l’origine de l’appel avant de remarquer un homme se frayer un chemin à travers quelques passants pour le rejoindre. Le Genin ne le reconnut pas d’abord du fait qu’il portait un foulard couvrant ses cheveux et le tour de son visage, puis observa plus profondément les traits encore visible, surpris par qui il reconnaissait, ne l’ayant vu depuis plusieurs semaines.

« … Atsuman ? »
« …La Voie est ! »

Le marchand semblait hésiter… Avant de le saluer à la manière du culte, main sur l’épaule opposée. Surpris, Weihan resta immobile un instant avant d’enfin lui répondre du même geste, tintement d’acier à l’appui.

« Avec Éternité… Vous êtes… »

Le marchand semblait déduire la question, et hocha simplement de la tête. Weihan le considéra quelques instants. Ils marchèrent en bordure du chemin afin de ne pas bloquer le chemin. L’entreprise de l’homme semblait basée à proximité. Si on se fiait aux caisses accumulées dans ce qui semblait être un entrepôt, il était un importateur de produits divers. Et si on se fiait à l’apparence des lieux où une foule d’ouvriers entraient et sortaient sans cesse, Astuman semblait plutôt fortuné.

Weihan continuait à l’observer, ne sachant que dire. Il n’avait jamais rencontré qui que ce soit dans sa conversion, c’était que dire à quel point il était rare que cela arrive.

« … Vous avez fait votre choix. »

Atsuman eut un sourire fin et hocha de la tête. Il semblait toujours aussi passionné et extraverti, mais quelque chose avait changé. Peut-être sa posture ou bien… L’assurance dans le ton de sa voix ?

« Je l’ai fait. Je vais vous dire une chose Weihan… Je suis las de ces prêtres me disant ce que les dieux veulent de moi. J’ai décidé de simplement marcher le même sentier que l’ordre du monde…  Sa paix, et sa gloire. »

Weihan resta immobile, mais sous son heaume, un fin sourire anima ses traits.