Certains la rejetaient, s'en méfiaient ou tout bonnement l'ignoraient. D'autres, même, la confondaient.
Mais alors qu'eux semblaient tout savoir d'elle, Uzumaki Ran, elle, ne savait rien, si ce n'était son identité.
Parmi ce champs de lycoris ensanglantés, l'errante aurait pu récupérer sa béquille et tourner les talons au plus vite pour ne pas avoir à affronter cette terrible vérité. Pour ne pas avoir à se souvenir qu'elle avait justement et tristement tout oublié de ce qui lui était arrivé par le passé. Cependant, devant cet homme fraîchement présenté, ses jambes s'étaient figées pour soutenir le reste de son corps et notamment son cœur, devenu bien lourd à porter. Du premier souvenir qu'elle avait eu de sa misérable vie, elle n'avait jamais éprouvé un tel ressenti. Un regret d'avoir cédé, à un moment où l'enfance la modelait encore, à la force inarrêtable et inétanchable de l'oubli. Là où cet étranger sanglotait et s'en voulait pour s'être trompé, elle la jalousait. Elle l'enviait, cette personne pour qui il avait certainement pleuré. Pour qui il aurait probablement tout donné, peut-être même tué, pour encore une fois la rencontrer. Là où Ran n'avait jamais eu le sentiment d'être aimée, rassurée ou protégée, elle désirait ne plus être elle et devenir une autre. Ne plus être un fantôme ou une ombre, ni même un simple hôte. Car face à une confusion si maladroite mais bien aisément pardonnable, guidée par la hâte et aveuglée par les émotions, la métamorphe au teint nacré se confrontait toujours à l'ombre de cette même question.
Qui était-elle, au-delà de son seul nom ?
D'où venait-elle, avant de rejoindre le rang des vagabonds ?
Pendant qu'il l'épiait et s'y intéressait, l'enfant de Personne écoutait. Du moins, elle s'efforçait de le faire parce qu'elle en souffrait. Parce qu'elle subissait, comme elle l'avait toujours fait, cette même ignorance avec laquelle elle pensait être née. Cette même incompétence, qu'elle détestait et qui pourtant la suivait partout où elle allait. Cette même innocence, qui depuis qu'elle s'en souvenait encore ne l'avait jamais quittée. À peine lettrée, tout juste capable de s'exprimer comme il le fallait par la parole ou par la plume, les encaissait. Ces mots, qu'elle avait trop souvent du mal à cerner. Ces propos, qu'elle avait souvent du mal à interpréter ou à élucider. Et que même, trop souvent et bien que cela puisse paraître assez surprenant, elle apprenait.
«
Uzu-...shio ? »
D'un air presque surpris, celle qui ne se souvenait plus d'avoir connu la chaleur d'une mère ou la rigueur d'un père se mit à observer celui qui, sans le savoir, ne parlait pas de l'évidence. Celui qui, sans même pouvoir le croire, n'imaginait pas un seul instant que donner le nom de son clan pouvait avoir une importance marginale pour une enfant perdue comme Ran. Car malgré la couleur de l'aube qui courrait sur leurs deux chevelures, la jeune dame aux yeux bleus comme la mer et aux cheveux rouges comme le sang n'était pas en mesure de faire le rapprochement. Ni avec son physique, dont elle n'avait jamais appris à admirer le reflet même dans un miroir, ni avec le nom qui lui collait à l'âme et qui demeurait aujourd'hui son seul héritage. Voilà que, gagnée par un doute dont elle ignorait l'origine et détestait la saveur, celle qui portait le nom de la rébellion écoutait sa propre nature. D'un geste instinctif, à mille lieues de ceux qu'elle avait pu avoir pour assurer sa survie pour arriver jusqu'à lors, les doigts d'une de ses mains avaient décidé de trouver refuge autour de la
dague de cristal qui pendait à son cou, derrière la couche de son haut de kimono blanc. Comme pour se rassurer, elle avait choisi de s'en saisir.
Comme pour se réconforter, elle avait plus que jamais éprouvé le souhait de pouvoir se souvenir.
Et de connaître la signification de ce mot,
Uzushio, pour savoir si elle devait le bénir ou le maudire.
«
Ran. Mon nom est Uzumaki Ran. »
Comment elle se prénommait.
C'était tout ce qu'elle savait.
Souffrante d'une destinée qui lui avait été délibérément imposée et contre laquelle elle n'avait jamais trouvé la force de se rebeller, Ran était un joyau dévoré. Mais elle était quelqu'un de pur. Elle avait l'âme et le cœur d'une enfant qui n'avait pas grandi, enfermée dans un corps de femme et derrière les barreaux d'un traumatisme du passé. Alors, malgré la douleur, ses genoux s'étaient ployés pour retrouver la bassesse de la terre et être à la hauteur de son visiteur. Et son regard, profond comme l'océan, courrait sur l'armée de lys rouges plantés à leurs pieds. Un instant, elle contempla ce tableau si carmin, jusqu'à relever son attention sur le pourpre de sa propre chevelure longue à en toucher le sol puis sur celle de son interlocuteur.
«
Nous avons les mêmes. Mais même s'ils m'appartiennent, je dois t'avouer quelque chose. Je ne les aime pas. »
Uzumaki Ran se mit à détourner les pupilles pour les accrocher ailleurs, sur le décor, comme prise d'un sentiment de culpabilité et les mains serrées.
Et avec les mots d'une petite fille, elle se rendit au bout de sa candide pensée.
«
...Parce qu'ils font peur aux autres. »
Ran 蘭, orchidée / 乱, révolte, rébellion, guerre