Une des principales raisons qui l’avaient amené à rejoindre le village de la Foudre en tant que mercenaire était d’en apprendre plus sur l’art du kugutsu, autrement dit le marionnettisme. Celui-ci lui avait été hérité de sa mère qui lui avait offert son premier pantin, et qui l’inspira à se lancer lui-même dans des innovations mécaniques, perfectionnant ses techniques pour travailler le bois à la manière d’un menuisier. Ses marottes le suivaient aussi bien sur les planches que lorsqu’il devait se battre, aussi avait-il pris bien soin d’ajouter ces mécanismes spéciaux au sein de ses créations, en respectant les plans que sa mère avait laissé derrière elle pour lui. On aurait dit qu’elle savait qu’il les trouverait et qu’il s’en servirait un jour, elle le protégeait même après avoir quitté ce monde. Ce pantin qu’il chérissait plus que tout n’était autre que Nakidori, un volatile mécanique aux ailes d’acier et à taille humaine, son compagnon de toujours. Certes ce n’était pas un vrai animal, ce n’était qu’un objet inanimé qui ne prenait vit que lorsque celui-ci était contrôlé par lui. Pourtant, son attitude délicate lorsqu’il manipulait ses pantins trahissait de toute évidence une certaine tendresse envers ses créations, loin de lui l’idée de les voir comme de vulgaires pièces de bois désincarnées. Sur scène, celles-ci prenaient littéralement vie et donnaient lieu à la plus belle des histoires, restituant des émotions si vives qu’elles furent plus humaines que les hommes eux-mêmes parfois. Le jeune virtuose espérait conquérir la scène mondiale, mais pour cela il lui fallait l’inspiration et les moyens de satisfaire ses ambitions.

L’inspiration, il n’en tarissait jamais puisque l’art imitait la nature à merveille. Ses pantins en étaient le parfait exemple. Son invention animatronique la plus emblématique n’était autre que Nakidori. De son corps aérodynamique à ses ailes fournissant la force de portance suffisante à s’élever dans les airs, tout en prenant compte de la masse des armes ninjas dissimulés à l’intérieur de son squelette, ce dernier illustrait toute l’ingéniosité requise pour devenir un maître kugutsukai. A présent, il lui fallait exercer son génie créatif en poursuivant de nouvelles muses, de nouvelles sources à même de stimuler son imaginaire. Il pensait que pratiquer quelques techniques avec ses pantins lui permettraient de réfléchir à de nouvelles façons d’optimiser son art, la rendre plus précise et élégante que jamais. C’était donc dans l’enceinte du sanctuaire des combats qu’il accueillait cette nouvelle journée dans les rangs de Kumo. Vêtu de son éternel haori, ses cheveux rouges au vent, il traversait la cour extérieure pour rejoindre le terrain d’entraînement le plus proche, un terrain à ciel ouvert au vu des tests qu’il souhaitait effectuer ce matin. Déployant un rouleau de sa ceinture, il activa le sceau et fit apparaître dans un nuage de fumée un grand oiseau de la même taille que Yoichi. Une créature de bois et métal, traversée par des câbles et diverses mécanismes plus complexes traduisant tout le savoir-faire de son créateur, la structure des ailes était pensée pour le vol et permettait une stabilité et résistance sans égale dans tout type de situation.



Relâchant des fils de chakra depuis le bout de ses doigts, le regard concentré sur son objectif, il fit s’élever son oiseau dans les airs, faisant s’élever la poussière au sol et balayant en arrière les pans de sa veste. Levant ses pupilles vers sa majestueuse créature, projetant une ombre menaçante sur le terrain, il effectua quelques mouvements des doigts, déclenchant alors depuis le pantin un mécanisme caché au niveau du bec, libérant alors une multitude de projectiles pleuvant subitement sur le mannequin de bois situé en plein centre du périmètre. L’un après l’autre, les shurikens se plantèrent dans le tronc d’arbre à une vitesse fulgurante et une précision chirurgicale, tous finirent en plein centre de la cible, à l’exception d’un seul projectile qui ricocha sur un autre. Le shuriken dévié trouva alors dans sa course un chien qui passait visiblement par là sans que Yoichi ne s’en rende compte. Comme toujours son karma lui jouait des tours. Ou peut-être qu'au fond, c'était juste une excuse pour son manque d’expérience, cette récurrence mettait en lumière son manque cruel d’entraînement. Réalisant le danger imminent, il tenta d’avertir le pauvre canidé avant que celui-ci ne se fasse blesser par le projectile en acier, en espérant que celui-ci réagisse à temps pour l’éviter:

— Attention!

