La jeune fille au ruban rouge — Été 83, Ruelle Yumemon
Ft. Akimichi Miyuki
Fermée.
Je regardais à nouveau les indications de Miyuki, puis l'écriteau accroché à la porte de bois massif, incertaine quant à la suite des choses. J'étais au bon endroit, et pourtant...
Je fis la moue. Ses devoirs de shinobi devaient accaparer une part importante de son temps. Elle n’était tout simplement pas présente. Rien de grave, assurément. Oui, elle allait bien. Un autre temps libre s'offrirait à moi, il me suffisait de retenter ma chance un jour prochain.
Je fis mine de partir, mais me retins dans mon élan de départ, inquiète. Et si…
Je toquais lourdement, par trois fois. Je n'eus pas à patienter longtemps. Mes pensées intrusives étaient rapidement balayées du revers de la main, l'écho étouffé d'une voix résonnant dans le bâtiment. La porte s'entrouvrit, un sourire naissant à la commissure de mes lèvres pour accueillir les traits familiers qui se dessinaient dans l'entrebâillement. Après un temps à contempler sa chevelure relevée, sa tenue immaculée digne de la noblesse, je la saluais d'un bref hochement de la tête.
« Dame Miyuki. »Sa réaction exagérée me figea. La guerrière de cristal ouvrait d'un coup, apposait du même élan sur mon bras un poids qui me fit sursauter faiblement. Si peu de gens me touchaient d'ordinaire, chaque contact physique était prémisse à de nombreux cauchemars. Une torture de plus, plus souvent qu'autrement.
L'accolade qui suivit me fit d'autant plus trésaillir, grimacer face à la pression de son corps sur le mien, sur des maux que je ne parvenais pas à taire. Une étreinte subie, en silence, en douleur, plutôt que partagée, ravigorante. Ma propre faiblesse m'empêchait de me montrer à la hauteur de son étreinte, ou de l'apprécier pleinement.
Quelques secondes plus tard, elle se détachait — et ma dextre, en parfaite synchronie, se hissait en baume sur la plaie dissimulée sous le
haori et les bandages.
« Vous pensiez... à moi? » ricanai-je, distraite.
La soldate du Feu s'écarta, me laissant pénétrer son havre de paix. Cherchant une dernière fois son approbation, je franchissais finalement le seuil, découvrant, bouche bée, la boutique qui se dévoilait autour de ma personne.
« C’est donc… votre rêve..? »Son sanctuaire, un monde onirique, suspendu dans le temps et les destins à tisser. La lueur tamisée des lanternes suspendues au plafond se mêlait à un voile familier et paisible, embaumait l’air du parfum sacré des temples, dansant avec légèreté à chaque nouveau pas. De rares rayons lumineux se frayaient un chemin dans la boutique depuis l’extérieur et captaient l’attention des créations cristallines colorées perchées ici et là comme des fragments épars d’un vitrail décomposé, projetant une teinte différente, un souvenir, une émotion inédite dans cette mosaïque intime.
J’étais ici comme en son esprit, à Kiri, et pourtant ce contact avec son être me paraissait bien plus étroit, bien plus touchant que celui forcé par mon don ; assez pour m’absorber, de longues minutes durant, dans la contemplation de kimonos opalins ornant le mur à ma gauche, tandis que je dépassais tout juste une étagère sombre couverte de tissus fins, de soies aussi délicates que la personnalité de l'ange du Feu. Je la voyais, je la sentais... Je la rencontrais, en ce lieu, pour la première fois — elle, et son
essence, un éclat d’Izanami. À la fois chaleureux et plein de promesses.
Ce fut sa voix, une interrogation feutrée d'une bienveillance incompréhensible à mon égard, qui me soutira à l’envoûtement silencieux du charme des lieux. Et fait rare, ce fut un sourire de gamine qu'elle récolta en retour. Franc, authentique. Candide. De ceux qui font mal au visage tant ils étirent la peau.
« C’est bien un rêve… Oui. »Les mots étaient encore difficiles à trouver. Mes doigts, eux, promettaient néanmoins de faire la lumière sur les raisons de ma présence. Ma dextre flirtait avec mon
haori, le soulevait par derrière afin d'atteindre
la lettre cachée dans la sacoche pendue à ma taille. Je la tendis, du creux de mes paumes, à la styliste du Shogunat, la scrutais tout au long de sa lecture, ne déliant mes lèvres qu'au moment où je sentis qu'elle arrivait au terme de celle-ci.
