Hiver 82, jour du tournoi, premier combat - Quartier Fujiwara, Homura.

Alors que je m’avançais en direction de mon adversaire, je fis le point sur le peu d’informations que j’avais à son sujet. Seijuu Tsukiyo, dit mademoiselle Tsutsu. Je n’avais pas été foutu d’utiliser une seule fois son prénom correctement durant notre première mission ensemble. Nous n’en avions pas refait d’autres depuis. Il faut dire que je ne l’avais pas revu tout court. Elle m’avait fait savoir qu’elle était spécialisée dans la traque et avait la capacité de se transformer en loup. De ce que je me souvenais de son caractère, elle était maîtresse de ses émotions. Elle ne laissait absolument rien au hasard. Elle allait être une adversaire redoutable. Je n’avais pas encore véritablement de plan, mais je me battrais jusqu’au bout. De toutes mes forces.

Lorsque je fus arrivé à quelques mètres de mon opposant, Bwabwa la gratifia d’un magnifique « bwa » et agita la main dans sa direction pour la saluer. Il sauta ensuite à terre et se plaça à mes côtés. Il suivit alors mes mouvements. Je vins joindre mes deux mains. Il fit de même avec ses pattes. Je vins m’incliner devant mon ennemi pour lui témoigner mon respect. Il fit de même de son côté. Je ne rigolais pas avec les combats, même lorsque ceux-ci servaient d’entraînement.

« Salutations sur toi, mademoiselle Tsu Tsu. »

La marionnette fit preuve d’autant de politesse… avec ses propres mots.

« Bwa bwaabwa bwa bwaaaah. »

Le vieux avait été intransigeant lors de nos séances hebdomadaires. Quoi que je puisse penser de mon adversaire, il méritait le respect auquel chaque être vivant pouvait prétendre. Au sein du Gang, avant même de savoir manier les marionnettes, nous apprenions à respecter la vie. J’admettais que ce n’était pas toujours facile. Je partais très souvent au quart de tour. Cela ne me viendrait pourtant jamais à l’esprit d’attenter aux jours de quelqu’un à cause d’un différend. Je redoutais d’ailleurs le jour où j’aurais à tuer.

Je m’agenouillais face au nord. Dans le Gang des Sept Nains, nous vénérions la Nature comme entité supérieure et maître de la vie. Il était de coutume, avant chaque combat, de lui adresser la prière du marionnettiste. A travers celle-ci, je confiais nos âmes, y compris celles de mon adversaire et de mes marionnettes, à tout ce qui composait notre environnement naturel. Je vins poser mes mains face contre terre. Je pris une grande inspiration et débutais à voix haute mon oraison.

« A toi, Mère Nature, je t’abandonne mes prières
En ce jour où l’ombre se mêle à la lumière
Je laisse mes pensées se tourner vers toi
Et te confie mon âme et celle qui se dresse face à moi. »

Cette litanie était généralement accompagnée d’une mélodie au shamisen. Faute d’instrument, il semblerait que moi seul puisse l'entendre, par la force de mes souvenirs.

« Ô toi qui porte la vie, guide nos esprits,
Dans le chaos du combat, préserve notre intégrité,
Que nous puissions nous affronter avec honneur et dignité… »

La prière continua encore sur quelques vers. Je me levais et reproduis la même gestuelle, face à l’est.

« Ô toi, nature sauvage et sage, aiguise nos esprits,
Pour anticiper les mouvements et saisir l’ennemi… »

Au fur et à mesure que je reprenais le contrôle sur mes émotions et mon coeur, il m’était plus difficile de maintenir la marionnette en place.

« Ô toi, mère aimante et bienveillante, je te confie mon adversaire… »

Les vers s’enchaînaient. Ma voix se faisait plus sûre et plus sereine. Je me levais à nouveau et reproduis encore une fois la gestuelle, face au sud. Je confiais nos décisions, nos choix, nos âmes aux esprits : à ceux de la nature et des ancêtres vénérés, à ceux des arbres majestueux et des forêts profondes, à ceux des rivières paisibles et des cascades tumultueuses, à ceux des montagnes altières et des sommets enneigés.

