Un silence de mort régnait dans les alentours. La pénombre, elle, était omniprésente. La végétation, dominée par des pins de montagne, recouvrait toute chose, à l'exception des quelques rares sentiers de terre épargnés par la nature. Et le temps grisâtre n'y arrangeait rien. Une légère brume maussade complétait le triptyque assombrissant. Aucun doute : Washirō errait bien dans les alentours de Kirigakure no Sato.

Nul ne saurait à première vue pourquoi le Monsieur de Kiri s'était éclipsé de son village pour arpenter pareil endroit. Au vu du temps exécrable, il était difficile d'estimer le moment de la journée. Les perceptions des distances semblaient confuses en ce lieu où tout se ressemblait : le temps du trajet demeurait une inconnue également. Tout ce que le sabreur savait, c'est qu'il était dans une des nombreuses forêts qui entouraient la cité des brumes. Mais surtout : qu'il répondait à Son appel.

Parmi l'écho sépulcral des résidents de Misasagi, il était une voix à laquelle le propriétaire de l'Epée-Mausolée était particulièrement réceptif. Une étrange parenthèse dans ce capharnaüm d'âmes en peine, dorénavant mues par un désir de vengeance, de rédemption, ou simplement des accès de démence. Une bulle de confort dans ce quotidien jonché d'exécutions sommaires, de missions brutales et d'un respect irréprochable envers les codes de conduite de son clan et de ses différentes professions. Cette voix avait un visage, un nom. Il y avait quelque chose de profondément familier dans cette silhouette qui convoquait fatidiquement des souvenirs d'antan longtemps reniés. Alors, spontanément, Washirō abaissait sa garde dès lors que Sa voix se distinguait parmi le chaos ambiant à chaque fois qu'il empoignait son arme maudite. Et ce matin-là, Elle lui avait invité à se retrouver là-bas. Dans cette forêt abandonnée de tous. Là-bas, Elle lui avait assuré qu'elle prendrait forme pour passer du temps ensemble.

« Tu es venu, Washirō. Cela me fait plaisir. Vraiment. Rejoins-moi au bout du sentier, que je puisse te voir de plus près… »

Son appel s'était évanoui dans la vaste canopée. Le bourreau coula quelques foulées, la main toujours empoignée sur l'extrémité du fourreau de Misasagi. La silhouette d'un temps passé l'attendait quelques mètres plus loin, sur ce sentier. Ailleurs que sur le fil ténu de ce chemin, la brume et la végétation envahissaient le regard. Il n'y avait nul part à contempler, sinon cette forme fuligineuse qui l'attendait.

Au sein de ce labyrinthe de branches et de brouillard, chaque pas pesait plus que le précédent. Les distances étaient distordues. Le temps victime d'une sorte de mirage inexplicable. Les secondes n'avaient plus de valeur et les mètres se faussaient à chaque avancée. Ainsi, il fallut aux jambes du guerrier un moment impossible à déterminer, mais bien trop long, pour progresser de quelques pas. Le brouillard était léger. Pourtant l'air paraissait lourd. Quelque chose de malsain régnait dans cette sylve totalement figée.

Puis soudain, un cri strident brisa la tranquillité suspecte des lieux.

Un hurlement qui rappela à Washirō ses pires souvenirs de mission, celle-là même où sa capitaine d'équipe fut emportée par une terrifiante créature. Tout à coup, tous les sens de l'Asakura se mirent en alerte. Le spadassin s'immobilisa sur place, les yeux et la tête cherchant dans son entourage proche la source de cette nuisance sonore. Un bref instant plus tard, il essaya de retrouver la silhouette de Celle-qui-l'attendait, mais en vain : elle s'était évaporée dans l'immensité de la forêt. Washirō avait beau empoigner avec une fermeté presque douloureuse, rien n'y fit. Elle avait disparu. Un second bruit, plus proche mais plus étouffé, vint troubler les nerfs du guerrier juste à la suite. Il lui fallait peu dorénavant pour que ses réflexes fassent le reste. Il pivota aussitôt à cent quatre-vingt degrés vers la source du son, tout en dégainant Misasagi.