Plus de peur que de mal, le projectile ne fit qu’effleurer la petite bête et lui tondre quelques poils de sa jolie crinière. Le marionnettiste se sentit soulagé de ne pas avoir abattu un chien, sûrement aurait-il été inconsolable suite à un tel acte de barbarie. Il remarqua alors que l’animal n’était guère seul, mais accompagné par un individu. Un animal de compagnie donc, mais dont les réflexes remarquables démontrèrent qu’il s’agissait peut-être bien plus que d’un simple soutien moral pour l’homme élégamment habillé de blanc. Au vu de son regard empli de froideur, il n’y avait aucun doute sur le fait qu’il était bien le maître du canidé. Ce dernier rejoignit aussitôt son maître lorsque celui-ci claqua des doigts. Un signe avant-coureur qu’il savait ordonner son chien comme il voulait. Si seulement il avait le même contrôle sur son oiseau-pantin, lequel était encore en période de test, au vu de la dernière tentative avortée. Il lui fallait alors procéder à quelques ajustements s’il ne voulait pas provoquer la mort d’un passant, ou pire, d’un pauvre chien qui n’a rien demandé.

Remerciant sa chance, il porta son attention sur l’allure menaçante de l’homme arrivant vers lui et qui demandait visiblement des explications à cet incident qui aurait pu coûter la vie à son compagnon. Une apostrophe qui valait un peu comme une demande de réparation auprès du responsable qu’était Yoichi, lequel ne sut que dire sur le moment, puisqu’il était entièrement en tort. Il chercha d’abord à apaiser les tensions et donner du contexte à son interlocuteur en espérant que cela désamorce la situation. Même si en regardant bien, les griffes qui sortirent des doigts de l’inconnu indiquaient d’ores et déjà que cela n’irait probablement pas dans le sens qu’il souhaitait. Mais qui était donc ce spécimen étrange? Un loup-garou? Ce n’était pourtant pas la pleine lune, il faisait encore jour!

— Je suis sincèrement désolé. Mon doigt a glissé. Littéralement. Cet oiseau mécanique est un prototype, un pantin que j’ai créé de toutes pièces à partir de différents matériaux de bois et métal récupérés ici et là. Comme il est encore tout neuf, je n’ai pas complètement le contrôle sur celui-ci, surtout ses fonctions de combat. Laissez-moi le ramener au sol.

A cet instant, il abaissa son auriculaire droit, déclenchant soudainement un bruit mécanique à l’intérieur du bec de la machine. Yoichi savait exactement ce que voulait dire ce bruit, il savait que cela n’annonçait rien de bon, seulement des mauvaises nouvelles. Il venait d’activer une autre des attaques de sa marionnette fétiche. Sur le moment, il n’eut d’autre manière d’exprimer sa surprise que par:  

— Oh-oh.

Les orbites ambrées de l’oiseau brillèrent de manière menaçante et des volutes de fumée s’échappèrent de son bec. Diffusant un gaz toxique sombre dans la direction de l’homme chien, un gaz qui s’il était respiré aurait pour effet d’engourdir ses muscles de manière temporaire. Après quoi le marionnette abaissa un autre doigt, cette fois son index gauche, ce qui activa une autre attaque du répertoire de son oiseau, lequel décocha de son bec un shuriken fusant droit sur le loup-garou. Paniqué et cherchant encore un moyen de faire atterrir sa marionnette sans l’abîmer, Yoichi demanda quand même un service à ce dernier, même s’il était probable qu’il n’accède pas à sa requête et décide de le trucider sur place en guise de rétribution:

— Ne l’abîmez pas s’il vous plaît! Il est très fragile!