« Ô esprits des anciens marionnettistes qui veillent sur cette terre… »

A ceux des terres fertiles et des forêts sacrées, à ceux des astres brillants et du ciel infini, à ceux des cours d’eau et des cascades cristallines, à ceux de la terre ancienne et de la nature éternelle, à ceux des ruisseaux chantants et des eaux vives.

« Ô esprits des ciels étoilés, porteurs de mystères infinis… »

Je me levais une dernière fois et, pour terminer ma prière, je m’agenouillais face à l’ouest.

« Ô esprits des arbres anciens, gardiens de la sagesse immémoriale… »

Bwabwa finit par disparaître complètement : il venait d’être renvoyé là où il serait en sécurité.

« Ô toi, Mère Nature, en ce moment solennel,
Je te confie nos destinés, nos corps et nos âmes fidèles,
Dans le tourbillon de la bataille, je ne t’oublie pas,
Moi, le marionnettiste, uni à toi jusqu’à mon dernier pas. »

Je finis par prendre de la terre et frottais mes mains l’une contre l’autre, jusqu’à ce que tous les grains de poussière soient revenus entre les mains de la nature.

« Ainsi soit-il. »

Lorsque je fis de nouveau face à Tsukiyo, elle put voir briller au fond de mon regard les âmes de tous les marionnettistes passés et présents, prêts à se battre pour leur liberté. Je fis quelques mûdras et invoquais Moka, roi des ours, sur le terrain. Bien que plus grand que moi, Moka restait relativement petit par rapport aux communs des mortels. Il n’en restait pas moins impressionnant. Nous nous mîmes en place, en position défensive, sans perdre notre adversaire du regard.

Il était grand temps de passer aux choses sérieuses.

Je laissais à notre adversaire le loisir de donner le premier coup.

Résumé:

Hiver 82, jour du tournoi, premier combat - Quartier Fujiwara, Homura.

J’arquais un sourcil. Elle voulait que nous finissions vite pour… continuer à lire ? Se moquait-elle de moi ? Je ne savais pas quoi penser de cette femme. Que venait-elle vraiment faire ici ? Si elle tenait tant que ça à connaître la suite de son histoire, elle… n’avait qu’à déclarer forfait. Il était tout à fait hors de question que je lui facilite le travail. Je l’observais en silence… jusqu’à ce qu’un sourire carnassier vienne saccager ma face lorsque mes yeux se posèrent sur la louve humanoïde. Je n’aurais pu rêver mieux comme premier combat. Ah. Si. Je n’ai rien dit. J’aurais pu tomber sur un Fujiwara. Mais je me contenterais de la bête. Son regard se posa sur nous. Parfait ! C’était tout simplement parfait.

« Bonne chasse à toi… »

Les dés sont jetés. Voilà qu’elle se dirige vers moi, bondit vers moi et… mon corps ne bougea pas d’un poil. Non, pas par peur, mais par pur esprit de contradiction. Sa patte s'abattit dans ma direction et ses griffes vinrent entailler ma chair, laissant une belle trace rougeâtre parcourir mon visage du haut de mon arcade sourcilière droite à mon menton, en prenant un malin plaisir à marquer ma joue. Fort heureusement, aucun dégât n’était à déplorer au niveau de l'œil. Le sang se mit à couler.

« En effet, la chasse a commencé… »

Un rire franc et clair franchit alors mes lèvres. Pour qui se prenait-elle ? Qui pensait-elle impressionner ? Elle ne pourra jamais être plus monstrueuse que les chimères qui hantaient mes cauchemars. Quant à la marque qu’elle venait de déposer, il allait falloir faire mieux que ça pour me déstabiliser. Certains jours avaient été bien pires que ça lorsque mon corps squelettique arpentait les rues d'Homura Mes doigts glissèrent le long de la blessure et prélevèrent suffisamment de sang pour pouvoir peinturlurer la tête de Moka avec.

