a lune fond, elle n’a rien de rassurant. Une fois de plus, t’es obligée de fuir comme si t’étais le cloporte qui hante ce dojo. Chaque jour, c’est la même rengaine, on te sermonne, on veut te priver de ta liberté; on essaye de t’inculquer une quelconque forme d’éducation 20 ans trop tard. T’as juré de ne plus jamais dégainer cette foutue arme, alors ça les a fait paniquer. Ils veulent d’un clan élitiste; pas de peureux qui fuient leur destin.
Le destin hein ? Si le tien avait quelque chose à écrire; c’est bien l’absence de volonté. Fuir ces dictats et les aurores qui font briller les lames maudites de ce clan. T’es fatiguée d’être fatiguée, épuisée d’avoir à suivre une idéologie qui te dépasse; qui vous dépasse tous. Ces armes devraient être scellées au fond de l’océan; pas divinisées comme si elles avaient quelque chose de bon à apporter pour cette terre.
Alors comme toujours, tu rumines ta rancoeur auprès de celle qui fait semblant de vous comprendre; cet astre argenté qui en fait doit bien se rire de vous.
Tu t’étais éloignée un peu du village alors que d’ordinaire tu trouvais toujours de quoi endormir tes nuits non loin de ta résidence. Mais pas ce soir. Non ce soir, la brume s’est dissoute et tu sais qu’il faut en profiter. Et pour ça, la muraille désormais libérée de son nom était le meilleur choix possible.
T’avais grimpé en soufflant presque; parce que le moindre effort te faisait râler alors que t’étais loin d’avoir une mauvaise condition physique. Mais c’est comme ça, désormais, t’es juste bonne à mépriser la terre entière et à incarner ce que ton visage porte: la lassitude.
Tu manques de tomber à deux reprises mais ça ne fait pourtant pas paniquer ton coeur; qui est bien plus affairé à se satisfaire d’une vision large sur l’océan. A chaque fois que tu peux voir le ciel rejoindre la mer, tu te demandes si ta place n’est pas là bas; dans cette lisière que le monde oublie, dans cette nappe qui unifie deux mondes pourtant bien différents.
T’aurais pu passer des heures à ne plus maquiller tes yeux d’un mensonge quotidien; à avoir cette lueur qui s’éteint à chaque fois que ton regard en croise un autre; mais des bruits de pas dans ton dos ruinent tout. La silhouette qui s’approche gâche ce moment solitaire, sans pour autant briser le silence.
Tu ne lui accorde qu’un regard en coin, qu’il te rend malgré le fait que sa cadence se soit ralentie. T’espères juste secrètement qu’il poursuive sa ronde sans un bruit, que sa progression soit sans fin et qu’elle te laisse à tes amertumes.
Seulement voilà, Ryuketsu a toujours son « mot » à dire. L’arme est capricieuse et, alors qu’elle hume l’effluve que dégage ce jeune marcheur, elle se met à s’agiter. Tu n’avais pourtant vu aucune blessure sur son corps, nulle trace de sang; ce qui appelait d’ordinaire la soif de ta malédiction. Mais là, c’est un peu différent, parce qu’elle fait déjà déborder le sang de son fourreau pour venir te ronger le dos. Tu veux te retourner pour éviter un énième drame mais… Curieusement, ce n’est pas à lui que l’arme s’en prend. Elle créé juste une décharge en projetant sa liqueur morbide avec une forte pression vers le sol, et évidemment, ça te fait reculer. Mais reculer dans du vide; parce que vous étiez en haut d’une foutue muraille et que ça semblait amuser la lame de te faire chuter dans le précipice.
- Ah
C’est tout ce que tu trouves à dire quand ton corps commence à vaciller: que tes longs cheveux ondulent comme pour enfermer ton visage et en masquer le manque d’expression. Tu bascules littéralement, dos au vide, alors que tout ce que tu verras peut-être pour la dernière fois, c’est la tronche de ce gamin qui passait par là.
Tu l’imagines déjà devoir se justifier quant à ton corps explosé tout en bas; et sa présence à tes côtés à ce moment là. Pour sur, ta mort appellerait la sienne. C’est peut-être le jeu auquel l’arme voulait jouer. Le pire dans cette histoire, c’est que t’es tellement habituée à devoir subir ces menaces que t’attends juste qu’une soit la bonne. T’en a marre d’attendre la mort; alors tu laisses faire; tu te laisses glisser vers le néant; avec elle. Avec un peu de chance, elle serait brisée avec toi en s’écrasant au sol.
VERTIGESft. Kaguya Reizen — "Histoire"