Spoiler:

D’un simple malentendu, la rencontre virait brusquement à l’escarmouche entre un homme et son pantin, et un homme et son chien. Un combat initié par le marionnettiste novice, dont le doigt glissa malencontreusement, déclenchant des mécanismes offensifs de la part de sa marotte volatile, laquelle répandit un nuage toxique dans la direction du Kumojin. Ce dernier se défendit dans un geste réflexe avec ses griffes, éraflé par le shuriken qui se planta dans son bras. Une blessure superficielle certes, mais qui suffit à réveiller l’instinct protecteur de son compagnon canin qui montra les crocs, bondissant sur l’une des jambes de Yoichi afin de lui infliger une morsure dans le but que celui-ci mette fin à sa machine infernale. Lâchant un cri de douleur pas très viril lorsque la créature poilue lui rongea le mollet droit, il n’eut guère la force de sortir de l’emprise de son assaillant, comprenant que la situation n’était plus aux mots mais aux armes. Malgré cela, c’était dans un but d’incapaciter le chien qu’il effectua la manœuvre suivante. Il déroula devant lui un rouleau au milieu des airs, frappant le sceau, il fit apparaître à sa gauche et à sa droite deux pantins de bois humanoïdes, lesquels se saisirent des pattes supérieures du chien pour que celui-ci relâche son emprise. Cela permit au marionnettiste de faire quelques pas en arrière, en titubant du fait de sa jambe meurtrie, il ne savait pas combien de temps encore ses pantins seraient capables d’immobiliser le chien dont la férocité n’avait d’égale que sa loyauté envers son maître.

— Attendez je crois que cela me revient… c’est celui-là!

A ces mots, il plia son dextre droit, ce qui eut pour conséquence de faire descendre Nakidori du ciel, sauf que celui-ci ne s’arrêta pas dans sa course et continuait son vol en piqué droit sur le gentleman griffu. Déployant ses serres affilées, la machine volante battit furieusement des ailes pour se rapprocher du maître-chien, effectua un enchaînement de lacérations sur sa proie dans le but de la blesser de part en part, sous les yeux impuissants du marionnettiste. Ce dernier voyant la poussière soulevée par l’oiseau lui monter jusqu’aux narines, il tenta de se protéger dans un geste salvateur mais ce fut trop tard car le drame arriva. Il éternua soudainement, abaissant son petit doigt par inadvertance se traduisait chez son oiseau par une autre attaque mais cette fois avec son aile droite, afin de balayer en arrière son adversaire qu’il avait préalablement roué de coups de serre. A ce stade, il était difficile pour Yoichi de justifier que rien de tout cela n’était prémédité tant la coïncidence des attaques était parfaitement calibrée. C’était du moins sûrement l’impression qui était donnée au pauvre Kumojin qui n’avait rien demandé — encore moins de devenir son cobaye, et qui avait juste choisi de promener son chien ce jour-là près des terrains d’entraînement.

—  Tenez le coup, j’y suis presque… je vais finir par mettre le doigt dessus.

Un malheureux jeu de mots qui n’allait sûrement pas faire mourir de rire l’inconnu qui était en train de l’aider à stopper sa marionnette avant qu’elle ne finisse par vraiment blesser quelqu’un. Heureusement pour lui, la réserve de chakra de Yoichi s’épuisait progressivement, il espérait seulement que son adversaire avait encore de quoi tenir plus longtemps afin de se défendre contre l’oiseau, car si quelqu’un avait le pouvoir d’arrêter la machine, c’était lui. Personne dans les parages n’était visiblement en capacité d’intervenir, le destin avait voulu que ce soit ce dernier et son chien. Au train où le combat allait, il était peu raisonnable de compter sur lui pour retenir ses coups et ne pas abîmer Nakidori dans le feu du moment. Au contraire, il était certainement ravi d’aiguiser ses griffes sur son pantin de bois en guise de réparation.