« Qui va là ?! »

Il avait interpellé spontanément, lame braquée envers quiconque se présenterait derrière lui. Car dorénavant, le silence était insupportable à ses oreilles. Pire : du bruit, semblait avoir émergé une, voire une horde de présences. Impossible de les discerner via ses sens basiques. Seul son instinct semblait capable de percevoir ce qui s'apparentait à toute une myriade de regards braqués sur lui…

Spoiler:

Le cliquètement de l'acier réveilla de plus belle les sens du bourreau, bien que dorénavant il n'était plus que prolongement de son sabre. Il fallut quelques longues secondes avant que Washirō sorte de sa torpeur anté-exécution pour qu'il réalise à qui il avait réellement affaire. A travers son visage de marbre, l'on devinait néanmoins ses pupilles dilatées de surprise. La stupeur provoquée par le hurlement plus tôt avait néanmoins figé le shinobi sur place, le corps toujours en posture défensive. Prêt à intercepter toute menace, qui désormais n'existait plus que dans son esprit.

« Yuki Mamoru… rétorqua mollement Washirō. Et en prononçant son nom, son corps sembla se détendre légèrement. »

Ce même Mamoru profita de l'accalmie pour refroidir l'air autour de lui, et définitivement apaiser les tensions, tant oralement que physiquement. Son opposant d'un instant se rétracta, relâcha une main sur son arme maudite. Les deux Genins continuèrent pour autant de se faire face, arme au poing, au cas où.

« Si tu n'as pas confiance en lui… Alors élimine le avant qu'il ne fasse quoique ce soit…
— Même ton corps te dit de suivre ton intuition. Tue-le ! »

Alors qu'il résistait aux sombres voix qui émanaient de Misasagi, il fut proposé à Washirō de lever tout doute sur la nature de Yuki Mamoru. Ce dernier lui posa une question simple afin de tester son identité. Un silence plus tard, le corps du chien des Asakura se releva doucement.

« Mitake. C'était le village de Mitake. »

Les esprits du sabre-mausolée soufflèrent encore quelques propositions indécentes à l'oreille de leur maître, lequel scrutait la moindre réaction de son vis-à-vis. Mais avant d'avoir pu tenter quoique ce soit, les deux Genins furent interrompus à nouveau par deux présences supplémentaires. La première fut familière de Washirō. Cette fois-ci, il n'y avait aucune ambiguïté sur son identité. Au vu de l'aura arrogante que dégageait le personnage, malgré la courtoisie employée à l'égard du porteur de Misasagi, pour ce dernier, aucun doute : il ne pouvait s'agir que du vrai Kaguya Bankichi. Un autre ancien camarade de mission, lequel fut bien prompt à passer à l'action, là où Washirō s'avérait presque indifférent. Vint alors se joindre une troisième personne à la danse, inconnue au bataillon cette fois-ci. Du moins en tant qu'équipière de mission. Mais à travers le frimas, le bourreau reconnut les traits d'une vieille connaissance, dont il se serait bien passé de faire les retrouvailles en ces lieux.

Avec tout ce petit monde regroupé en si peu de temps, Washirō fut incapable de répondre aux questions qui lui furent posées. Il observa les siens, tous des Kirijins. Autour d'eux : une nature sauvage, hostile. Plus de repères. Seul l'écho d'un cri perçant qui résonnait dans son esprit. Le molosse poussa un soupir. Puis, tout en replaçant son épée rouillée dans son fourreau, il lâcha :

« Dirigeons-nous vers la source de ce cri. A quatre ninjas, nous en apprendrons certainement plus sur ce qu'il se passe ici. »

Avare en paroles, Washirō joignit le geste à la parole et guida le groupe vers la dite source sonore. Avant de quitter le maigre sentier de terre où ils se trouvaient, il adressa un dernier coup d'œil dans les alentours. Comme s'il cherchait un fantôme. Quelque chose qui n'existait pas dans ce monde. Mais il ne trouva que des silhouettes sylvestres, des spectres de brume, et la tignasse blonde de Mamoru pour consoler son regard. La lueur ténue qui animait son œillade s'éteignit subrepticement comme une bougie dans l'obscurité.

