C’était par pure coïncidence que cette même matinée-là, les pas du lutin sauvage l’amenèrent jusqu’aux prémisses du domaine Kaguya. Habillé de manière légère, il n’avait pas pris le temps de se couvrir qu’il avait été frappé par une vision peu après son réveil. Une vision éphémère, une ombre qui partageait des similitudes avec le Yôkai qui le sauva dans son enfance et qu’il poursuivait inlassablement tel une chimère. A la différence que celui-ci, il ne l’avait pas rêvé. Le démon avait disparu et hantait ses songes de manière obsessive, trahissant son désir profond de retrouver sa trace. Il crut apercevoir au détour d’une rue, au milieu de cet épais brouillard de guerre qui limitait le champ de vision des habitants, une ombre semblable à l’image qu’il s’était imprimé du Yokai dans son esprit. L’impression d’être un somnambule, naviguant entre conscience et sommeil, entre rêve et réalité, il marchait en se laissant guider par le mirage. De rue en rue, de quartier en quartier, c’est après de nombreux détours et sans le réaliser qu’il mit enfin les pieds dans le lieu de résidence des maîtres de l’ostéogénèse. Trop distrait pour remarquer où il se trouvait à présent, il avançait dans la pénombre en pressant le pas cette fois, craignant que la créature ait réussi à le distancer. Il avait tant de questions à poser, encore fallait-il que celui-ci comprenne son langage. Un mystère qu’il voulait définitivement éclaircir afin d’avancer dans sa vie, il était déterminé à voir le bout du tunnel, prêt à faire les sacrifices qui s’imposeraient à lui le moment venu. Même si sa mère le dissuadait de poursuivre ses affabulations, elle-même lui révélait qu’elle ne savait pas ce qu’elle avait vu. Un mensonge peut-être pour convaincre son fils d’arrêter pour de bon cette recherche inutile, ses escapades interminables et futiles.

Il fut extirpé de ses pensées au moment où un bruit attira son attention. Comme un objet fin fendant l’air à plusieurs reprises, mais à une force telle que cela produisait des échos jusqu’à ses oreilles. Le rythme avait celui d’une mélodie, ou du moins produisait des sons agréables qui donnaient envie d’écouter attentivement. Il tenta de localiser l’origine du bruit. Il fit quelques pas en arrière, revenant vers une palissade qu’il venait de dépasser et qui le séparait d’un terrain d’entraînement à proximité. Levant la tête, et se dressant sur la pointe des pieds afin de voir au-dessus de la barrière en bois — car Yuudai n’était pas très grand, il arrivait par accoups à distinguer des images de l’inconnu mais forcé de retomber sur ses talons. Piqué par sa curiosité, il alla chercher une caisse qui traînait dans le coin pour s’appuyer dessus. La tête dépassant la palissade à hauteur du nez, ses pupilles dorées sondaient le terrain avant de s’arrêter sur l’homme qui s’entraînait en solitaire, le torse nu étincelant de sueur. En voyant cela, le jeune homme au corps d’adolescent n’avait que de l’admiration. Lui qui n’était guère très athlétique, bien au contraire, il avait toujours son corps d’enfant, à en juger par son apparence il n’était pas capable de faire de mal à une mouche. Se pouvait-il qu’il devienne aussi fort que cet homme un jour?

Captivé par la démonstration technique du lancier, Yuudai se rapprocha trop près de l’extrémité de la caisse en bois sur laquelle il se tenait, faisant pencher l’objet sur le côté. Patatra. Dans toute sa grâce, le genin tenta d’attraper la palissade mais trop tard, son corps avait déjà été attiré par la force de la gravité et il n’eut pas le temps de dire ouf qu’il était tombé en arrière sur la tête. La chute fut aussi brutale que bruyante, si bien que l’admirateur secret se doutait qu’on l’avait entendu. Se caressant l’arrière du crâne, il redressa son dos dans une position assise, il essaya de se relever tant bien que mal. Après quelques efforts et gémissements de douleur, il se remit debout, frappant ses vêtements pour en retirer la poussière.

