ÉTÉ DE L’AN 83, CITÉ DES NUAGES, DOMAINE ABURAME


Il existait de ces nobles ou de ces seigneurs qui boudaient leurs sujets et méprisaient leur peuple, au point d'en devenir parfois avaricieux.

Uzumaki Ran, elle, ne pouvait plus laisser son cœur en pleine éclosion se fermer face à la main tendue d'un autre, même d'un nécessiteux.

Voilà pourquoi sa sensibilité insoupçonnée avait pris autant de place, lorsqu'elle s'était rendue au chevet du clan Aburame. Drôlement bien cachée durant plusieurs années, cette réceptivité envers la douleur d'autrui avait choisi de lui exploser au nez comme si elle n'avait, pour elle, jamais pu exister. Car dans son bien sombre passé, elle ne se souvenait même pas avoir eu l'envie de pleurer ou de regretter. Plus encore, elle n'avait pas le moindre souvenir d'avoir une seule fois appris ce que laisser des larmes s'écouler sur ses traits pouvait signifier. Dorénavant, cette émotion trop humaine lui collait à la peau, au pelage et, contre l'adversité, elle entendait bien lui en faire baver pour la pousser à comprendre ce que vivre pouvait engendrer. Pour la pousser à rattraper toute cette enfance et cette adolescence qu'elle avait pu rater. Ou qu'elle avait pu oublier. Cette émotivité, voici la raison pour laquelle elle avait eu autant de mal à sentir, à voir et à supporter, les restes et les pertes des enfants de cette grande famille comme de leurs aînés, qui ne l'avaient pas attendue et avaient las fini dans leurs propres chairs, leurs propres sangs et toute la marée qui s'en était injustement formée. Cette vue de terreur, cette odeur de fer qui avait abattu autour d'elle tout son détestable malheur, la vagabonde éprouvait encore aujourd'hui un certain mal à s'en détacher, tant elle en avait été marquée. Tant elle en avait été dévorée, pour ne pas avoir eu l'idée farfelue ni la force suffisante de tous les aider.

Mais ces maux du cœur, qui faisaient des ravages derrière les bandages couvrant ceux de son corps, ils surpassaient cette preuve d'humanité et la taraudaient de questions. Des questions qui, mises bout à bout, ravivaient en elle le souhait de retourner sur ces terres qu'elle avait vues se faire maculer de sang. Des questions qui, demeurées en suspens, lui intimaient d'aller chercher des réponses pour se rapprocher un peu plus de ces créatures qui lui semblaient si familières. Et qui poussaient la chevelure de braises à quitter l'hôpital pour rejoindre le Sud-Est de la Cité des Nuages, là où elle entendait bien retrouver les enfants des Insectes. Il lui fallut peu de temps pour retrouver ses marques dans le village et finalement emprunter la route qui pouvait l'y emmener. Cette haute mais modeste bâtisse, l'enfant de Personne devenue celle des Bêtes était en mesure de la reconnaître entre toutes. Non pas parce qu'elle était la sienne, bien loin de là, mais parce qu'elle sentait au plus profond de son sein qu'elle avait pu y retrouver une bribe d'elle-même, égarée depuis longtemps sur ces nombreux sentiers du monde à côté de toutes celles qui lui manquaient encore pour se reconstruire. Mais désormais, aucun démon n'avait éventré de membres du clan Aburame ou forcé l'intrusion du Domaine et son entrée. Aucune ignominie ne l'y attendait. Car il ne semblait y régner qu'une accalmie modérée.

Avant de se rendre auprès de la Cheffe du clan Aburame pour se libérer de toutes ces questions controversées et les lui poser, Uzumaki Ran prit le temps de se promener autour de l'enceinte clanique. Elle y avait aperçu les quelques visages qui animaient son pourtour, ceux qui avaient survécu bien qu'ils avaient tout perdu. Sans crainte ni appréhension, la métamorphe se baladait, prenant plaisir à se détendre les jambes après avoir passé tant de temps à l'hôpital pour récupérer de ses blessures et brûlures. Même avec la chaleur estivale, ses épaules restaient ornées d'une cape d'errance pour dissimuler les bandages qui l'habillaient. Mais ses traits, eux, avaient une expression différente de celle d'autrefois. Plus sereine, peut-être moins douteuse, la Ran de ce jour se trouvait à mille lieues de celle que le clan Aburame avait pu rencontrer au moment de l'attaque et que l'ombre de la mort avait voulu dévorer.

Voilà qu'elle s'arrêtait à l'antre du bâtiment du Domaine Aburame, en inclinant la tête devant ceux qui la gardaient.

« Uzumaki Ran. Je me permets de vous rendre visite pour m'entretenir avec la Cheffe de votre clan, Yokoshima Aburame, au lendemain de l'évènement qui vous a touché. »

Et qui l'avait touchée, elle aussi, au point de lui voler sa mobilité pendant ce qui lui avait semblé être une modeste éternité.

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