Une partie d'Uzumaki Ran était un esprit sauvage, libre et aussi beau qu'intrépide.

Une autre, plus sombre et plus troublante, était enchaînée et dévorée par un passé morbide.

Mais si elle avait passé toute sa vie à suivre la première, aujourd'hui, la seconde avait choisi il y a peu de se réveiller pour lui faire comprendre que le prix de son existence pouvait valoir très cher. Si bien que désormais, la vagabonde entendait bien changer le cours de son destin si elle en avait un pour tourner définitivement le dos à cette errance dénuée de sens et cette misère. Car même si cela pouvait relever de l'impensable, depuis qu'elle s'en souvenait, elle ne les avait jamais découverts. Ces attributs qui étaient les siens ; ses qualités, ses goûts, ses inquiétudes, ses envies, ses préférences, ses désirs et même ses traits de caractère. Forcée de demeurer la clé de son propre mystère sans pouvoir le savoir ni rien y faire, Ran avait été punie à l'exil et de ce fait condamnée à tirer un trait sur un chemin plus paisible et plus prospère. À tel point que, pendant des saisons entières à passer de petite fille à jeune dame, elle n'avait retenu que son propre nom et demeurait inconnue à l'idée même de vivre plutôt que de survivre, restée prisonnière de ses propres chaînes dont elle n'était hélas pas destinée à se défaire. Aujourd'hui, elle était devenue cette guerrière accoutumée à l'existence sauvage, en marge de toute civilisation, qui avait perdu toutes ses mimiques et toutes ses manières. Elle était cette belle créature presque militaire, qui avait tout oublié et qui ignorait qu'elle avait pu un jour avoir une mère et un père. Qui était devenue même pour elle la première des étrangères. Qui, pourtant, sous les plis de cette apparente fragilité émotionnelle encore naissante, semblait avoir tout d'austère. Et qui, aujourd'hui, entendait bien s'ouvrir un peu plus à la découverte du monde extérieur pour peut-être s'épanouir sous la caresse de la lumière, après avoir vécu de manière si délétère.

Comme avec ce petit oiseau, qui avait suscité son intérêt alors qu'elle venait à peine de se réveiller, pour mettre des étoiles dans sa pupille azurée libérée.

Et qui lui avait donné la force d'essayer de se lever, pour ne serait-ce que l'admirer et le toucher.

Mais alors que sa main bandée s'était avancée plus loin pour s'y aventurer, le reste de son corps, lui, s'était visiblement laissé emporter. Sans pouvoir le prévoir ni l'en empêcher, la métamorphe venait brutalement de choir de son lit. Là où elle aurait dû rester digne et redressée sur ses pieds, elle venait de tomber. Passée de l'indulgence des draps à la raideur du parquet, il lui fallut au moins quelques secondes pour réaliser ce qu'il était arrivé. Qu'après cette lutte contre un démon sans merci ni pitié, Uzumaki Ran était devenue une estropiée. Ce genre de choses qui étaient, dans la nature et au milieu de toute sa plus belle cruauté, des cibles trop faciles à attaquer. Et qui n'avaient pas d'autre avenir que de trépasser sans être en mesure de résister. Une première fois, la femme à la peau nacrée et à la chevelure enflammée essaya de se relever comme si elle pouvait normalement marcher. Mais la seule de ses jambes qui était écharpée de bandages ne voulait plus bouger, si ce n'était seulement que pour trembler. Voilà qu'après la frayeur de l'esprit venait celle du corps ; celle qui la faisait s'angoisser par instinct et se demander comment elle allait se débrouiller, comme le ferait un animal désespéré qui n'avait même pas envisagé d'être aidé. Un instant, son œil s'était fermé et ses pensées ne pensaient plus qu'à respirer pour se calmer. Mais la changeforme se surprit à se remémorer. À se rappeler la raison pour laquelle elle s'était levée avant de s'écrouler. À quatre pattes, presque agenouillée, elle avait relevé la tête pour regarder ce qu'il y avait sur sa table de chevet. Et ce qui la regardait, alors qu'elle était diminuée.

La vision troublée, Uzumaki Ran sentait la fatigue remonter et la curiosité la dévorer.

La vision divisée, elle apercevait tantôt un bout de femme, tantôt un oiselet.

Une illusion qu'elle pensait rêver. Et qui, pourtant, semblait tout à fait emprunte de sagesse et de vérité. Car lorsqu'elle eut terminé de passer ses fins doigts sur le pansement qui cachait son autre œil pour le retirer et révéler ce qui l'avait brûlée, sa vue retrouvait finalement de la stabilité. Pour se plonger dans des yeux aussi profonds et bleus que ceux qui lui appartenaient.

Les paupières écartées, le visage de la changeuse de peau exprimait un air étonné.

« Se pourrait-il que toi aussi, tu sois... »