« Je suis… euh… en mission diplomatique. Un peu comme vous l'étiez, à Kiri. Enfin... pour l'instant. »Cela n'allait pas la satisfaire, je le savais bien. Surtout pas après la lettre. Le reste des explications attendrait, malheureusement.
Je me détournais ainsi peu à peu de l'emprise de son éclat boréal, lui présentais mon flanc, ma main s'étant serti du cristal que l'homurajin avait pu ressentir dans ma poche. Je le fis tournoyer tranquillement, comme l'aiguille d'une boussole me guidant vers elle, par-delà le carcan de la
Brume, cruel et sanguinaire. Sa réaction, plus tôt, ne m'avait pas échappée. La peur qui m'avait côtoyée depuis l'apparition de la
Sanglante, je la voyais chez elle aussi, par le truchement de mes talents innés.
« Vous... l'avez donc vu en action... la Mort blanche. » Impassible en apparence, je la regardais du coin de l'œil, à l'affût d'une quelconque mimique de sa part.
« La Shodaime Mizukage..? Ailleurs? Et tous vos camarades… Ils vont bien? Dans tous les cas, je... J'en suis vraiment désolée. Ce que je vous ai dit aurait pu vous coûter... cher. Trop cher. Et à moi aussi. Je… Je pensais vraiment pouvoir aider. C'était… idiot. »L'air semblait s'alourdir, l'ambiance aussi. Je respirais un peu moins bien. Un poids lourd pesait en effet sur nos frêles épaules : celui de la connaissance, d'une hantise partagée que je souhaitais apaiser, sinon par un sourire rassurant envers la jeune femme — et pour moi-même, sans doute.
« Mais... vous êtes ici, maintenant. Loin d'elle. Et moi, avec vous... avec ce cristal... sauve. Vous… Vous n'avez pas à vous inquiéter pour moi, vous savez. » dis-je, soulevant davantage le petit objet enfermé dans mon poing pour le coller à ma poitrine.
Je préférais changer de sujet.
« En fait, j'ai un peu de temps devant moi. Je... euh... J'espérais vous passer une commande. Transformer votre cristal en bijou. Une broche, un pendentif… Peu importe sa forme, j'ai... hm... Je veux le porter avec moi, facilement. Partout... Comme ce ruban d'Ashin-san. »Je désignais fièrement le lien rouge à mes cheveux d'or, l’exposant complètement à sa vue.
Je lui offrais ensuite la sculpture de shôton, solennellement, à l'instar de la missive un peu plus tôt, mon buste cette fois-ci incliné pour marquer l'importance que revêtait cette demande à mes yeux.
« Mais... Hm… Ce… n'est pas mon seul projet, vous savez, Dame Miyuki. »Mes muscles étaient soudainement plus tendus, resserraient leur emprise autour de ma gorge, de mon thorax. Couplés à la fatigue grandissante, à cette vilaine blessure qui ne voulait pas guérir, je tombais en morceaux depuis mon arrivée au pays. Tenir debout plus longtemps m'était pénible, et certainement hasardeux. Je vins donc me poser sur les premières marches de l'escalier séparant les lieux, en quête de soulagement.
Je poursuivis en poussant un soupir, un peu embêtée par ce qui allait suivre.
« Je pensais voyager, en vérité. Revoir Ame. » lâchai-je, faisant mine de réfléchir.
« Mais... Mais pas en tant que kirijin. Non, j'ai... Je... »Mes iris dorés se joignaient aux siens. Un bleu céruléen époustouflant, de plus en plus flou. Je pouvais toutefois me l'imaginer, encore et encore, par-delà les larmes qui brouillaient à présent le paysage de la boutique, et la silhouette céleste de sa génitrice.
« J'ai discuté avec Weihan-san, et j'ai... Je... J'espérais trouver... une nouvelle maison, ici. Au Shogunat. »J'avais refermé mes bras et enlaçais mes jambes repliées contre mon abdomen.
« Si vos autorités acceptent, je... je me disais que... J'aurais besoin d'une personne de confiance pour servir de... hm… guide. Une... une tutrice, en quelque sorte. Pour apprendre. J'ai… Je… Je suis prête à vous aider en boutique, en échange, si vous voulez. Enfin, si vous voulez d'une... Yamanaka comme moi. »Mes mains s'unissaient, la suppliant presque alors que je baissais humblement la tête.
« Je pense que… c'est ce que la Voie voudrait. »