Les étoiles au-dessus de sa tête tournoyaient si bien qu’il croyait voir des oiseaux. Encore sonné par sa chute à l’instant, il venait à peine de se remettre qu’il entendit des bruits de pas s’approcher de sa position. C’était l’homme qu’il était en train de s’entraîner et qui venait d’interrompre son exercice matinal pour lui parler. Il s’inquiétait pour lui apparemment! Une âme généreuse sûrement, pétrie de bonnes intentions. Il lui était sorti de l’esprit qu’il avait mis les pieds dans le domaine des Kaguya et qu’il avait certainement en face de lui un homme du clan, entraîné à tuer depuis son enfance. Malheureusement, Yuudai était bien trop innocent pour prêter de telles intentions à son interlocuteur qui venait voir l’origine du bruit. De plus près, l’homme était encore plus musclé et sa chevelure redressée lui donnait un côté viril qui, chez Yuudai, était complètement absent du fait de ses longs cheveux et de son corps d’enfant. Lorsque l’individu lui proposa de faire quelques passes d’armes avec lui, il pensa d’abord que c’était pour plaisanter, mais en le regardant encore quelques instants dans les yeux, il comprit que c’était sérieux. Qu’est-ce qui lui faisait penser qu’il était capable de se défendre? Néanmoins, il ne fit pas l’affront de refuser et puis pour l’avoir dérangé au milieu de son exercice, c’était le moins qu’il pût faire pour se faire pardonner. Il acquiesça humblement à la demande de l’inconnu, quoique peu rassuré de la tournure qu’allait prendre cet échange martial car il n’était guère confiant en lui-même, et avait déjà eu un aperçu de la dextérité de l’homme à la lance.

— C'est vrai vous êtes sûr? Je ne suis pas très bon mais, je peux me battre à l’épée. Il détourne le regard, comme par honte de dévoiler sa faiblesse face à un expert du Bukijutsu.

Et encore, se battre à l’épée, c’était un grand mot. Il avait passé outre ses récents entraînements physiques, privilégiant davantage ses sessions pour maîtriser son Kekkei Genkai, et son ninjutsu de manière générale. Autant dire que les arts martiaux n’étaient pas du tout sa spécialité, mais c’était l’occasion pour lui peut-être de se révéler un épéiste, qui sait? Il s’agissait pour lui d’un point faible, et puis peut-être que son partenaire d’entraînement était du genre à retenir ses coups face à un débutant. A ce stade, naïf qu’était Yuudai, il ne se doutait pas qu’il avait face à lui un Kaguya, d’autant qu’il ne s’était pas présenté et lui non plus, ils allaient apprendre à se connaître par les coups plutôt que les mots. Encore fallait-il que leur combat dure plus de dix secondes ou qu’il parvienne à renvoyer un coup à un adversaire de cette trempe. Il entra sur le terrain et se mit à une distance raisonnable. Il prit une grande inspiration avant de souffler. La pression commençait à monter chez le petit genin qui déroula un parchemin à mi-hauteur avec un sceau au milieu qu’il frappa de la paume, faisant apparaître un katana noir et aux motifs dorés qu’il tenta d’attraper au niveau de la poignée. Mais échec critique, le katana tomba ridiculement au sol. Il se baissa pour ramasser le katana en évitant d’en rajouter, dépité d’avoir manqué sa tentative pour avoir l’air classe pour une fois. Dégainant son sabre qu’il tenait des deux mains, il prit une posture offensive on ne peut plus académique, la lame à la verticale entre ses deux yeux fixant son adversaire avec intensité.

— Très bien je… j’attaque! Lança-t-il d’une voix timide.

Il courut à grandes enjambées, se préparant à asséner une série de coups de taille horizontales et verticales à l’attention du lancier. Des coups sans force cependant, et surtout, manquant cruellement d’intensité et de précision.

La fébrilité du porteur se reflétait dans le manque de fermeté de ses coups, son enchaînement dès l’ouverture, se révélait maladroit, pour ne pas dire ridicule. En effet, Yuudai n’était point un guerrier, il n’avait rien de la carrure d’un épéiste comme on pouvait en trouver à chaque coin de rue à Kiri. Aussi son assaut n’avait-t-il pas de quoi perturber la garde de l’homme à la lance, qui parvenait à lire son enchaînement comme dans un livre ouvert. Du reste, les coups de taille portés par le petit épéiste étaient d’un classicisme flagrant, trahissant à quel point il était encore novice en la matière. Il était inutile de lutter, se disait-il, il n’y avait rien à faire pour percer la défense du lancier. Le métal de sa lame ne cessait de résonner sur la barre fermement tenue de son adversaire, en parfait équilibre et sur ses appuis, ses mouvements étaient fluides et ses réflexes impressionnants. Yuudai était comme un spectateur au sein de son propre combat, admiratif devant les prouesses techniques du Kaguya, et en même temps l’impression de sombrer dans un cauchemar où il était impuissant. Comment son niveau pouvait-il être aussi médiocre? Comment pouvait-il devenir plus fort, arriver à ce niveau? Son estime de lui-même était réduite à néant, et ce combat n’avait fait que confirmer sa médiocrité. Pourquoi avait-il accepté cette passe d’armes alors qu’il savait pertinemment qu’il était incapable de se battre à l’épée? Même s’il avait appris les bases, et encore, on ne pouvait dire qu’il avait le niveau d’un néophyte chez les Sabreurs, il voulait certainement se convaincre que rien n’était impossible quand on osait y croire, quand on savait prendre des risques pour se moquer de la fatalité. Être timoré, c’était une faiblesse qu’il se reprochait d’avoir depuis longtemps, à cet instant, il se disait qu’il avait tort, qu’être un lâche avait forcément ses avantages, comme éviter de se confronter aux cruelles inégalités de la vie, accepter sa finitude pour l’éternité.  

La contre-attaque du lancier ne se fit pas attendre. Le rapport de forces était indéniable, et le résultat, évident. Il faisait face à un homme dont la taille aussi bien que la musculature le surclassaient largement, il était une fourmi face à la semelle d’un homme, l’infiniment petit face à l’infiniment grand. Il n’était qu’une question de secondes avant qu’il ne se fasse écraser par la virulence des coups qui s’enchaînaient à un rythme trépidant. Chaque impact laissa son bras tremblant de douleur, il ressentait la force de chaque coup comme un marteau frappant l’enclume. Malgré tout, il résistait et faisait tout pour se montrer digne de son adversaire et ne pas lui manquer de respect en vacillant trop rapidement, même si son corps l’encourageait ardemment à le faire. “Tu n’es pas fait pour ça”, se répétait-il à chaque instant, la sueur dégoulinant déjà sur le visage, il reculait d’un pas à chaque coup qu’il bloquait désespérément et avec une improvisation de veinard, il en esquiva certains. Cependant, il doutait que son endurance soit suffisante pour survivre à un combat sur la longueur, mais il n’osa pas interrompre l’échange de coups, dans lequel son adversaire semblait trouver une certaine… animation. Quel plaisir pouvait-il trouver à souffrir? A recevoir et donner des coups? A être trempé de sueur? Yuudai ne comprenait pas mais ne voulait pas que cela s’arrête, après tout, ils n’en étaient qu’au début. L’avantage de la lance sur l’épée n’avait de cesse de creuser l’écart entre les deux combattants. Le dernier coup porté par la lance écarlate traversa la garde de l’épéiste novice, et le frappa au niveau de l’estomac, le faisant reculer de quelques pas en arrière, posant la main sur la zone douloureuse il se retint de poser le genou au sol. Il faisait une grimace alors qu’on pouvait voir un léger filet de sang couler sur le coin de sa bouche, il souriait innocemment afin de masquer l’insupportable fatigue qui foudroyait son corps:

— Bankichi, enchanté… Je suis… (tousse) … Yuudai.  

Il se remit en garde, l’épée levée au-dessus de sa tête, il se rua de nouveau vers son adversaire afin de lui porter un coup de haut en bas, puis un enchaînement de coups de taille sur les côtés, tentant désespérément de trouver une faille dans la garde du lancier.

Un filet de sang coulant dans le coin de sa bouche d’un visage si fragile et délicat, le jeune homme était loin d’être dans son élément, et encore moins dans son domaine de prédilection. L’épée lui paraissait un peu plus lourde, ses mains devenaient plus moites et l’impression que l’arme pouvait lui échapper à tout moment. Il ne savait combien de temps il pouvait endurer encore les assauts de son partenaire d’entraînement qui contrairement à lui, semblait trouver un certain plaisir à cet affrontement. Un plaisir que lui n’arrivait décidément pas à comprendre. Qu’est-ce qui pouvait être si excitant d’avoir des douleurs dans tout le corps, de se sentir fatigué au point de ne plus éprouver ses muscles, de suer de tout son corps? Certes, il avait de l’admiration pour la forme athlétique de son adversaire, il voulait lui ressembler, mais c’était comme vouloir se rapprocher du soleil, il craignait de se brûler. Il était loin d’avoir l’étoffe d’un guerrier, peut-être n’était-il même pas fait pour être ninja après tout? Une cascade incessante de questions existentielles tiraillait son esprit, la fatigue aidant à faire émerger le doute, la frustration, la crainte de ne pas être au niveau de compétitivité qu’on attendait d’un genin tel que lui.

Il avait beau être du même grade que son adversaire, ils n’étaient clairement pas du même niveau, l’écart était trop grand pour considérer qu’ils appartiennent à la même catégorie. Et pourtant, quelque chose en lui l’empêchait d’abandonner, de peur de décevoir celui qui lui avait proposé de s’entraîner avec lui. Comme un accord tacite qui s’est formé dès lors que son adversaire a vu en lui le potentiel de quelqu’un digne d’échanger des coups avec lui. Autant se mesurer à un mannequin de bois, se répétait-il dans son esprit. Il l’avait sûrement choisi car il passait par là, et non parce qu’il le considérait comme un adversaire légitime. Il se posait trop de questions, il devait se concentrer sur le combat, le moment présent où il était visiblement en train de subir plutôt que d’offrir une véritable opposition, matière à créer un challenge qui fût propice à s’améliorer au combat.

Les attaques du lancier accéléraient visiblement à chaque coup, jusqu’à atteindre une vitesse de plus en plus difficile à anticiper pour Yuudai qui se défendait en accomplissant des mouvements de moins en moins académiques, à l’exécution imparfaite et improvisée, sacrifiant la forme à la nécessité de survie. Chaque coup était bloqué de justesse, comme si d’une certaine manière, son corps s’était habitué à la cadence des échanges avec Bankichi. Ses yeux, ses oreilles, ses sens avaient mémorisé la technique de son adversaire de manière inconsciente, même s’il reçut encore quelques coups au niveau des bras ou des jambes car ses réflexes étaient encore trop lents pour se défendre de manière adaptée. Les gouttes de sueur perlant sur le front, il respirait de plus en plus difficilement, et son rythme cardiaque grimpait en flèche. Chaque impact de la lance sur sa lame le faisait reculer d’un pas, puis d’un autre, faisant voler des gouttes de sueur dans tous les sens sous la force de l’impact.

L’épuisement était intenable, il n’avait jamais poussé son corps jusqu’à de tels retranchements. Et en même temps, il sentait quelque chose monter en lui, une sorte de frisson qu’il n’avait jamais rencontré auparavant, pour n’avoir jamais pratiqué d’activité physique aussi intense. Une étincelle si faible qu’elle en était insignifiante, mais son existence était la preuve qu’un potentiel était là, et qu’il n’attendait qu’à être développé. N’arrivant pas à bloquer un coup qui lui arriva droit dans le ventre, le genin fut dégagé à plusieurs mètres en arrière, avant de poser un genou à terre, utilisant son épée pour s’appuyer et ne pas s’effondrer. Le souffle coupé, sa longue chevelure mouillée couvrant son visage égratigné de toutes parts, il fut réveillé par la provocation de son adversaire qui l’incitait à montrer davantage d’ardeur, un appel qui déclencha un instinct sauvage qui dormait en Yuudai. Celui-ci se releva alors et se remit en position de combat, quelque chose avait visiblement changé dans les yeux du cupidon, une détermination telle qu’on en voyait rarement chez lui. C’était le genre de volonté qui ne faisait surface que selon certaines conditions, quand la situation l’exigeait. Il venait de renouer avec son instinct primal, celui d’un animal sauvage luttant pour sa survie.

— YAAAAAAH!

Poussant un cri du fond de ses tripes, il effectua une charge intrépide que d’aucuns auraient qualifié de désespérée, l’épée fermement dans ses deux mains, il effectuait un coup de taille à l’horizontale au niveau du ventre tout en glissant sur ses pieds de manière à attaquer Bankichi sur son flanc droit, il se tourne à 180 degrés puis sauta dans les airs, faisant descendre la lame de haut en bas. Dans la même foulée, il assénait plusieurs attaques avec un poil plus de virulence et d’agressivité, l’adrénaline aidant son corps à soutenir le rythme de ces assauts effrénés. L’espace d’un instant, c’est comme si son esprit avait oublié la douleur et permettait au genin de rester encore debout.

Une sensation nouvelle s’était emparée de Yuudai, une sensation qu’il apprenait encore à apprivoiser. De nature fragile et pacifiste, il n’avait jamais soupçonné qu’une telle rage puisse habiter en lui. Dormant au plus profond de son être depuis tout ce temps, une flamme s’était allumée. Une flammèche, dirons-nous plutôt, mais l’espoir d’un potentiel plus grand encore peut-être. Les mots lui manquaient pour définir ce qui était exactement cette essence à l’origine de cette force pure qui s’était emparé de son corps tout entier, mais elle était bel et bien là, elle l’avait revigoré au point qu’en dépit de ses multiples blessures, il demeurait encore debout et tenait tête même si ce n’était que l’espace de quelques instants, à un guerrier des plus redoutables. Les coups fusaient avec une force et une précision supérieure de coutume, l’hésitation qui l’avait ralenti jusqu’à là ne se lisait ni sur son visage, ni dans ses gestes. L’avait-il pris par surprise par ce nouvel élan de ferveur et de célérité, l’adolescent de par sa démonstration de dextérité insoupçonnée avait réussi à transpercer la défense impénétrable du lancier, au point que ce dernier fut éraflé par la lame de l’épée. Une petite victoire, mais une victoire quand même pour le genin qui avait été forcé sur la défensive depuis presque le début du combat. Une situation qui allait se répéter puisque la réponse du Kaguya fut immédiate. Piégé dans la zone de portée du lancier, l’épéiste eut à peine le temps de placer sa lame en opposition face à la tornade de la lance qui le propulsa en arrière sous la force du contact, une étincelle bleue jaillissait de l’impact entre les deux armes. Ses pieds tentèrent en vain de s’accrocher au sol au moment du point de chute mais il n’avait pas la force pour accomplir une telle prouesse physique, a fortiori dans son état actuel, alors son corps effectua quelques tonneaux en arrière, glissant quelques mètres plus loin avant qu’il plante l’épée au sol pour tenter de se relever quoiqu’avec une grande difficulté. La voix de son adversaire résonnait dans cette cour où ils étaient les seuls protagonistes. Il avait raison, la rage s’était emparé de Yuudai, une rage aveugle qu’il n’avait pas réussi à canaliser et qu’il l’avait rendu vulnérable à la contre-attaque de son opposant. La rage était une force mais aussi une faiblesse si utilisée à mauvais escient.

— Compris. Son ton se faisait plus sérieux et moins hésitant.

Le seul mot qu’il put laisser échapper tant l’oxygène se faisait précieux. Reprenant son souffle, la poitrine brûlant du contrecoup de sa dernière contre-attaque, son regard devenait de plus en plus brumeux à cause de la sueur qui coulait sur son visage. Ses épaules tiraient ses bras vers le sol, son épée devenait aussi lourde qu’une enclume. Il se redressa mais la panthère bleue ne laissa aucun répit à sa proie, l’odeur de son propre sang l’avait semble-t-il rendu bien plus féroce qu’au début du combat. La lance s’allongeait tout d’un coup, comme un serpent allongeant son corps pour mordre sa proie, Yuudai ne compris guère ce qui lui arrivait que la lance se plongeait dans son épaule gauche, le faisant glisser en arrière alors qu’il tentait de briser le contact de la lance et son épaule avec sa main libre. La force du coup de la lance fut telle qu’il avait l’impression que son épaule allait se déboîter, et que son bras allait se séparer de son corps. Une douleur si vive qu’il ressentit un frisson dans tout le corps. De la peur? Certainement. Mais il y avait également une excitation presque masochiste qui se mêlait à cette sensation, une poussée de dopamine qui faisait suite à toute la souffrance que son corps avait enduré jusqu’à présent, sortant de sa zone de confort, pour la première fois de sa vie.  Pour la première fois, il apprenait ce qu’était qu’être un vrai combattant, même s’il était loin d’avoir encore l’étoffe d’un rival pour le lancier, et encore moins d’un Kirijin digne de ce nom. Il avait du chemin à parcourir. Et ce combat l’avait déjà mis sur la bonne voie. Il était reconnaissant, au fond. Et il ressentait le besoin d’exprimer cette reconnaissance en livrant toutes ses forces à satisfaire l’appétit insatiable de son partenaire d’entraînement.  

— Je n’ai pas encore la force…(souffle) pour rivaliser avec vous… (souffle) mais je n’abandonnerai pas!

Il leva son épée avec une main, un sourire grimaçant sur son visage ruisselant de sueur. Il n’avait pas conscience de sourire dans une situation aussi délicate pour lui, dans un combat perdu d’avance. Le goût pour le désespoir ou du pur masochisme, une nouvelle mentalité avait pris naissance au fond du jeune homme qui jusqu’à ce jour ne prenait aucun risque, n’éprouvait aucun désir de se fortifier physiquement. Il avait trouvé en cette personne un modèle d’inspiration à suivre, et il ne comptait pas laisser passer cette opportunité d’en apprendre davantage à ses côtés. Il se rua de nouveau vers le lancier, l’épée dans la main droite, il ne semblait pas prêt à se défendre mais au lieu de cela, il glissa au sol sur ses genoux, profitant de sa petite taille pour se faufiler sous la prochaine attaque de lance et se créer une ouverture. Il avait compris que son adversaire avait l’avantage de la portée, et qu’il devait à tout prix se rapprocher au plus près s’il espérait ne serait-ce que l’égratigner. Vole comme un papillon, pique comme une abeille. Chaque esquive était suivie d’une seule attaque. Son attitude était bien plus élusive, il ne cherchait plus à bloquer les coups de lance mais à les esquiver, que ce fut en sautant ou en roulant au sol, il savait pertinemment qu’il n’avait pas la force pour bloquer les attaques féroces du guerrier aux cheveux bleus.  

Le jeu entre la lance et l’épée se concluait sur un ultime coup d’épée de la part de Yuudai, reflétant l’ampleur du progrès dont il avait fait preuve lors de ce combat qui ne le donnait aucunement gagnant, il avait pourtant su se montrer à la hauteur des attentes placées en lui, du moins il l’espérait. Il était loin de penser qu’il était capable de se battre avec autant de férocité, il avait découvert une facette insoupçonnée de lui-même, une bête sauvage qui ne demandait qu’à se déchaîner. Et tout cela, il le devait à son adversaire du jour, qui par le biais de ses attaques cinglantes et l’impétuosité de son discours avait su animer la flamme qui sommeillait en Yuudai. Ce dernier était figé dans une position de garde défensive quand il vit le Kaguya prendre une posture plus relaxée et annoncer qu’il était satisfait par le duel qu’ils venaient de mener. C’était… terminé? Une expression de surprise et en même temps de soulagement pouvait se lire sur le faciès éreinté du petit épéiste. Dans un moment de réalisation, il comprenait qu’il était allé jusqu’au bout de ce combat, un élan de confiance le saisit tout d’un coup, la sensation d’accomplissement de ne pas avoir cédé à la fatigue et à son caractère timoré. Il était content d’être parvenu à la ligne d’arrivée, de ne plus à supporter cette montagne de douleur qui refaisait surface dans son corps, le foudroyant de toutes parts jusqu’à ce qu’il tombe à genoux. Le regard pétrifié, les pupilles vitreuses, les pommettes rougies par le travail excessif sur son corps rachitique. Comment un être aussi fragile que lui avait-il su déployer une telle force physique? Non, ce n’était pas tant sa force qui avait su faire la différence dans ce combat, car il était clairement surclassé par le Kaguya dont la musculature était incroyablement développée. C’était sa détermination, la confiance et surtout, l’absence d’hésitation, une pure clairvoyance dans chacun de ses coups. Comme un état de transe qui l’avait permis, l’espace de quelques secondes, d’atteindre un niveau d’art martial inatteignable normalement pour lui.

Au milieu de son introspection et des halètements faisant écho dans son esprit cherchant à donner du sens à ce qui venait de se passer, il se releva avec grande difficulté, les jambes tremblantes et le corps parcouru de contusions. La douleur jusque-là anesthésiée par la passion du combat devenait à présent beaucoup plus vive, et il en payait le prix lourd. Il se concentrait sur les mots de son interlocuteur, qui était dans un meilleur état que lui, évidemment, puisqu’il avait certainement l’habitude de ce genre d’entraînement contrairement à lui. Lui, épéiste? C’était à peine s’il savait tenir une épée, et pourtant, il avait prouvé qu’il était capable de plus que cela. Toute la théorie, son manque de confiance l’avaient convaincu qu’il était incapable de se battre au corps-à-corps. C’était comme si cette situation de “danger” avait poussé son corps à réagir instinctivement, et à le forcer à se battre de manière plus précise et appliquée. Une sorte de stress, une pression psychologique de respect envers celui qui l’avait invité à cette joute physique, de la part de quelqu’un qu’il admirait pour son talent, tout cela s’était converti en énergie positive jusqu’à le pousser dans ses retranchements, déverrouillant un potentiel caché qui sommeillait au plus profond de lui-même. Plus que de la rage, c’était son cœur qui s’était exprimé, ses coups étaient emplis de sincérité. Mais cela n’aurait jamais été possible si son vis-à-vis n’avait pas initié cet échange tel qu’il l’avait fait, en lui ouvrant la porte vers cette nouvelle dimension des possibles. Une violence pure, une violence communicative, un désir de se surpasser. Il sentait que dans cet échange, son adversaire exprimait un désir, une pulsion assez semblable, ce qui soulevait la question dans l’esprit de Yuudai: qu’est-ce qui poussait Bankichi à se battre avec autant de férocité? Que poursuivait-il avec autant d’ardeur pour se lancer dans cette voie martiale?

A la question de son partenaire d’entraînement, un sourire se lisait sur le visage du jeune homme. Non pas un sourire moqueur, non, il ne se le permettrait pas. C’était davantage l’idée-même de croire qu’il avait le talent pour devenir un épéiste, il ne savait si c’était pour exprimer son incrédulité quant à cette possibilité ou encore le plaisir que quelqu’un qu’il tenait en admiration lui fasse un tel compliment? Plutôt que de répondre dans la certitude, puisque le futur n’était guère figé dans le marbre, il haussa les épaules sans développer davantage, trop fatigué pour élaborer des phrases pour s’expliquer sur ses motivations. Néanmoins, il avait tout juste assez de force pour remercier son mentor.

— Merci, Bankichi-sama. Ce combat était… Comment pouvait-il le qualifier avec justesse? Riche en enseignements. Merci de m’avoir… accordé cette chance de me mesurer à vous. Il attrapa son épée qu’il avait laissé tombé au sol sous le coup de la fatigue et il la rangea délicatement dans son fourreau avant de s’incliner face au Kaguya. Ce nom me dit quelque chose, il est peut-être de la même promotion de genin que moi?

Ainsi s’achevait leur combat qui fut le catalyseur d’une relation de respect. Une rivalité à sens unique peut-être pour le jeune Yuudai, s’il avait retenu quelque chose de cet affrontement, c’était bien que la force de la conviction n’était pas quelque chose à sous-estimer. Aucune ambition n’était trop grande pour celui qui savait se battre avec ses tripes. Il était reconnaissant d’avoir découvert les prémisses d’un potentiel qui ne tenait qu’à être exploité. Il était curieux aussi de voir jusqu’à quels sommets allait s’élever le Kaguya, puisqu’il était désormais une source d’inspiration pour le petit genin.