Spoiler:

Dépassé par la situation, Yoichi voyait sa bête mécanique se déchaîner sur ce pauvre inconnu et son chien qui venaient simplement se promener. Tentative après tentative avortée, il se disait qu’il avait encore beaucoup de chemin à faire avant de devenir un véritable maître pantin, lui qui pensait s’entraîner aujourd’hui en toute tranquillité, le voilà qu’il agressait un ninja de Kumo. Celui-ci d’ailleurs avait fait montre de certaines de ses compétences martiales avec son compagnon canin. Dans le feu de l’action, il avait cru apercevoir des griffes à la place des ongles, ou était-ce juste son imagination? Il n’avait pas vraiment de raison de penser que l’énergumène savait se battre, ou probablement retenait-il ses coups pour ne pas le blesser. Son chien quant à lui lui avait mordu la jambe et provoqué un saignement au niveau du mollet, la douleur était de moins en moins supportable et il avait peine à imaginer ce qu’il en aurait été s’il n’avait pas déployé ses pantins pour se tirer de ce pétrin et immobiliser les pattes du compagnon canin. Impuissant, ce dernier regardait son maître se faire rouer impitoyablement de coups face à la créature volante, de même pour Yoichi qui tentait par tous les moyens de désactiver sa création. Il se sentait embarrassé de ne plus être capable de la contrôler et de laisser un quidam en faire les frais, il ne pouvait se permettre de rester spectateur de cette scène dont il avait l’entière responsabilité.

Poussant un cri infernal, la machine déploya de nouveau ses ailes de manière menaçante, sur le point de porter le coup de grâce sur sa proie qu’elle venait de balayer au sol. On aurait cru qu’elle était dotée de sa propre intelligence, bien que cela fut impossible, il s’agissait d’un pantin dont le fonctionnement était censé dépendre du marionnettiste, c’est lui qui donnait vie à sa création. Or, il n’avait aucunement le contrôle, ni du pantin ni de la situation, preuve qu’il avait encore beaucoup à apprendre de cet art ninja très particulier, tel était le projet qu’il s’était donné. Son regard fixé sur Nakidori qui s’approchait pas à pas de l’homme au sol, les bras sanguinolents suite aux lacérations laissés par les serres, Yoichi tendit son bras en courant dans leur direction, mais au milieu de sa course il se souvenait qu’il n’était pas aussi rapide qu’il pensait. Cela l’apprendra à négliger l’entraînement physique. Le souffle haletant, il effectua un saut en avant, le corps parfaitement à l’horizontale, afin de placer son corps en obstacle face à la prochaine manœuvre de son pantin. Dans un réflexe héroïque et digne des grandes épopées, il réalisa que son saut était trop court et retomba de manière pitoyable au sol, face contre terre, tandis que Nakidori était en train de lever sa patte droite pour porter une nouvelle attaque avec ses serres.

Relevant sa tête toute poussiéreuse, couvert d’égratignures sur son précieux visage, Yoichi s’aperçut que son pantin s’était figé complètement au milieu de son attaque. La raison étant qu’il avait épuisé ses réserves de chakra et que les fils qui le reliaient au pantin s’étaient coupés, lui retirant le contrôle de l’oiseau qui rétracta donc ses ailes et s’immobilisa à la façon d’une gargouille. Constatant que le cauchemar était terminé, il poussa un soupir de soulagement avant de laisser son visage retomber au sol et sombrer dans l’inconscience.

— Je … suis… désolé. Ses mots furent si faibles que l’autre homme aurait sûrement du mal à les entendre.

Submergé par tant de péripéties, ce n’était probablement pas tant ses forces que son cœur qui l’avait abandonné.  

Spoiler:

La machine infernale, enfin s’était arrêtée. Aucune victime à déplorer, ni de dommage physique majeur. La dignité elle, n’était pas sauve pour autant dans le cas de Yoichi qui était tombé inconscient. Il était déjà assez ridicule qu’il soit face contre terre, le voilà qu’il se faisait uriner dessus par le cabot. Ce dernier, complotant sa vengeance après avoir été agressé sans sommation par le volatile qui se tenait maintenant parfaitement immobile, une statue d’argile aux ailes repliées, qui n’attendait que les ordres de son maître pour se déployer de nouveau. Qu’en était-il de ce maître justement? L’homme et son chien étaient naturellement intrigués de la cause de ce dysfonctionnement, si du moins rien de tout cela n’avait été intentionnel, ils auraient été justifiés de croire qu’il s’agissait d’une tentative de meurtre prémédité tant l’enchaînement des attaques du pantin étaient parfaitement calibrés. Il était regrettable que l’industrieux Yoichi ne fusse pas en capacité d’expliquer ce qui s’était passé avec sa création, lui qui était plongé dans les bras de Morphée, s’imaginant couvert de lauriers pour l’ingéniosité de ses inventions et son talent pour la représentation. Son esprit était ailleurs, bercé par les chants des sirènes et le roucoulement des pigeons. Il était sur scène, sous les ovations d’un public conquis par sa prestation, le cœur empli de fierté d’être parvenu au sommet. L’éclat des pupilles, les acclamations de la foule exaltée, il se délectait de ce moment de reconnaissance, s’enivrant de cette douce apothéose célébrant son succès. Arrosant sa victoire d’une bouteille de saké, il accueillait au milieu de l’excitation du moment et des fanfaronnades la douce mixture sur son visage, les yeux fermés. Le liquide coulait à flot, tout le long de sa chevelure soyeuse et sa peau de satin. Un peu chaud ce liquide, se disait-il, et quelle odeur étrange pour de l’alcool de riz. Il fut tenté de tendre la langue pour s’assurer qu’il ne l’avait imaginé, mais heureusement, au milieu de son rêve il eut une vision dans le ciel. Une silhouette gigantesque aux ailes déployées. Plissant les yeux, il vit plus clair et put dessiner les contours. Son propre oiseau mécanique brandissant ses serres et sur le point de s’écraser sur lui. Tout devint noir. C’est sur ces entrefaites qu’il émergea dans le monde des vivants.

Sursautant de son cauchemar, assis dans la poussière où il venait de tomber inconscient, le manipulateur de pantins regarda à gauche et à droite, l’air égaré. Redécouvrant le terrain d’entraînement et rassemblant les pièces du puzzle mental, les souvenirs lui revenaient par bribes. Enfin, il déposa les yeux sur un homme et son chien, lesquels il reconnut aussitôt pour avoir eu une altercation avec eux il y a un moment plus tôt. Les égratignures sur l’homme, le pantin oiseau écrasé au sol, le chien au pelage blanc. L’image redevenait plus nette dans son esprit. Il se souvenait maintenant qu’il avait perdu le contrôle de son pantin et qu’il les avait attaqué de manière accidentelle. Comment avait-il pu oublier? Rassemblant ses forces pour se lever, il remarqua que l’homme en question était en train de discuter avec quelqu’un. Se tournant dans la direction vers laquelle il parlait, il ne vit personne. Même à plusieurs mètres plus loin, ils étaient tous les deux seuls sur les lieux, ce qui voulait dire qu’il se parlait à lui-même ou bien… À son compagnon canin. Cela laissa le marionnettiste sans voix, lui qui rencontrait ce genre de phénomène pour la première fois, il se demandait si cet individu n’était pas fou. Mais fou ou pas, il se devait de présenter ses excuses alors… Il se leva et fit quelques pas en avant, marchant en traînant la jambe dû à la morsure du clebs.

— Excusez-moi…

Il ouvrit la bouche pour présenter ses excuses quand soudain, il réalisa qu’une odeur forte se dégageait à proximité. Il crut d’abord que cela provenait du chien ou de son maître, mais en reniflant son épaule, puis ses cheveux… Le choc fut brutal pour Yoichi. Oui, il sentait l’urine et ses cheveux en étaient complètement trempés. Le corps tremblant, son visage prit une teinte blafarde, il marqua un moment de pause qui sembla durer une éternité. Sans poursuivre sa phrase, il tourna alors les talons, et prit ses jambes à son cou, direction ses quartiers personnels afin de prendre une douche et laver la souillure dont il venait d’être imprégné. La douleur à la jambe avait complètement disparu et il courut à une vitesse dépassant le mur du son, levant la poussière derrière lui. Au milieu de sa détresse cependant, il oublia de ramener son pantin meurtrier avec lui.

Enfer et damnation. Les mots lui manquaient pour décrire la pestilence qui émanait de ses cheveux, l’impression d’avoir la tête noyée par les flammes du purgatoire, il traversait la ville jusqu’à atteindre une fontaine à quelques mètres du terrain de combat où il rinça énergiquement ses cheveux, frottant de toutes ses forces alors qu’il les peignait habituellement avec délicatesse. Son esprit était si agité qu’il en oublia la bienséance, aussi ne prêta-t-il guère attention aux badauds qui le fixaient comme un drôle d’énergumène, un sauvage découvrant la civilisation. A cet instant précis, il n’avait qu’une obsession, à savoir de retrouver sa magnifique crinière de carmin qui faisait sa fierté, pour ne pas dire son identité visuelle. Il voyait les moments de son passé défiler dans son esprit, une sorte d’évanescence spirituelle digne des protagonistes de shonen, quand on se moquait de lui et qui on le pointait du doigt pour avoir des cheveux d’une couleur étrange et si différente des communs des mortels. Enfant déjà, on le considérait comme un paria de la société, une bête étrange. Il finit par accepter cette singularité lorsqu’il atteignit l’âge de l’adolescence, grâce à la sagesse de sa mère qui lui disait toujours de ne pas se préoccuper des préjugés des autres, mais de s’efforcer de leur prouver par les actes qu’ils se trompaient. Montrer qu’il n’était pas affecté par leurs boutades pour devenir pleinement libéré du sentiment d’impuissance dont il se sentait lesté, un carcan mental qui trouvait son origine dans un manque d’estime de soi et une interprétation originellement dévoyée de cette apparence dont il souffrait. Plus il se rapprochait de l’âge adulte, plus il s’appuyait sur ce trait distinctif pour embellir sa propre apparence, tourner son défaut en qualité. Ainsi finit-il par changer les mœurs des gens par sa seule persévérance, il fit oublier le dédain que certains nourrissaient à son égard en le remplaçant par son talent pour les arts du spectacle, en leur offrant ce qui leur manquait cruellement jusqu’à présent: une nouvelle vision du monde.

Passant ses mains dans la fontaine et éclaboussant son visage une dernière fois, il se regarda dans le reflet de l’eau d’un air songeur, il repassait dans sa tête sa récente rencontre avec le chien et son maître. Ce n’était pas de leur faute s’ils avaient croisé la route de son pantin, qui en était encore à son stade expérimental. Des excuses s’imposaient donc. Il lui fallait au minimum éclaircir la situation et démêler le malentendu qui s’était manifestement installer entre les deux hommes. L’inconnu avait certainement pris cette attaque comme une déclaration de guerre et il ne pouvait se permettre de se faire des ennemis dans un village où on l’accueillait comme mercenaire. Il imaginait qu’une agression sur l’un des habitants pouvait facilement entraîner son exclusion de Kumo, et c’était la dernière chose dont il avait besoin, surtout qu’il avait encore des projets personnels à terminer ici. Il sécha ses cheveux mouillés avec son éventail qui relâchait un souffle chaud grâce au chakra emmagasiné, avant de prendre la direction des terrains de combat. Il retrouva le jeune homme en blanc et son compagnon canin qui se tenaient près de son pantin qu’il avait abandonné. Il ne se serait pas pardonné d’avoir perdu une des créations de sa mère. Le sourire au visage, il s’approcha du maître-chien pour lui adresser la parole et passer aux présentations:

— Bonjour monsieur, je vous remercie d’avoir veillé sur mon pantin. Il est très précieux pour moi, et j’en ai besoin à la fois pour me défendre mais aussi pour mes prochains spectacles. Mon nom est Minamoto Yoichi, je suis mercenaire et artiste vagabond, je parcours le monde afin de donner le sourire aux gens. Même si… tout n’est pas prêt encore, comme vous le voyez, je fais un test pour savoir si j’étais capable de contrôler les mouvements de la marionnette mais celle-ci avait l’air de ne pas répondre correctement à mes instructions. Je tiens à m’excuser de vous avoir impliqué involontairement dans mon expérimentation.

Il baissa son regard en essayant de ne pas s’énerver contre la créature qui avait pris sa tête pour un arbre pour se soulager:

— Votre chien est drôlement fort et bien dressé, vous avez l’air de partager un lien très spécial avec lui pour qu’il vous protège avec autant de loyauté.

L’heure était donc aux excuses et aux présentations, surtout que dans cette histoire, c’était Yoichi le responsable de cet imbroglio et de combat à l’improviste avec cet homme fort poli au demeurant et qui n’avait rien demandé et qui promenait juste son chien. Heureusement, celui-ci ne semblait pas demander réparation pour le débordement de son pantin expérimental, au contraire, il se montrait compréhensif et ne tarissait pas de louanges par rapport aux caractéristiques techniques de son oiseau de métal et de bois. Complimenter la création d’un inventeur était la meilleure chose qu’on pouvait lui faire, et Yoichi ne faisait pas exception à la règle. On pouvait lire son regard pétiller aux paroles du maître-chien qui avait l’air de s’intéresser à sa marionnette, bien que celle-ci s’était lancée plus tôt sur lui avec l’attitude d’une machine à tuer. Le passé était déjà le passé et cela arrangeait bien les affaires du vagabond dont le passe-droit à Kumo ne tenait pas à grand-chose, si ce n’était de ne pas faire de vagues dans le village qui l’hébergeait en tant que mercenaire. De toute façon, il n’avait pas d’argent pour rembourser les dommages occasionnés à son interlocuteur et à son compagnon animal, ayant tout dépensé pour louer sa résidence délabrée, et il n’avait aucunement envie de finir en prison. Comment allait-il réaliser son rêve de monter une troupe de théâtre sinon?

Lorsqu’il entendit le nom de son interlocuteur, le nom d’Inuzuka résonnait de manière familière dans son esprit. Il avait entendu parler de ce clan ninja spécialisé dans le dressage de chiens ninja, aussi appelé ninken. Cela expliquait comment Takeshi et Liudo se battaient de manière aussi synchronisée sans avoir à communiquer l’un avec l’autre, comme s’ils ne faisaient qu’un. Il y avait de quoi être impressionné et envieux, car lui au contraire avait besoin de relier ses pantins avec des fils de chakra pour les manipuler, ses pantins n’avaient pas leur propre personnalité ni leur propre intelligence pour fonctionner. La question que le Kumojin lui posa sur l’apparence animale de ses pantins déclencha quelque chose dans l’esprit dans Yoichi, car jusqu’à maintenant il n’avait pas fait attention au fait que la plupart de ses créations étaient inspirés de vrais animaux. L’inspiration, en réalité, ne venait pas de lui, car les plans avaient au préalable été dessinés par sa mère qui lui avait transmis le savoir des marionnettistes. Yoichi se souvenait de l’intérêt de sa mère pour les animaux, il n’était pas difficile de faire l’association. Lui qui s’était fait la promesse de perpétuer l’héritage de sa mère, il comptait bien terminer le projet qu’elle avait commencé, en parcourant le monde et s’inspirer de tout ce qu’il avait à lui offrir.

— Beaucoup de mes créations sont inspirées d’animaux en effet, mais ce n’est pas moi qui les ai imaginées, je n’ai fait que suivre les plans transmis par ma mère qui était marionnettiste. J’espère poursuivre son projet, perfectionner ses idées, innover avec les moyens technologiques qui me sont offerts aujourd’hui et dont elle ne disposait pas encore, et ainsi faire honneur à sa mémoire.

Nombreuses étaient les questions qu’il se posait encore sur les origines du savoir marionnettiste et notamment où sa mère avait appris tout ce qu’elle savait, mais c’était un sujet pour un autre jour.

— J’aimerais donc parcourir le monde, m’inspirer des animaux et des créatures mythiques pour inventer les pantins les plus sophistiqués qui soient. Car mes créations n’ont pas seulement pour fonction de divertir les gens, mais aussi de s’inspirer de la beauté du monde. Pas seulement l’imiter, mais aussi devenir une version améliorée de celle-ci.

Son regard oscilla avec intérêt entre Takeshi et Liudo.