Le petit groupe s'enfonça dans les bois. Ils progressèrent dans un océan de branches de pins, avec une visibilité fluctuante. Chaque bruit de pas à proximité étant tantôt rassurant, tantôt inquiétant. Là où le moindre autre silence devenait pesant. Washirō ne savait pas vraiment ce qu'il faisait. Il avançait en suivant son instinct, et en se fiant aux intuitions de ses congénères. Plusieurs minutes s'écoulèrent ainsi, jusqu'à ce qu'ils arrivent dans une zone légèrement dégagée. Là, un nouveau bruit au loin alerta les Kirijins. Celui d'un frottement, en continu, qui évoquait une corde, ou tout du moins quelque chose qui s'en rapprochait. Le son s'éloignait, mais Washirō put suivre du regard sa provenance, avant qu'il s'exclame soudain :

« Là ! Une personne inconsciente semble tirée vers ces bois ! »

Impossible à cette distance de déterminer si la victime était simplement inerte, ou si elle était décédée. L'essentiel était de pouvoir rattraper à temps la dite personne et de pouvoir l'arrêter pour en apprendre plus. Washirō se précipita vers le corps en question, mais le reste du groupe était déjà devant lui. La dernière chose qu'il put entrapercevoir avant que les silhouettes n'obstruent sa vision fut la nature de l'objet qui tractait cette personne : plus qu'une corde, il s'agissait vraisemblablement de quelque chose plus organique. Plus végétal. Comme une liane, ou une racine… Et au même moment, presque caché dans la brume, se terrait un bruit inquiétant. Ce n'était pas un cri. Pas le murmure du règne animal étouffé dans ce labyrinthe de verdure. Non. C'était comme si la forêt elle-même fulminait en chuchotant.

Sous l'urgence de la situation, tout un chacun sut réagir promptement. Pour un ninja lambda, cette escapade risquée dans ce dédale sylvestre relevait davantage de la promenade de santé. Chacun s'adonna à faire usage d'un de ses jutsus, ou utiliser son équipement pour s'en prévenir, tout en s'octroyant le luxe de discuter. Quant à Washirō, ce dernier n'eut le temps que se dégainer Misasagi et de retrouver cette liane qui emportait un corps quand le reste de la troupe s'occupa du reste. Si Mamoru eut la présence d'esprit d'envoyer un clone sonder les alentours à sa place, ce fut le kunai piégé de Bankichi qui trouva le chemin de la liane en premier. Une explosion bruyante éclata aussitôt. Le son assourdissant de la détonation résonna avec d'autant plus d'ampleur que la forêt paraissait vide autour d'eux, dans cette brume ambiante qui faussait les perceptions. Lorsque la fumée et les quelques débris issus de l'humus retombèrent au sol, le diagnostic était clair : la liane avait été sectionnée, libérant sa victime.

Ce fut moins grandiloquent que cette pétarade qui sauva le corps inerte de ce civil, mais à peine le silence retomba qu'un crissement strident retentissait. Le clone de Yuki Mamoru serait certainement celui le plus à même de percevoir ce son qui n'avait rien de naturel. Naturel, du moins, si l'on considérait que ce n'était pas censé être le bruit qu'une liane faisait lorsqu'on l'arrachait au moyen d'un parchemin explosif.

Washirō observa les alentours. Hoshizora avait pris soin de couvrir leurs arrières. Le chien des Asakura hocha la tête pour approuver son initiative, et à la fois la remercier de consentir à un tel effort. Bien qu'ils se connaissaient, Washirō semblait agir comme si elle et lui étaient de parfaits inconnus. Difficile de dire si le Genin jouait son habituel personnage du golem apathique, ou si sa proximité avec elle le faisait se comporter autrement. Bankichi, lui, sermonna ses semblables. Washirō s'abstint de tout commentaire. Le sabre au clair, il préféra s'avancer prudemment du corps inerte, alors que le sosie de Mamoru s'occupait de s'enquérir de son état. Sur place, l'anonyme se révéla être une femme, assez jeune. Il devait avoir autour de la vingtaine, à en juger par sa silhouette et son visage. Lorsque le clone s'approcha d'elle, ses yeux s'entrouvrirent péniblement. L'explosion avait sans doute fait office de réveil brutal. Mamoru put alors épier ses yeux, dont la teinte rappelait le large des mers profondes bordant Mizu no Kuni. Malgré la poussière et les quelques débris qui entachaient ses vêtements, on distinguait également quelques taches de rousseur, comme autant d'étoiles qui persistaient au petit matin avant de céder la place à leur consœur solaire.

La lueur qui animait son regard océanique paraissait faible. Son visage portait le stigmate d'une terrible fatigue, tant mentale que physique. Son corps, lui, était couvert d'ecchymoses et d'éraflures en tout genre. Pourtant, mue par une volonté supérieure, elle trouva la ressource nécessaire pour s'adresser au double de Yuki Mamoru.

« Mh marmonnait-elle, l'énergie de sa voix l'empêchait de formuler une phrase entière, voire des mots tout court. M…on… frère … m… ère… »

Washirō fut bien incapable d'entendre ces quelques chuchotis. En revanche, sans doute comme le reste, son ouïe fut en mesure de ressentir ce cri surnaturel. Cela n'avait rien d'humain, ni d'animal. Un bruissement strident. Quelque chose d'atroce se préparait. Alors que le cri s'intensifiait, il fut trop tard pour percevoir le froissement de l'herbe qui serpentait comme un prédateur.

« On nous attaque ! »

Le corps de l'anonyme fut à nouveau arrachée en arrière, et le cri de surprise qu'elle poussa fut trop faible pour rivaliser avec celui de la menace qui se profilait. Une liane l'extirpa de la proximité des Genins, mais cette fois elle ne fut pas seule. Le clone de Mamoru à son tour fut emporté, une sorte de corde végétale s'étant enroulée sur sa cheville. Néanmoins, quiconque s'en prenait à lui ignorait sans doute sa nature réelle ; aussi si rien n'était fait il disparaîtrait dans un nuage de fumée. Avant même de pouvoir réagir envers la jeune femme ou le clone, Washirō fut assailli d'une vision insensée : face à eux se profilaient non plus une, ni deux, mais bien une horde de lianes qui fusait vers eux. Elles paraissaient voler au-dessus du sol, et sans doute elle ne se contenteraient pas de s'agripper à la cheville de leurs proies. L'Asakura en fit vite l'expérience : sa cuisse fut enserrée violemment, au point où il dut se contenir pour ne pas lâcher un râle de douleur.

Chacun devait faire face à environ une demi-douzaine de ces choses végétales qui arrivaient à intervalles réguliers, parfois simultanément. Cette fois-ci, aucune raison de regarder sans rien faire : Washirō prit l'initiative de trancher la liane qui l'entravait, et suivit du regard le corps de la demoiselle, laquelle percuta une pierre à la tête. Avant qu'il soit forcé à faire face à ces lianes folles, son chakra convoqua un éclaireur de la Légion des Âmes. Depuis Misasagi, le Chasseur fut appelé. Sa silhouette fuligine paraissait encore plus menaçante et mystérieuse dans cette atmosphère brumeuse, mais le temps n'était pas à la contemplation. Un témoin de ce grand désordre venait d'être enlevé à nouveau : impossible pour Asakura Washiro de la laisser disparaître. Branche cassée, traces de sang ou de cheveux, morceaux de vêtements, herbe froissée… le moindre indice devrait servir à retrouver sa trace. Et sans doute conduire Washirō et les siens à la source de ce phénomène inquiétant.

« Suis-là, aussi vite et loin que possible, ordonna expéditivement Washirō au spectre, lequel obtempéra derechef. »

Le traqueur d'outre-tombe suivit à la trace sa cible, se faufilant entre les lianes qui arrivèrent sur son maître. D'une main, Washirō repoussa avec son fourreau une première liane afin de la dévier sur un angle plus convenable. De l'autre, il la trancha au moyen de Misasagi. Pareil à un serpent, le câble sylvestre se cabra, recula, avant de repasser à l'attaque avec de l'élan. La coupe demeurait superficielle. Le Genin pesta sur sa médiocre performance. Puis il lança à ses comparses :

« Débrouillez-vous pour neutraliser ces choses, mais nous devons à tout prix garder un œil sur cette femme. On a besoin d'elle ! »

Ce furent là les dernières paroles avant que Washiro ne s'isole. Sa consigne était claire : en finir au plus vite avec leurs adversaires inattendus, ne pas perdre de vue le Chasseur, et de fait, cette femme qui les conduirait sans doute vers la source de leurs problèmes. Pour cette raison, Washirō essaya de ne pas marquer de distance avec le fantôme. Toujours en mouvement, il suivait du regard ses lianes qui l'assaillaient. Le voilà dorénavant seul face à quelques unes de ces lianes. Une effrontée fonça vers lui, exigeant le un contre un. Celle-là même qui avait tenter de s'en prendre à l'Asakura. Plus vigilant, le sabreur n'eut aucun mal à l'éliminer d'un coup sec, cette fois-ci. Son mouvement fut figé sur place du plat de l'épée, avant que le tranchant ne serve à s'en débarrasser définitivement.

Plus que quatre. Deux d'entre elles se coordonnèrent pour fouetter sa jambe. Washiro ne put en repousser qu'une seule. L'autre flagella sa cuisse et la marqua d'une trace cyanosée. Serrant les dents, Washirō passa à la riposta. Il fallait en finir vite face à ces serpents en osier. L'homme convoqua à nouveau son chakra dans sa lame. Non pas pour ouvrir la porte de la Légion des Âmes, mais pour faire montre de l'école Asakura : le Kubikiri Itto-ryū. Toujours en mouvement, l'Asakura feinta les lianes : il se figea momentanément, cassant l'inertie de ses poursuivantes. L'homme profita de l'appui de sa jambe à l'arrêt pour s'élancer de plus belle, dans une furie de coups. Ces frappes n'avaient rien d'un déchaînement de rage : elles répondaient à une précision chirurgicale, fruit d'un entrainement draconien sous la tutelle d'Asakura Ryōzaburō. Ainsi, alors que s'opérait la double-floraison, l'exigence paternelle noyait les pensées du spadassin. Une, puis deux, avant que la troisième ne cède : les lianes périrent sous la suprématie du chakra. La quatrième, débordée, tenta le tout pour le tout. Mais elle fut terrassée au même titre que ses comparses : un pas de côté, suivi d'une coupe longitudinale permirent à Washirō de conclure son combat.

Haletant, le Monsieur de Kiri entama sa course poursuite avec la jeune femme l'esprit allégé. Le chasseur avait quelques mètres d'avance sur lui, tout juste pour maintenir le lien entre lui et sa lame. Le shinobi réalisait le risque qu'il avait pris : le Chasseur était un esprit qui ne saurait s'accommoder des champs de bataille. Un seul coup, une flèche qui tomba au mauvais endroit, et le spectre s'évanouissait aussitôt. Mais face à l'urgence, l'Asakura n'avait pas pris la peine de s'accommoder d'un tel inconvénient : il fallait faire vite, alors il avait agi tout aussi prestement. Washirō s'enfonça ainsi dans les bois, là où il n'y avait plus de sentier. Il tourna la tête derrière lui, et espérait être accompagné de ses comparses, parvenus à vaincre les quelques lianes folles qui étaient venues à leur rencontre. Il aurait au moins besoin d'eux pour s'engouffrer dans les abysses de cette jungle malade, et découvrir les sombres mystères qu'elle abritait…

Spoiler:

Lorsque Washirō, en pleine course, tourna la tête, il fut rassuré de distinguer quelques silhouettes familières. Bankichi et Mamoru le suivaient de près, et manquaient même de le dépasser s'il ne maintenait pas la cadence. Mais l'instant d'après, Washirō réalisa le pire : Hoshizora manquait à l'appel. Faute de pouvoir s'inquiéter dorénavant de son sort, la poursuite de la civile primant sur le reste, il se contenta de serrer le poing tout en accélérant vers le Chasseur. En cet instant, le colosse laissa échapper l'ombre d'une émotion. Une inquiétude légitime à l'égard d'une connaissance, qui venait de s'évanouir dans la brume sylvestre. Une fois encore, à l'image d'Elle, elle avait disparu comme un mirage fantomatique. Il ne restait qu'à lui souhaiter de pouvoir s'en sortir seule dans ce labyrinthe de ronces et de branches. La femme à la recherche de son frère, elle, n'avait sans doute pas cette chance d'être prédisposée aux arts ninja pour se défendre seule. Ce fut mû par cette priorisation pragmatique que le Monsieur de Kiri s'enfonça de plus belle dans la forêt aux côtés de Kaguya Bankichi et Yuki Mamoru.

Au bout de quelques minutes de marche effrénée dans un environnement qui se renouvelait sans cesse, les trois représentants des clans majeurs de Kiri furent forcés de s'arrêter. En effet, le Chasseur lévitait au-dessus d'un précipice haut d'une dizaine de mètres. Si Washirō n'avait pas freiné sa course, il aurait sans doute fini sans un piètre état. Le sabreur interrompit à son tour la course de ses camarades, bloquant le passage avec son bras. Il se tourna vers eux, le souffle encore haletant.

« Il va falloir descendre cette… falaise si on veut trouver où ces lianes ont emmené cette femme… »

Le Chasseur fut rappelé dans Misasagi, le temps d'escalader la paroi rocheuse parcourue de racines en tout genre. Au loin on distinguait une autre section de la forêt, elle aussi plongée dans une étrange brume. Au cœur de cette sinistre sylve, un imposant arbre se distinguait du reste. Depuis son promontoire rocheux, Washirō ne percevait que la cime de ce colosse végétal. Avant de reprendre sa route, le chien des Asakura imprima dans sa rétine et ses méninges cette vision saisissante. Aidé de son sabre, et du chakra circulant sous ses pieds, Washirō mena la descente, sûrement mais prudemment. Si l'urgence les incitait à se précipiter à la rescousse de la veuve et de l'orphelin, leur sécurité primait néanmoins. Après tout, ils étaient en territoire inconnu, hostile, sans aucun repère. Lors de la descente, Washirō fut silencieux. Il ne voulait pas trahir sa présence auprès d'une quelconque menace. Suite à l'attaque des lianes, il y avait de quoi s'attendre à tout et n'importe qui dorénavant. Il se contenta d'observer ses comparses Mamoru et Bankichi franchir à leur tour la façade rocheuse.

Une fois en bas, les trois shinobis purent observer des traces de terre qui indiquaient clairement le passage de la civile tirée par les lianes. Mais avant même de pouvoir emprunter cette voie vers la source de ces phénomènes inexpliqués, une nouvelle menace se profila à l'horizon. Son cri n'avait rien de végétal. Ni d'animal non plus. Mais en se tournant sur sa droite, Washirō comprit bien assez tôt la nature de cette créature qui s'approchait de lui et des Genins le suivant. Cela avait la silhouette d'un loup. Mais son visage, son poitrail, et bien d'autres parties de son corps furent comme corrompues par une entité végétale. Un de ses yeux fut remplacé par une large fleur. Son pelage substitué par de multiples lianes et racines entremêlées. Une vision repoussante, qui n'inspirait rien de bon pour la suite. Avant que Washirō ne puisse dégainer son sabre à nouveau, il fut interpellé par deux nouvelles silhouettes qui se joignirent au prédateur : un autre loup, et cette fois un sanglier, tout aussi infecté semblait-il par ces corps végétaux.

Le second loup s'élança sur l'Asakura et bondit sur lui, crocs et appendices végétaux tout droit dirigé sur sa gorge. Les deux autres créatures fondirent à la suite sur Mamoru et Bankichi. Mais s'il fut aisé pour le Genin de repousser de son sabre la bête mi-animale mi-végétale, avant de la lacérer de part et d'autres de son corps démoniaque, Washirō fut contraint à l'évidence. Quelques minutes après son ébauche de duel avec le monstre, d'autres animaux végétalisés apparurent. Bientôt, ils furent tous encerclés par une bonne quinzaine de créatures, aux origines et morphologie végétale diverses et variées. Un véritable cirque des horreurs botaniques. Le loup floral se releva, une étrange sève charbonneuse suintant de ses blessures, et émit ce qui s'apparentait à un rugissement comme si de rien n'était. La conclusion de ce bref combat s'imposait à elle-même. Washirō se tourna vers les siens pour l'énoncer avec fracas.

« Nous devons fuir. On arrivera pas à passer cette horde de créatures, ils sont trop nombreux pour nous ! »

Savoir comment continuer leur chemin devenait secondaire face à l'attroupement de monstres végétaux qui leur barrait la route. Washirō invita Bankichi et Mamoru à escalader à sens inverse la falaise pour revenir en sécurité. Mais c'était sans compter sur leurs adversaires qui ne leur laissèrent pas ce luxe si facilement.

« A tour de rôle, on doit les repousser, le temps de les distancer. J'ouvre le bal. »

Guidé par le murmure des spectres de sa lame, Washirō utilisa son chakra pour riposter. Des geôles immatérielles de l'épée-mausolée, il libéra quelques fantassins armés de lance qui foncèrent en ligne droite, repoussant sans distinction les créatures se présentant sur leur chemin. Aussitôt la charge de lanciers lancée, il recula vers le mur de pierre pour entamer la remontée. Il devait maintenant compter sur le soutien des siens pour espérer repartir en lieu sûr. Une poignée de créatures, épargnée par l'attaque, les rattrapaient par leurs flancs. Loups, sangliers, renards, et même des oiseaux. Les Kirijins furent comme confrontés à la combinaison démente de toute la faune et la flore locales.

Spoiler:

Une véritable ménagerie infernale harassait les trois shinobis de la Brume. Dos au mur, ils devaient in extremis reprendre leur escalade de la falaise pour s'en sortir. Aussi vulnérables pouvaient être ces créatures, ils avaient l'avantage du nombre. Dans la précipitation, Mamoru et Bankichi décidèrent de suivre le plan de Washirō consistant à couvrir l'ascension de chacun tour à tour. Le porteur de Misasagi ouvrit ainsi la marche, déchaînant une cohorte de fantassins ashigaru d'outre-tombe sur la première ligne de créatures. Face au manque de distance, les lanciers vinrent s'écraser dans la mêlée d'animaux végétalisés. Certains chutèrent, d'autres furent embrochés et poussèrent un curieux hurlement aigu dans une gerbe de sang verdâtre.

Quelques instants plus tard, ce fut au tour du Yuki de faire montre de sa maîtrise du Hyōton pour couvrir les siens. Tandis que Washirō s'agrippa à la paroi, il entendit l'air se congeler près de lui avant que Mamoru ne fasse l'étalage de son Ninjutsu de clan. Trop préoccupé à prendre de la hauteur, il tourna la tête brièvement pour se rendre compte que la neige, la glace et l'eau fusèrent en contrebas. Une explosion de chakra qui affecta la faune corrompue à un point qu'il ignorait. Tout ce qu'il savait, alors qu'il tâchait de gravir cette falaise sans craindre de débouler en bas, c'était qu'il était indemne pour le moment. Il en conclut logiquement que Mamoru avait repoussé la menace, au moins temporairement. Puis ce fut au tour du représentant du clan Kaguya. Bankichi fut épaulé par deux salamandres, qu'il invoqua prestement. L'une d'elle fit office de véhicule pour son propre usage, tandis que l'autre convoqua des vents tranchants qui se combinèrent à la fumée et aux explosions déployées par son invocateur. En tendant l'oreille, on devinait le bruit de la chair déchiquetée, broyée, consumée. Le cri strident de ces animaux possédés fut étouffé par la bourrasque mêlée à la détonation. Mais malgré cette supériorité technique, la supériorité numérique subsistait.

A proximité du sommet, Washirō s'octroya un temps de pause, pour apprécier la conclusion de leur fuite. Sous l'effet de la déflagration et des rafales de la salamandre, la masse de fumée initialement homogène se déploya sous formes de rubans opaques. Ces bras de suie dansaient au gré du vent. Dans l'interstice de ces courants, l'on devinait le sort de ces zombies bestiaux. Certains gisaient au sol dans leur propre sang assombri, quand d'autres faisaient fi de leurs blessures pour tenter vainement de s'en prendre aux trois ninjas. Ils pouvaient être estropiés, brûlés, déchiquetés, ils persistaient dans leur lutte comme des insectes ignorant le concept de douleur. Une horde de fourmis difformes géantes, insensibles au piétinement de l'Homme, voilà le spectacle qui se dessinait dorénavant plusieurs mètres de profondeur.


Une poignée de secondes s'était seulement écoulé depuis cette remontée miraculeuse. Pour Washirō, bien essoufflé, le temps paraissait bien plus long. Il mit quelques longues secondes à se remettre de l'effort physique, les mains sur les genoux à la recherche de son souffle. Un unique pin se dressait au bord du précipice. Face à la menace omniprésente que représentait maintenant la flore, il considéra l'arbuste avec hostilité. Washirō avait bien considéré la remarque de Bankichi. Ainsi, après avoir récupéré, il se tourna vers lui, tout en confrontant le paysage qui s'étalait sur des lieues en contrebas.

« Tu as raison… Kaguya-san, glissa-t-il à son égard. Cette forêt… elle est malade, on dirait. »

Au loin, l'immense arbre de tout à l'heure se dressait encore au milieu de la forêt. Une cathédrale sombre dominant ses alentours de sa hauteur anormale. En la contemplant, Washirō fut pris d'une sorte de vertige. Cet arbre irradiait d'un maléfice qui se transmettait jusque dans la brume. La respiration de la forêt était elle-même contaminée par ce vice invisible. Tous ignoraient à présent ce qu'il était advenu de Hoshizora, bien qu'un bunshin de Mamoru partit à sa recherche. Il en était de même pour cette femme à la recherche de son frère. Puis, plus personnellement, il était une présence plus proche du mirage que de l'apparition qui avait disparu si tôt pénétré dans ce brouillard sylvestre. Une unique conclusion s'imposait pour le fidèle héraut du Daimyō.

« Nous devons pourtant poursuivre. En tant que représentants de la Brume, nous avons le devoir d'assurer la prospérité dans tout l'Archipel, jusque dans les montagnes les plus reculées, ou les forêts les plus profondes. Face à l'inconnu, nous devons lever le voile sur ce mystérieux mal qui assaille la forêt. »

Son sens du devoir lui dictait la conduite à adopter. Mais aussi valeureux sa fonction lui imposait d'être, Washirō demeurait néanmoins un être de raison. Ils n'étaient que trois Genins face à l'immensité d'un monde hostile qui souhaitait leur mort au moindre mètre parcouru. Ils n'étaient pas de première fraîcheur de surcroît : quelques escarmouches avaient déjà amenuisés leur vitalité et leur précieuse réserve de chakra. En définitive, ils partaient avec un lourd désavantage. La langue de l'Asakura manqua de claquer sur son palais avant de reprendre la parole.

« Tâchons d'éradiquer cette menace. Ou, à défaut d'y parvenir, faire le nécessaire pour l'identifier. La Brume jugera du sort de cette forêt ultérieurement, selon nos découvertes. »

Bankichi paraissait le moins enclin à poursuivre cette expédition aux atours suicidaires. Mais le devoir incombait à Washirō de mettre de côté ses craintes et de faire preuve d'abnégation pour le bien du pays. Dès lors, son regard se tourna vers Mamoru.

« Qu'en penses tu ? Notre collaboration est essentielle pour décider de l'issue de notre présence ici. Et pour le moment, nous ne t'avons pas entendu sur la question. »

La démocratie était bien pratique à bien des égards. Notamment pour donner l'illusion du consensus, au moyen de la supériorité numérique, sans inspirer la menace d'une opinion imposée de force. Inconsciemment au nom, Washirō abusa de cet angle mort auprès de son cadet pour poursuivre les aspirations insufflées par son paternel. Rien ne le dévierait de sa voie. Dès lors, il se contenta de reproduire les schémas mentaux que son paternel exerça des années durant sur lui.