S'il y avait bien un lieu dans lequel pouvaient fuser les informations, c'était bien dans une des tavernes du village. Le Sabreur pouvait encore sentir cette frustration parcourir son corps jusqu'à influencer ses décisions, goûter l'amertume de sa propre absence à l'un des événements les plus décisifs de ces dernières années. Il se rappelait sa réaction lors de cette annonce, les mots révélant les quelques grandes lignes de ce qu'avaient pu vivre les Genin quelques kilomètres plus loin, ses yeux qui s'étaient écarquillés d'envie. Car de sa valeur il en était hanté, il avait pu rêver de cette opportunité en or de montrer qui il était et ce qu'il valait. Et de cet orgueil il ne pourrait en faire fî tant que ce démon l'habitait.

Un étrange chapeau d'une taille démesurée reposait sur son crâne, aplatissant ses cheveux tirés en arrière et formant une queue de cheval. Il se voulait plutôt discret dans son approche, l'image des Sabreurs était telle dans Kiri qu'il ne tenait pas à ce que son identité ne soit dévoilée. Ce n'était ni le lieu, ni le moment. Il ne voulait accaparer l'attention comme s'il ne pouvait pas réclamer les informations qu'il lui seraient dues ; plutôt que de se mettre en maître de cérémonie, il préféra agir discrètement et simplement. Comme si c'était ce défaut qui l'animait et qu'il voulait voiler - la hantise du rejet, de l'abandon et la perversité de la curiosité qu'ils engendraient -, il préféra se mêler à l'ombre jusqu'à trouver de dignes informateurs.

Des gens qui détenaient des connaissances. Entendues feraient l'affaire, mais vécues auraient été encore mieux. Ses yeux valdinguèrent dans toutes les directions sans que sa tête ne trahisse ses mouvements, ils zieutaient les discussions endiablées que partageaient les plus éméchés des ivrognes. Il analysait fiévreusement leurs dires, une pinte à la main, tendant l'oreille du mieux qu'il le pouvait pour capter leur prose, mais rien ne lui apparut pertinent.

Dieu que cela était évident, il avait besoin de chance pour subvenir à ses besoins.

Ses pupilles continuèrent de valser. Elles se perdirent jusqu'à défigurer chacune des têtes qui peuplaient le lieu. Elles tentaient de lire sur les lèvres des plus bavards et des plus discrets. Elles s'attachèrent à essayer d'attraper au vol les mots qui pouvaient le plus capter des ambitions, mais en vain.

Mais dans son voyage, elles se perdirent sur un premier élément qui percuta son attention. Il ne le connaissait pas personnellement, mais les quelques échos qu'il avait reçu de ces escouades de jeunes pousses avaient tracé des traits sur des visages et sur quelques bribes de silhouettes. Son esprit avait envisagé quelques couleurs sur des costumes flous de certains des participants, et s'il avait déjà prit connaissance des autres Sabreurs qui avaient vécu le drame, il devait rencontrer les autres.

Il rattraperait ce retard sur ses compères, car il n'oubliait pas que des six élus, il avait été le seul à avoir été écarté. Même si seul le hasard avait été responsable.

Il posa sa pinte au point de la pousser sur un rebord de table. Il avait trouvé sa cible et elle s'en apercevrait vite. Il repoussa sa chaise lentement afin de ne pas trop ébruiter, se levant en détachant son kimono du bois de ce qui l'avait maintenu proche de sa tablée, et se dirigea lentement vers l'homme qu'il visait. Il en avait aperçu un autre, mais il ne pouvait pas créer d'attroupements dans un lieu si empli. C'était un à la fois, sauf s'ils en décideraient autrement.

Il arriva à la hauteur de Bankichi, avec une moue qui semblait sous-entendre qu'il lui reprochait quelque chose. Peut-être était-il partagé avec l'envie de savoir s'il aurait pu être capable de faire quelque chose dans la forêt de Mizu, mais il avait le devoir de se retenir pour se concentrer sur l'essentiel. Même si ses mimiques intimaient sa hargne.

Sa voix parvint dans un murmure à ses oreilles, il ne lui fallait être entendu par plus d'oreilles que nécessaires.

« Hey, toi. J'ai besoin de toi. T'as fais parti des Genin qui sont partis dans la forêt, ce jour là, n'est-ce pas ? Viens dehors et dis moi ce que t'as vu. »

Trop direct ? Sûrement. Ce n'était pas qu'il voulait lui manquer de respect à ce moment-là, mais les esprits étaient si fallacieux qu'il se voulait assombri. Face à la gloire et au renom, il n'y avait pas de petites méthodes.

« Mmmmh ? »

Sa tête se suréleva tandis que ses yeux s'abaissèrent, ne le lâchant pas du regard. Il l'avait presque pris comme une agression, lui qui pensait que cette information lui était due. Cela devait être un mélange entre son statut de Sabreur et l'importance des informations que détenaient ceux qui avaient connu ce conflit, il n'y avait rien qui, pour lui, légitime l'idée de préserver ces informations. Surtout qu'il n'était pas inconnu des foules, il avait pris pour acquit le simple fait de lui accorder ce qu'ils demandaient, ce qui n'était ni plus ni moins qu'un caprice hautain provenant d'une personne un peu trop persuadée d'être supérieure aux autres.

Mais cela, il n'y fit attention. Il n'y avait que deux choses qui avaient percuté son orgueil : la première était le sous-entendu amoureux qui liait celle qu'il aimait à un homme d'honneur, tandis que le deuxième était le simple fait de ne pas avoir obtenu ce qu'il voulait. Car au delà d'étancher simplement sa curiosité, la réponse lui était primordiale et essentielle, il y accordait à ce point une importance qui dépassait et de très loin le monde rationnel.

Son regard se fit alors plus agressif, plus sérieux. Sa moue se serra, comme si ses dents grinçaient les unes contre les autres. Il y avait un mélange d'incompréhension, d'agacement et de frustration, d'autant plus lorsqu'il comprit que ce n'était déjà plus la peine ; sûrement était-il déjà trop tard pour obtenir ce qu'il souhaitait. Maintenant qu'il avait agacé ce Kaguya, au vu du ton avec lequel il lui avait répondu, il n'avait plus aucune chance de lui tirer la moindre information.

... Sauf peut-être s'il répondait à ses avances.

Parce qu'il avait beau s'imaginer retourner cette taverne, dévoiler son Sabre divin, commencer à envoyer ses frappes les plus déterminées et acharnées sur le corps de ce guerrier – sans même savoir s'il serait capable de le blesser, mais que cela lui était égal ! –, il ne pouvait s'empêcher d'imaginer le regard déçu de celle qu'il admirait se poser sur sa silhouette. Jamais ne pourrait-il survivre à cela.

Alors il prit une grande inspiration, et dessina un sourire forcé sur son visage. S'ils se battaient, cela ne devait pas venir de lui.

« Tavernier, une bière pour le héro devant nous. »

Evidemment qu'il se forçait, mais il n'avait pas vraiment le choix. Sûrement qu'un vent de compliments saurait calmer leurs ardeurs.

« Moi aussi je rêve d'en devenir un. Dis moi comment t'as fait. »

Et c'était loin de tout mensonge, il n'y avait pas de plus belle vision que celle d'un homme admiré entouré de son amour le plus fou, vénéré par tous ceux qui voyaient en lui sa gloire et ses hauts-faits.

Mais il devait être destiné à ça. Enfin, c'était ce qu'il espérait, depuis son acquisition.

Il y avait évidemment dans ce sourire forcé toute l'expression de son dégoût. Et cela n'était pas vraiment voilé par quoi que ce soit. N'importe qui était capable de comprendre qu'il venait de mettre de l'eau dans son vin au point de ravaler son orgueil, et si ses motivations à accomplir tel exploit étaient encore floues, le fait était là : il venait de s'écraser devant l'une des personnes qui détenait les informations qu'il souhaitait, celles des missions entreprises par une ribambelle de Genin quelques jours plus tôt.

Et cette joie qu'il dessinait volontiers sur son visage, il l'abhorrait également. Au croquis de nombreuses scènes dans lesquelles il se représentait écraser moulte fois la joue de son interlocuteur, il l'écouta avec autant de passion qu'il voulait le faire taire. Il y avait dans ses mimiques un quelque chose qu'il voulait éteindre, que cela soit par ses phalanges ou par sa lame.

Il fut toutefois coupé par un nouvel intervenant, blondinet dont les traits lui rappelait également une certaine description. Nul doute qu'au vu de tout ce qu'il avait entendu de ces missives, lui aussi avait fait parti des escouades envoyées.

Il était cerné.

« Ce monsieur en face de moi, il s'agit bien de l'un des survivants du grand Yokai dont tout le monde parle, n'est-ce pas ? »

Sa bouche se fissura mais au fur et à mesure qu'il parlait, c'était comme s'il croyait de plus en plus en son jeu d'acteur, au point où il en devint naturel.

« Tout comme toi, d'ailleurs. Tavernier, donnez moi donc une deuxième pinte ! C'est pour le blondinet ! »

Attendant simplement d'être servi, il venait plutôt cette fois l'heure de répondre à l'une des plus grosses absurdités qu'il ai pu entendre jusque là. Jamais ne lui serait-il venu une seule seconde à l'idée de se faire discret face à ses chefs de clan... surtout qu'il en était un lui-même.

« Dis moi, Bankichi. En tant que membre des Sept Sabreurs, je fais indirectement partie du Conseil des Sept, l'équivalent des chefs de clan pour les Yuki et les Kaguya. J'aurai de la peine à imaginer que des membres de mon propre clan souhaitent se faire discret à mes yeux. Tu agis vraiment dans le dos de Taosu... ? Elle s'rait p'tètre pas très satisfaite de l'apprendre. »

Une manière d'insinuer un moindre coup de pression à sa manière, une vengeance à l'injure qu'il venait de vivre. Car peut-être serait-il divertissant de le plonger dans un tourbillon de problèmes au sein des siens.

De le mettre en lumière s'il souhaitait tant que ça côtoyer les ombres.

Il y avait comme d'habitudes ces pointes d'admiration qu'il rêvait d'obtenir également de personnes pour qui il éprouvait de l'intérêt mais qui, comme à de nombreuses reprises, ne partageaient pas l'avis des foules. Amusant devenait le constat que les opinions des ninjas se détachaient à grandes enjambées de celles des civils qui n'y connaissaient rien ; pour ces derniers, les Sabreurs étaient de véritables divinités au sein de Kiri, tandis que pour ceux qui avaient un tant soit peu côtoyé le fer, l'expérience et le sang, ils n'étaient que de simples shinobis qui avaient besoin de faire leurs preuves.

Et cela, Haru l'apprenait difficilement à ses dépens. Cette rencontre n'était pas la seule, il voyait bien cette frontière qui se dégageait naturellement et dieu qu'elle était logique, entre un shinobi qui n'avait rien vécu et qui prônait sa supériorité et un qui avait vécu un face-à-face contre un Yokai aussi puissant que ce qu'il contait... il n'y avait aucune raison de croire en le premier. Cela n'était ni plus ni moins qu'une démonstration pure et simple de sa naïveté, car bien qu'il ne manquait pas de détermination à l'idée d'en découdre, il n'avait tout simplement pas démontré quoi que ce soit qui intime l'admiration.

Mais il était évidemment encore trop stupide pour ne pas se sentir agacé, bien que cette fois, il n'eut aucune difficulté à rester calme. Sûrement y avaient-ils bien des raisons de ne pas s'emporter, à commencer par celle de son cœur.

« Je serai gêné que vous le criiez haut et fort, cela empièterait sur notre discussion. Je suis Haru, membre du Conseil des Sept qui régit le clan des Sabreurs, détenteur du premier des sept sabres divins... Sōshisha, le Sabre de Chakra. », avança t'il en faisant un geste de son chapeau avec sa main, comme s'il les saluait, avant de s'accouder au bois du comptoir. « Notre rencontre est la raison de ma présence. L'une de mes plus grandes frustrations et de ne pas avoir pu faire partie des escouades ayant poursuivi des criminels et enquêté sur les Yokai. J'étais venu tenter d'obtenir des vents d'informations, et j'ai eu la chance de vous tomber dessus. »

Et là était le premier point problématique... il s'était voulu prétentieux et insolent au premier abord, au point d'avoir menacé le Kaguya, et le voilà qui maintenant espérait obtenir des informations d'eux. Sûrement serait-il plus malin de faire profil bas, s'il voulait continuer d'enquêter à ce sujet.

« Et je vais vous faire une petite confidence. Je n'ai aucun problème à évoquer le nom de Kaguya Taosu comme je n'aurai aucun problème à avoir une discussion avec elle. Nous sommes tous les deux chefs de clan, et bien qu'elle aurait les capacités de m'écraser... s'en prendre à moi, c'est insulter les Sabreurs. Et plus que de se méfier d'insulter ouvertement un clan en lui déclarant la guerre, ce qui ne serait pas souhaitable pour Kiri, tout le monde redoute également les pouvoirs d'Imifumei... même elle. Donc je n'ai pas grand chose à craindre. »

Vous aviez tous les deux un aperçu de qui était Haru... sans aucun doute l'apparence parfaite d'un petit prétentieux qui se pensait tout permis au regard de son statut social. Et le pire dans tout cela, c'était que cela reposait sur des faits avérés.

Il fut toutefois impressionné par la déclaration de Bankichi, car jamais n'avait-il pensé une seule seconde que cette réalité puisse exister. Bien que cela le surprendrait.

« Pense ce que tu veux, héros de la Brume. Tu n'as pas cette même image que moi, de cette salle remplie de sabreurs indésirés par le sabre que je possède. De ces semaines, de ces mois sans qu'elle ne trouve la moindre personne suffisamment digne d'elle. Elle a même refusé mon génie de frère... alors qu'elle a vu mon potentiel, avant de se diriger vers moi. Je refuse de croire que cela n'est qu'une machination d'Imifumei. »

Cela devait être un mélange entre son orgueil et sa fierté, car s'il y avait bien une personne qui aurait mérité de posséder Sōshisha, et il le savait bien... c'était bien son grand frère. Il ne manquait toutefois pas de galon, et dans cette dernière intervention dans laquelle il vit une pointe de souffrance et de vécu, lorsqu'il évoqua le Yokai, il y trouva l'opportunité de tenter de se frayer un chemin.

Car s'il avait beau être un petit prétentieux qui jouissait beaucoup trop de son statut social, on ne pouvait pas lui retirer son inébranlable détermination à l'idée d'écraser ses ennemis.

« Ton Yokaï intelligent là... il ressemblait à quoi ? Vous savez quoi de lui ? Je veux faire partie de l'escouade qui l'annihilera. »

Et sûrement que ce souhait était stupide aux yeux de celui qui avait pu apercevoir sa toute puissance... bien que rien n'empêchait ce projet de s'effectuer plus tard.

Si personne ne s'en occupait avant.