J’étais très loin d’être un lapin de six semaines. Je comptais bien troubler tous ses sens… et de la pire des façons. Mes mains attrapèrent un fumigène dans les plis de ma tenue. Mon regard se plongea dans celui de la louve qui tentait de faire monter la pression en tournant autour de moi. Je lui adressais un petit signe de la main avant de jeter avec force l’objet que je tenais. Il s’éclata à mes pieds, provoquant alors une épaisse fumée sur une zone suffisamment grande pour que Moka et moi puissions y disparaître.

Durant ce laps de temps très court, j’activais un piège de la marionnette. Moka lança une bombabouse en l’air et, lorsque celle-ci retomba en direction du sol, nous fîmes un mouvement à l’unisson pour qu’elle vienne exploser entre mon dos et le sien, répandant sur nos deux corps son immonde odeur. Si je n’avais pas la possibilité d’effacer mon odeur, ni celle du sang, ni celle de mon coéquipier, alors j’allais faire en sorte de les rendre immondes. Les odeurs du sang et de la bombabouse étaient partout, sur lui comme sur moi.

Moka était moi. J’étais Moka. Lorsque la fumée commença à se dissiper, qui aurait été capable de nous différencier. J’avais pris l’apparence de ma marionnette. Tsukiyo faisait maintenant face à deux Moka. Les émanations provenant de nos corps étaient fortes. Je comptais bien transformer ce terrain en un véritable marée où les effluves seraient insoutenables pour la forcer à capituler. Je connaissais suffisamment ma marionnette pour que nos mouvements soient synchronisés et ainsi la mettre en difficulté : il lui était possible de nous différencier facilement à l’aide d’un détail, mais que je me garderais bien de lui donner.

« Cours, petite fille… »

Et contre toute attente, je fonçais en direction de mon adversaire. Un kunaï vola en direction de sa tête, plus pour la distraire qu’autre chose. Pour ne pas lui faciliter la tâche, les deux Moka se mirent à signer, bien qu’un seul d’entre nous puisse réellement déclencher le piège de l’autre. Une bombabouse fut tirée dans l'espoir qu'elle touche son pelage. Peu importe qu’elle atteigne ou non sa cible. J’allais rendre ce terrain tellement infect qu’elle ne pourra plus échapper à cette immonde odeur, où qu’elle aille.

Résumé:

Hiver 82, jour du tournoi, premier combat - Quartier Fujiwara, Homura.

Je n’aurais jamais pensé dire ça un jour d’une personne : cette meuf causait plus que moi. Oui, oui, je vous jure. C’est possible. Comment pouvait-elle trouver le temps de parler pendant un affrontement ? Me dévoilait-elle ses attributs parce qu’elle était sûre de gagner ? Elle ne devrait pas m’enterrer aussi vite. Coup de pied rotatif au niveau du torse. Mon corps fut projeté quelques mètres plus loin. La différence de taille jouait en ma défaveur. Si j’avais été plus grand et plus lourd, elle n’aurait pas eu assez de force pour m’envoyer sur une telle distance. J’avais du mal à respirer. J’avais mal. La douleur était encore supportable. Un autre coup comme celui-ci commencerait sérieusement à me mettre à mal.

Moka était allongé au sol. Inerte. Vérifiant rapidement l’état de mes côtes, je jetais un coup d'œil dans la direction de mon adversaire. Trop tard. Elle venait d’envoyer un kunaï dans ma direction. Le parchemin explosif attaché à cette arme qui vint se planter entre mes pieds ne m’échappa guère. Une explosion. Celle-ci souleva une salve de terre. Mes oreilles se mirent à bourdonner méchamment. La chaleur dégageait par l’explosion réveilla quelques douleurs au niveau de ma jambe droite, comme si ces immondes brûlures avaient reconnu une vieille ennemie. Mon pantalon perdit de sa prestance. Il manqua de brûler à un endroit, mais j’eus la présence d’esprit d’éteindre la flamme avant qu’elle ne prenne trop d’ampleur.

Calme-toi, Kaïto. Ce n’était qu’une toute petite flamme de rien du tout. Inspire profondément. Expire longuement. Je ne pouvais pas rester là. Je refusais de déclarer forfait. Pas maintenant. Je tenais encore debout. Enfin… presque. Ce bourdonnement incessant biaisait mon équilibre. Pourtant, je ne devais pas rester là. Immobile, j’étais une proie bien trop facile pour mon adversaire. Je n’avais aucun moyen de contrer ses oreilles, hormis un parchemin explosif bien placé. Je n’aurais le droit qu’à un seul essai… Encore fallait-il que je tienne jusque là. Je devais adapter ma stratégie.

« Ne lutte jamais contre ton propre corps. Accepte l’état dans lequel il est et fais avec. »

Pffff. Ce genre de souvenir avait toujours le chic de surgir dans des moments critiques. Le vieux avait été intraitable durant les entraînements. Il était temps de voir si ses enseignements avaient porté ses fruits. A cause  de ma cécité passagère, mon centre de gravité actuel posait problème. J’allais donc devoir le changer en fonction des envies de mon corps. Je m’assis en tailleur et fis quelques mûdras. Jack Ward, corsaire des bois, fut invoqué sur le terrain (technique 1). Quant à Moka, il resta bien sagement à sa place, sur le sol de l'arène. Je ne pouvais manipuler qu’une marionnette à la fois, mais rien ne m’empêchait de jongler entre les deux à tout moment.

Jack était plus rapide que Moka, mais ne possédait aucune défense. Je devais à tout prix rester éloigné de mon adversaire. Il était maintenant temps de se trémousser. Mon corps décidait seul des pas de danse et de la direction à prendre. Le plus important étant de rester en mouvement, peu importe ma posture. Si je ne possédais aucune technique pouvant contrer ses oreilles, ce n’était pas le cas pour son nez et ses yeux. Il allait falloir que je joue sur ces deux facteurs. Je galérais à garder mon calme. J’avais mal au niveau des côtes. Et ce sale bourdonnement dans les oreilles. Pourtant, il était tout à fait hors de question que j’abandonne.

Je me levais et laissais à ma carcasse le loisir de bouger comme elle le souhaitait, tout en maintenant une distance raisonnable avec Tsukiyo. Jack se déplaçait de manière très aléatoire. Je devais tenir. Tenir le plus longtemps possible, jusqu’à ce que cela soit le bon moment. D’ici là, j’allais modeler le terrain au gré de mes envies. J’activais une première fois le piège du fumigène (technique 2). Celui-ci vint s’écraser à quelques mètres de la jeune femme, sur sa droite. Je déclenchais un nouvel artifice de la marionnette avant que celle-ci ne soit trop loin du loup-garou : une bombabouse partit dans sa direction (technique 3).

Au fur et à mesure de l’activation des techniques, je m’éloignais de Moka. Inspire profondément. Expire profondément. Laisse ton corps danser à son aise. Activation d’un nouveau piège (technique 4) et un nouveau fumigène vint s’écraser à quelques mètres de mon ennemi, derrière elle. Jack s’effondra subitement sur le sol. Je jetais un kunaï dans la direction du loup pour tenter de détourner son attention. Moka en profita pour se réveiller et fonça dans sa direction, bouclier levé.

Combien de temps pourrais-je tenir à ce rythme ? Le chakra allait me manquer avant que je n’arrive à mettre un terme à ce combat… A moins que cela soit la douleur et la fatigue qui prennent le dessus.

Résumé: