Koriki Tomio, Daimyo de la Foudre

Yamamoto Nobu, Bretteur reconnu dans le pays

Shiratsuchi Baku'en, Chef du clan Shiratsuchi

Aburame Yokoshima, Cheffe du clan Aburame

Une atmosphère bien étrange.

C’est ce qu’aurait ressenti n’importe qui en entrant dans la pièce. Elle était elle-même bizarrement décorée, à vrai dire. Elle était sans doute vaste, mais on n’aurait pu dire à quel point car son espace était délimité par de longs pans de tissu – de la soie jaune, ocre, or, carmin ou couleur de crépuscule – qui pendaient du plafond pour former un cercle au centre de la pièce. L’espace était occupé par une unique table, ronde. Quatre fauteuils l’entouraient, aux points cardinaux. Ceux de l’est, du sud et de l’ouest étaient déjà remplis. Le trône au nord restait encore vacant.

Les individus déjà attablés gardaient le silence, se lançant à peine aux uns et aux autres des regards lorsque l’un d’eux toussait, éternuait ou se raclait la gorge. Un silence glacé pesait sur la salle. Ils semblaient attendre quelque chose, ou quelqu’un : sans doute l’occupant du trône septentrional. Profitons de ce moment de flottement pour décrire un peu les illustres membres de cette bien maigre assemblée.

À la chaise de l’est était assis un homme dont le visage avait inspiré un mélange de défiance et d’admiration à tout le pays dans les derniers jours. Certains l’appelaient l’honorable perdant, d’autre le triste sire. Yamamoto Nobu. Seul son œil droit était visible, le gauche restant caché derrière un bandeau. Il était difficile d’y lire autre chose que la défiance la plus extrême. Peut-être cela était-il dû également à sa moustache et à son bouc pointus comme des poignards, ainsi qu’à ses cheveux attachés en un chignon serré. Il avait troqué pour le temps de la réunion son plastron et ses sabres pour des vêtements plus adaptés à la cour du palais dans lequel ils se trouvaient. Le fauteuil du sud accueillait le séant de Shiratsuchi Baku’en. Un autre individu que l’on pouvait facilement reconnaître dans une foule. Ses traits étaient ceux de la plus parfaite sérénité, lorsqu’ils n’étaient pas animés d’une sorte de tic étrange qui étirait un vilain rictus sur ses fines lèvres. Son regard était fixé sur le trône vacant et ne cillait pas. Enfin, au fauteuil de l’ouest était installée Aburame Yokoshima, la seule femme. Ses cheveux d’encre coulaient dans son dos. Son visage était barré d’un masque des plus singuliers. Ses yeux passaient d’un point à un autre, mais sans que jamais sa tête ne bougeât. Elle semblait s’ennuyer.

Deux noms semblaient manquer à l’appel pour réunir tout ce qu’il y avait de plus gratiné dans la société de Kumo : celui du Daimyô et celui du Raikage. Restait à savoir lequel de ceux-là occuperait le dernier et le plus prestigieux des sièges.

Soudain, du bruit agita l’espace. La voix d’un chambellan résonna dans la salle :

« Le très noble et très révéré Daimyô de la Foudre, son Altesse Koriki Tomio ! »

Yamamoto Nobu et Aburame Yokoshima se levèrent d’un même mouvement ; Shiratsuchi Baku’en sembla hésiter un instant avant de les imiter : juste à temps car, à peine fut-il sur ses talons, l’un des longs rideaux de soie se leva pour laisser entrer en scène une nouvelle figure. Elle se dirigea vers le trône du nord et s’y assit. Les trois autres en firent de même, après avoir effectué une courte révérence. Koriki Tomio était arrivé. La réunion pouvait commencer. Tous attendaient qu’il prenne la parole. Il échangea d’abord un regard avec son voisin de gauche. Puis il parla :

« Soyez tous trois les bienvenus en mon palais. Nous espérions pouvoir tenir cette réunion plus tôt. Mais il n’est nul besoin de vous rappeler à quel point les gueux peuvent se montrer… agités. »

Le ton était donné. Il n’y eut toutefois aucune réaction dans l’assemblée. Même Baku’en resta d’un calme parfait. Sans doute bouillonnait-il intérieurement…

« Il est plus que temps de faire sortir ce pays de sa léthargie. Les événements récents ont eu l’avantage d’échauffer le sang de nos sujets. Tant mieux ! Utilisons cette énergie en notre faveur. Nous avons deux ambitions que nous souhaitons voir se réaliser, grâce à votre soutien que nous savons inconditionnel. L’une concerne l’intérieur, l’autre l’extérieur. Pour la première… »

Il s’interrompit un instant, arqua un sourcil en direction de Nobu, puis poursuivit :

« La voix du peuple a porté à la tête du village un saltimbanque, éleveur de chiens et certainement mendiant à la porte des épiceries. Ce choix ne nous plaît guère. Toutefois, nous avons fait l’amer constat que la piétaille ne se laissera pas contredire facilement. Il nous faudra donc ruser pour évincer l’Inuzuka. Quel est votre conseil ? »

Il y eut un flottement. C’était un aveu d’hostilité du Daimyô envers l’un des hommes les plus importants du pays, si ce n’est le plus important, après le seigneur peut-être. Finalement, ce fut Nobu qui répondit le premier, sur un ton qui trahissait la plus vive précaution.

« Il ne faut pas céder à la tentation de l’assassinat, sire. Ce serait un aveu trop évident de votre action et qui ne ferait que remplacer l’Inuzuka par un autre de la même trempe après un nouveau conflit sanglant. Si vous désirez vraiment faire tomber le Raikage, je suggère de le placer sous la plus étroite surveillance, d’épier ses faits et gestes et de noter toutes les fautes qu’il commettra, ou qu’il a déjà commises. Cela reviendra à saper sa réputation. Il sera alors facile de le chasser du pouvoir pour le remplacer par un candidat qui sera son opposé et qui recueillera, je n’en doute pas, l’aval de votre altesse. »

Il conclut d’un signe de tête en direction du seigneur. L’identité dudit futur candidat pouvaient sembler évidente. Le Daimyô reprit la parole :

« Cela nous semble sage. Nobles chefs de clans, croyez-vous ce plan réalisable ?
— Sans aucun doute, répondit Yokoshima. Il me sera très facile de placer quiconque sous écoute constante, si vous le souhaitez. Y compris le Raikage. »

Tous ne purent réprimer un frisson en entendant cette voix glacée proférer une si simple réalité : elle signifiait en substance que chacun était susceptible, à tout moment, de tomber sous sa coupe. Baku’en n’ajouta rien : il se contenta d’incliner la tête en signe d’approbation lorsque le Daimyô tourna son regard vers lui. Intérieurement, il jubilait. Voilà une parfaite occasion de faire double jeu. Il sentait qu’il y avait fort à gagner, dans un parti comme dans l’autre, à condition de jouer finement. Ou de jouer sur les deux terrains. Pour sa part, il devait admettre que son aversion naturelle pour le Daimyô le faisait pencher d’un côté plutôt que de l’autre, tout de même…

Le seigneur frappa dans les mains, l’air visiblement réjoui. Sa moustache frémissait d’excitation.

« Bien ! Ce premier point est donc clos. Nous savons que votre soutien sera sans faille et connaissons l’efficacité de vos moyens. Nous ne nous faisons donc pas grand souci quant à l’avenir de l’Inuzuka. Nous souhaitons également solliciter vos lumières quant à notre second dessein, vers l’extérieur. Il est de commune notoriété que le Yuusei est dominé par trois puissances, que sont Kiri, Homura et Kumo. S’il est évident que c’est à notre pays que doit revenir la suprématie, il faut toutefois savoir tirer les bonnes ficelles. Or, cela demande de connaître son ennemi, n’est-ce pas ? »

Il avait cité cette expression sans plus tout à fait connaître son auteur. C’était une formule bien tournée et qui servait joliment son propos. Baku’en intervint dès à présent :

« Me tromperais-je en concluant que vous souhaitez espionner Kiri et Homura ? »

Le Daimyô ne put réprimer un sourire en coin.

« Eh bien non. Vous touchez juste. Nous souhaitons tout savoir des faits et gestes de nos homologues du Pays de l’Eau et de l’Empire, jusqu’à l’identité de l’empereur lui-même. Nous voulons savoir qui ils fréquentent, quelles sont leurs relations avec les pays qui leur sont voisins et quelles sont les failles de leurs défenses. Ainsi seulement serons-nous capable de les exploiter judicieusement. M’entendez-vous ? »

Le message était clair et il était difficile de ne pas le comprendre. Yokoshima demanda, de sa voix sans ton :

« Seulement le Daimyô et l’empereur ? Il me semble que si vous souhaitez vraiment tout savoir sur les autres puissances, il vous faudra également tendre des oreilles vers leur commandement militaire. La Shogun, par exemple, et la Mizukage. Cela demandera de redoubler de prudence et de talent.
— Je ne peux qu’approuver, renchérit Baku’en. L’espionnage est dangereux. À la moindre erreur, c’est toute la chaîne d’opération qui pourrait s’effondrer et compromettre sa tête, en l’occurrence vous. »

Le Daimyô ricana.

« Nous serions fort sot de ne prendre aucune précaution contre cela. Il faudra que les ordres soient transmis dans le plus grand secret, sans que jamais de vrais noms soient donnés. Cela n’est, en vérité, pas bien compliqué. »

Les deux chefs de clan se turent. Nobu restait muet. Ces affaires ne l’intéressaient guère, tant qu’elles n’impactaient pas la stabilité de son pays, déjà fort précaire. Ce fut Yokoshima qui reprit la parole la première :

« Qu’avons-nous à y gagner ? »

Une simple question, mais qui disait tout. Le Daimyô grinça des dents. S’il avait pu répondre franchement, il aurait dit à ce monstre de cirque qu’il n’y avait rien à gagner pour sa troupe de chasseurs de papillons sinon l’assurance que leurs maisons ne soient pas brûlées dans la nuit. C’eût été une grave erreur. Aburame Yokoshima et Shiratsuchi Baku’en étaient des puissances que la seigneurie ne devait surtout pas s’aliéner, sous peine de s’exposer à des dangers contre lesquelles elle ne pourrait plus se prémunir. Il faudrait ménager ces alliés. Et tant pis pour les bûchers. D’un ton mielleux, le Daimyô répondit donc :

« Nous estimons que tout le monde y trouvera son compte. Et il est certain que le commandement du village de Kumo saura reconnaître à sa juste valeur le travail de ses plus fidèles serviteurs des clans Aburame et Shiratsuchi. N’est-ce pas ? »

Il avait adressé cette dernière question à Nobu. Légèrement interloqué – il haussa un sourcil, qui se rabaissa bien vite – celui-ci se contenta d’un vague :

« Sans doute, sire, sans doute. »

Cela n’engageait à rien. Surtout, cela ne présageait de rien.

« Nous attendrons donc vos rapports quant à cela également. N’oubliez pas : jamais de vrais noms. Et vous répondrez de ces deux affaires à nous uniquement. Nous ne souhaitons pas que l’Inuzuka salisse tout de ses grosses pattes. Nous avons parlé ! »

Il frappa à nouveau dans les mains. La réunion était terminée. Elle avait été brève, mais beaucoup de choses se mettaient en mouvement alors que chacun des participants quittait la pièce par une porte différente. Yamamoto Nobu en retenait que Kumo devrait s’attendre à quelques rebondissements qui auraient, sans doute, raison de son premier Raikage. Aburame Yokoshima avait réussi à attirer les faveurs du seigneur vers son clan, moyennant des travaux qui n’avaient rien d’insurmontables pour les siens. Shiratsuchi Baku’en avait soigneusement noté tout ce qui s’était dit et comptait mettre à profit toutes ces informations pour tirer la couverture vers lui, en nuisant le plus possible au Daimyô s’il le pouvait. Ce dernier repartait content, triomphant, même, car il était certain de sa réussite prochaine et de l’avenir radieux de sa nation.
Le silence était retombé sur la salle tendue de soie. La table, les chaises étaient vides. Une porte s’ouvrit, un homme entra. Il se mit à siffler en passant le balai sur les dalles de marbre. Il remarqua le trône du Daimyô, pouffa : il n’avait jamais vu de tabouret aussi fier. Il s’assit dessus. Il se sentait le roi des balayeurs. L’éclat de son rire retentit jusqu’aux cieux.