— Si mes pantins partagaient un lien aussi fort que vous et votre chien, je n’aurais eu aucun mal à contrôler mon oiseau! Ajouta-t-il sur le ton de la rigolade en rebondissant sur ce que son interlocuteur lui avait dit plus tôt. Mais blague à part, j’ai eu de la chance de vous voir en action, beaucoup de gens paieraient cher pour voir un Inuzuka se battre avec son chien, c’est très impressionnant. Promis, la prochaine fois (si celle-ci devait venir un jour), je tâcherai d’avoir un meilleur contrôle sur Nakidori!  Il caressa le plumage synthétique de l’oiseau mécanique avec une affection qu’on trouverait étrange pour un pantin, mais il ne s’agissait pas juste d’instruments de combat pour lui, mais de véritables compagnons avec chacun leur spécificités. C’est le nom de mon pantin. Oui je sais c'est bizarre pour un "objet". C’est peut-être juste un prototype, pas très “obéissant”, mais il est très cher à mes yeux car c’est la première création qui m’a été inspirée par ma mère.

En dépit de leurs origines respectives, chacun des deux hommes nourrissaient un lien fort avec leur compagnon, Yoichi avec sa bête ailée mécanique et Takeshi avec son canidé ninja. Une symétrie imparfaite, dans la mesure où le marionnettiste était à son pantin ce que l’inventeur était à sa création, tel l’artiste ingénieux qu’il était, il avait modelé son ami à l’image qu’il l’avait souhaité, alors que le dresseur de chien avait su apprendre à son animal à obéir à ses instructions, jusqu’à atteindre un niveau de synergie qui allait au-delà de ce qui était possible entre un maître et son chien. Tel était le talent inné des héritiers de la lignée des Inuzuka. La réputation de ces derniers traversait les frontières, et être témoin lui-même de leur capacité à travailler en harmonie, cela avait de quoi l’inspirer à écrire des gestes héroïques afin de rendre hommage à la beauté de leur harmonie, décrivant des mouvements acrobatiques dans le ciel, au point qu’ils semblaient ne faire qu’un seul homme. Il eut été d’autant plus impressionnant s’ils étaient capable de fusionner comme le disait la légende, mais sûrement cette rumeur était infondée?

Plutôt que de s’attarder sur de tels ouï-dires, il fallait se concentrer sur les faits réels pour les retranscrire dans les chroniques qu’il compilait au gré de ses aventures. L’homme et son loup blanc, celui-ci avait une dégaine relativement nonchalante, mais impérieuse en même temps, un combattant qui n’avait certainement pas montré toute l’étendue de son potentiel, comme lui il avait retenu ses coups pour ne pas commettre d’impair. Son exceptionnelle capacité à travailler en coordination avec Liudo n’était pas la seule chose qui interpella le conteur vagabond, découvrant que le dresseur de chien avait à coeur de répertorier les animaux du Yuusei. Une ambition qui ne laissait pas indifférent le manipulateur d’animatroniques, qui lui même s’inspirait des créatures habitant cette terre pour concevoir ses nouvelles créations, suivant les pas de sa mère avant lui. Il esquissa alors un rictus complice à l’adresse de son interlocuteur.  

— C’est un bel objectif que vous avez là, je vous souhaite de l’atteindre. Et qui sait? Peut-être que je pourrais vous aider sur cette voie.

A cet instant, le canidé se mit à aboyer en semblant s’adresser à son maître qui aussitôt traduisit ses paroles à l’intention de l’étranger qui les regardait de manière intriguée, se demandant ce qu’ils pouvaient bien se dire. Il s’avérait que le chien présentait ses excuses pour ce qu’il lui avait infligé plus tôt à sa chevelure délicate qui lui demandait des heures d’entretien chaque matin.

— J’accepte ses excuses, après tout, je l’ai bien mérité pour avoir perdu le contrôle de Nakidori. Intérieurement, il garderait à tout jamais les séquelles de cette souillure qui ses cheveux soyeux. Sur ces entrefaites, prenez soin de vous Takeshi-san. Puissent nos chemins se recroiser un jour.

A son tour, il se retourna pour quitter les lieux, utilisant ses fils pour faire s’élever l’oiseau  mécanique dans les cieux, cette fois sans causer d’incident.

Spoiler: