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Dans sa quête éternelle de la vérité sur son passé, Yuudai trépidant d’impatience à l’idée de de se lancer sur cette nouvelle mission pour le village. Les mandataires de la mission n’étant autres que les dirigeants du pays de l’Eau, il n’y avait aucun doute que les enjeux étaient importants. D’autant qu’il s’agissait pour de lui de sa première mission de rang B, il se devait de faire bonne impression, sur un parcours ninja qui était jusqu’à maintenant vierge de tout accomplissement significatif. Il était donc temps pour lui de faire ses preuves. Certes, s’il avait le souci du devoir en tant que ninja de la Brume, en bon petit soldat qu’il était, il avait aussi pour projet personnel d’en découvrir davantage sur ces êtres surnaturels qu’étaient les Yokai. Celui mentionné dans la lettre était même considéré comme une sorte de mascotte pour le village sur lequel ils allaient enquêter, en particulier les récoltes qu’il leur prodiguait ces dernières années. Toutefois, les autorités soupçonnaient que le Yokai soit à l’origine des disparitions dans la région où se trouvait ce village, aucune autre cause n’était relevée a priori. En effet, il était facile d’incriminer ces êtres aussi mystérieux que disparates… Comment ne pas le faire quand ceux-ci étaient connus pour être violents pour la plupart? Celui que connut le jeune homme avait fait montre de violence certes, mais il n’était pas méchant. Il en était persuadé. Peut-être était-ce le cas aussi de celui-ci, et que cela lui donnerait des indices sur celui qui l’intéressait personnellement.

Pour l’heure, il ne connaissait pas grand-chose des Yokai, si ce n’est qu’ils étaient dangereux en général, et qu’on les voyait un peu comme des animaux sauvages, voire des êtres maléfiques. C’était les prémisses en tous cas de la doxa, alors que Yuudai lui n’était pas tellement de cet avis. Sa perception du monde n’était guère partagée par tout le monde, le laissant quelque peu en marge de la société. Vivant seul avec sa mère, sa carrière de ninja n’était rien d’autre qu’un passe-temps, un pis aller qu’il n’avait d’autre choix que de suivre afin d’avoir un toit sous lequel dormir et avoir de quoi manger. Devenir chuunin? Il n’en avait pas l’ambition. Alors il faisait le funambule dans les rues de la Brume, acceptant des missions ici et là pour se faire de l’argent de poche, tandis que les autres genins montraient davantage de passion. Alors il se laisserait guider par le vent, cherchant à développer son ninjutsu jusqu’à maturité. Une recherche de soi, en somme. Il se demandait si son partenaire de cette mission était dans le même état d’esprit, il voyait qu’il était bien l’heure de se retrouver aux portes du village de Kiri. Il réalisait que c’était la première fois qu’il partait en mission dehors, depuis qu’il avait quitté son village natal. L’extérieur avait-il changé? Il était curieux de redécouvrir les marécages et vallées humides de Mizu, tant ses souvenirs d’enfance étaient flous.

Posté devant la porte, son regard divaguait entre les différents gardes patrouillant la zone, certains sur les murs, d’autres à l’entrée. Il remarqua aussi qu’un autre ninja une tête plus grand que lui était en train de patienter. Il avait aussi un sac à dos de voyage, signifiant qu’il était sur le point de partir pour un grand déplacement comme lui. Yuudai lui demanda s’il s’appelait Yamamoto Yûsei mais il lui confirma que non. Il pivota sa tête, cherchant les environs du regard. Était-il déjà parti sans lui? Ne fallait-il pas qu’ils se retrouvent ici-même pour partir en même temps? Et surtout à quoi ressemblait-il?

Le village de Manaka. Tel était la destination de leur voyage. Les deux genins se lancèrent dans cette épopée fantastique à travers les contrées lointaines de Mizu, au milieu des sillages marécageux et des routes peu entretenues, le rideau de brume n’était plus qu’un lointain souvenir pour ces habitants de Kiri. Quel impression agréable de ne plus être constamment inondé par cette pollution visuelle, ce brouillard de guerre qui noyait leur champ de vision. Yuudai en tous cas prenait plaisir à vagabonder sur les étendues herbeuses, retrouvant ses premiers instincts sauvages, vivre en résonance avec la nature comme il avait coutume de le faire dans son enfance, dans un village de pêcheurs qui l’avait adopté en leur sein. C’est en tous cas ce que lui rappelait le village où ils décidèrent de faire étape pour se reposer, profitant de l’hospitalité d’une matriarche qui dans son infinie générosité leur offrit même les fruits de son verger. Un sourire épanoui se lisait sur les lèvres du lutin bleu, prenant le temps d’apprécier ce moment de liberté hors des murs de la forteresse de Brume. Il ne pouvait s’empêcher de souligner le contraste entre le cadre assassin et oppressant à l’intérieur de Kiri, et les grandes espaces respirant la liberté dans le reste du pays. Des paysans qui vivaient dans une insouciance absolue, loin des conflits d’intérêt des clans à Kiri, loin des assassinats. Mais rien n’était éternel. Autrefois, il vivait aussi dans un village où tout était paisible et calme, jusqu’à ce que l’humanité lui montre un nouveau visage. Alors que son regard s’assombrissait progressivement, Yûsei termina sa phrase. Il cligna des yeux, son faciès retrouva sa radiance alors qu’il répondait succinctement à son compagnon de voyage qu’il écoutait d’une oreille distraite:

— Je n’ai jamais entendu parler d’un culte de l'Écureuil, mais je sais que les villages peuvent avoir des croyances particulières en fonction de leur mode de vie. Pour mon village de pêcheurs, c’était une divinité des mers. Il croisa les bras, avant de conclure. Mais la différence fondamentale, c’est que la nôtre n’avait pas d’enveloppe charnelle.

Sujet très sensible que de tâtonner dans le domaine des esprits et des croyances, pensait le genin. Quelque chose dans la lettre de mission lui donnait l’espoir que ce Yôkai fut un être bon plutôt que mauvais, mais la coïncidence avec les enlèvements dans la région était plus qu’inquiétante, il était implicite qu’on soupçonnait l’implication de la créature. Pour autant, il fallait s’ôter de préjugé, fonder son jugement sur des prémisses certaines et appuyées par des preuves tangibles. Ils pouvaient commencer par cela, trouver des indices que le Yôkai était bon ou mauvais, ou bien déterminer si celui-ci avait un lien direct avec les disparitions. Une autre priorité était évidemment de trouver la trace des disparus, si tant est qu’ils fussent encore en vie.

— Je ne sais pas ce qu’est “croire à la Brume Sanglante”. Il existerait un culte en honneur à celle-ci? Les hommes étaient capables de vénérer toutes sortes d’idoles après tout. Je pense que les Yokai sont des êtres plus complexes qu’on ne pense, ils ne sont pas justes des monstres, il faut distinguer les bons des mauvais. Comme les hommes.

Sur ces mots, Yuudai prit une poignée de cerises dans le panier qu’on lui tendit. Un intermède de tranquillité où il contemplait le ciel, la lisière des forêts bordant les marécages, il se préparait à reprendre la route qu’il examina sa carte une dernière fois. Il leur restait encore une journée de marche au moins avant d’atteindre leur destination. Peut-être qu’ils allaient croiser des colporteurs qui étaient passés dans la région et qui pouvaient les renseigner davantage sur les traits de ce Yôkai hors du commun. Leur apportait-il vraiment de meilleurs récoltes? Quels étaient ses pouvoirs? Son attitude vis-à-vis des paysans, et des humains en général? Avait-il des faiblesses? Tant de questions qui se remuaient dans sa petite caboche, il ouvrit la marche au risque de ne pas atteindre leur prochaine étape avant que la nuit tombe, il remercia leur hôte pour les provisions, un petit lot de cerises fraîches précieusement emballées dans du tissu dans l’intention de les manger plus tard.

Une certaine connivence se formait entre les deux jeunes genins, une entente amicale qui se tissait au fil des échanges malgré leurs différences, l’un était né dans un village de pêcheurs l’autre ne s’était pas vraiment confié sur son passé, mais qu’importe. C’était incontestablement le début d’une belle amitié. Nonobstant les prémisses de cette amitié naissante, leur rencontre fut soudainement interrompue par l’arrivée impromptue d’un messager, et pas n’importe lequel. Il s’agissait d’un genin, comme eux, venu afin de remettre un nouvel ordre de mission à Yûsei, lequel n’eut d’autre choix que de se retirer de la mission actuelle. Au vu des circonstances, le Kaguya aux cheveux bleus prit de pitié pour son comparse de la Brume, et lui proposa de l’épauler à la place de ancien compagnon. Une proposition qui ne pouvait se refuser pour quelqu’un qui se retrouvait seul sur une mission en dehors des murs du village, une mission de rang B. Le danger n’était pas à exclure et il préférait être accompagné que laissé seul à lui-même, aussi hocha-t-il de la tête à l’égard de Bankichi qui était visiblement en train de profiter de son en-cas tandis que Yuudai le regardait avec un sourire benêt, une goutte de sueur coulant sur la tempe en considérant le ridicule de la situation. La légèreté avec laquelle il évoquait le sort funeste de ses cousines, dévorées par des Yôkai, tout en mastiquant énergiquement sa nourriture. Qu’est-ce qui avait pu motiver cette décision de remplacement par les autorités kirijines? Se demandait-il avant de lui répondre avec sa candeur caractéristique.

— On a pour mission d’enquêter sur les disparitions dans une région où vit un Yôkai. Il se trouve qu’il est vénéré dans un village, comme une entité divine, ou un être bienveillant qui leur apporte fortune et prospérité. Un Yôkai écureuil d’après nos informations. Mais connaissant les Yôkai et la propension de certains… à la violence, il est notre suspect numéro un, même si je pense que c’est plus compliqué que cela.

Un a priori biaisé dès le départ par son avis personnel sur ces êtres réputés pour être malveillants, il ne partageait pas cette opinion commune et préférait croire qu’on ne naissait pas mauvais, mais qu’on le devenait. Il en allait de même pour les hommes naturellement. Pas sûr que son coéquipier était du même avis cependant, il se retint donc de lui partager ce qu’il pensait vraiment afin de préserver le peu de cohésion d’équipe qu’ils pouvaient avoir.

— Le village de Manaka. Je ne sais pas du tout à quoi m’attendre là-bas. J’imagine qu’on le découvrira sur place. Son ton était décontracté, il s'étira un bon coup avant de se lever. Il se tourna vers la vieille dame qui était figée sur place.

— Manaka? La grand-mère l’interrompit en entendant le nom résonner jusqu’à ses oreilles. Elle s’approcha des deux Kirijins. C’est là-bas que vous allez? Yuudai hocha la tête. Le regard de la dame avait changé, on pouvait lire de l’inquiétude dans ses yeux, comme si elle venait de vivre un cauchemar. Je vous déconseille de vous y rendre, la forêt est protégée par un seigneur démoniaque, une créature qui protège la forêt qui entoure le village. Si un humain ose poser les pieds dans la forêt, celui-ci est capturé et puni par le démon, il les transforme en arbre et ordonne à ses esclaves humains de le découper. Des fois il les transforme en noisette avant de les manger, juste par plaisir.

Un seigneur démoniaque? Des esclaves humains? Mais de quoi parlait-elle? Une version des faits qui ne plaisait pas du tout à l’oreille du lutin bleu, lequel craignait que celle-ci ait une part de vérité. D’où tenait-elle donc de telles rumeurs? Il échangea un regard avec son partenaire de mission, un regard circonspect qui signifiait qu’il pensait que leur hôte n’avait peut-être pas toute sa tête, mais en même temps, elle était une de leurs seules sources d’information en prélude à leur arrivée au village de Manaka. Il s’avisa de questionner la crédibilité de la femme et la remercia pour l’accueil, préparant ses affaires en vue de reprendre la route. L’air plus distrait que d’habitude, il tentait de donner du sens à ce qu’il avait entendu plus tôt, n’ayant guère l’appétit pour manger le sachet de cerises qu’il tenait dans la main, il était muré dans son silence alors qu’il marchait aux côtés de Bankichi.

Tandis qu’il reprenait la route avec son nouveau compagnon de voyage, Yuudai réfléchissait sur les paroles de la vieille dame, notamment les informations qu’elle leur avait transmise sur le yôkai écureuil, s’il s’agissait bien de celui qu’ils recherchaient. A en croire celle-ci, le démon n’avait rien d’un bienfaiteur, et il aurait pris le contrôle de la forêt environnant le village où il était vénéré. Se pouvait-il que ces personnes le vénéraient contre leur gré? En étant sous l’emprise d’une technique de contrôle mentale? Cela rejoignait en tous cas ce qu’ils avaient appris lors de la lecture de l’ordre de mission. A la lumière de cette situation, le Kaguya avait déjà eu sa propre expérience des Yôkai, évoquant plus tôt la mort de certains des siens et maintenant les fameuses larves de Shinchu. Cela était rassurant de pouvoir compter sur quelqu’un qui s’était déjà mesuré à ces êtres démoniaques, la moindre expérience était bonne à prendre s’ils voulaient s’assurer de mener à bien la mission. Yuudai lui n’avait connu qu’un seul Yôkai dans sa vie, un Yôkai qui lui avait sauvé la vie avant de disparaître dans la nature. Depuis, il était curieux d’en savoir plus sur eux, déterminer si leur condition était de faire le mal ou si certains d’entre eux étaient capables d’être de nature bienveillante. Les doutes s’accumulaient dans l’esprit du jeune genin, des doutes qui le conduiraient inéluctablement à hésiter au moment opportun, quand son partenaire aurait le plus besoin de lui. Il serra le poing afin de se donner du courage, alors que son rythme cardiaque augmentait peu à peu à l’approche de la forêt, Bankichi lui suggéra un plan: installer des pièges afin de tendre une embuscade à la créature. Il demanda à en savoir plus sur ses capacités, et quel rôle il voulait se voir assigner. Mais son objection tenait davantage au traitement qu’ils allaient réserver à l’écureuil, plutôt qu’à réfléchir à comment le tuer.

— L’idée d’une embuscade est tentante, mais il faudrait nous assurer que le yôkai soit bien le responsable non? On peut essayer de le neutraliser d’abord, et essayer d’en savoir plus sur ce qu’il se passe dans le village où il demeure. Comme tu as dit, il ne doit pas être très dangereux si c’est un écureuil, et puis je suis sûr qu’à deux, on pourrait le maîtriser sans avoir à le tuer immédiatement. Il marqua un temps d’arrêt, comme si quelque chose venait de lui revenir à l’esprit. Et puis si l’histoire des civils transformés en arbres et noisettes est vraie, on aura peut-être besoin d’inverser le sortilège en gardant l’écureuil vivant? On ne sait jamais.

Bon, il était vrai qu’il ne parlait pas leur langue, mais avec un peu de chance ils arriveraient à communiquer et à se comprendre. Même si ne pas tuer le yôkai soulageait la conscience de Yuudai d’une certaine manière, il y avait des bonnes raisons de ne pas risquer de tuer celui qui était potentiellement le seul à pouvoir inverser la condition des paysans transformés, pour éviter qu’ils soient piégés de manière permanente.

— Je maîtrise des techniques Suiton et la modélisation de chakra pur. Je ne suis pas doué au corps-à-corps, je préfère me battre à distance avec mes techniques de ninjutsu.

Autant dire qu’il était inutile en première ligne, qu’il risquait d’être un fardeau plus qu’autre chose s’il était amené à combattre au corps-à-corps, aussi comptait-il sur son partenaire pour assurer ce rôle primordial dans la formation. On pouvait voir une forêt au loin, des arbres dont la cime s’élevait jusqu’aux cieux, un gigantesque dôme de feuillage coupé du monde extérieur. Ce lieu dégageait une aura mystique, de quoi faire frissonner le genin qui pouvait ressentir d’ici que quelque chose clochait, que l’atmosphère n’était pas naturelle. Une présence rôdait au sein de cette végétation dense et obscure, une présence qui le mettait mal à l’aise, l’impression d’être surveillé dès lors qu’il poserait un pied dans le sanctuaire. Yuudai s’arrêta de marcher, ses muscles s’étaient comme figé tout seuls, quand un sombre pressentiment s’abattit sur lui. Il ne pouvait se l’expliquer. Peut-être se faisait-il trop de mouron? Il laissa Bankichi ouvrir la marche quand ils pénétrèrent dans la forêt. Son regard tournait de gauche à droite, essayant d’anticiper la moindre menace qui pouvait surgir à tout moment. Il était loin d’être rassuré, mais il se consola en se disant qu’il n’était pas seul. Soudain, un bruit de feuillage se fit entendre dans un buisson à proximité, ce qui ne manqua pas de surprendre le genin inexpérimenté qui fit un pas en arrière tout en effectuant rapidement des mudrâs par réflexe. Il fit apparaître une aiguille aqueuse de sa bouche qu’il expulsa vers la touffe de feuilles. Aucune réaction, jusqu’à ce qu’émerge enfin un petit écureuil s’enfuyant sur ses petites pattes et courant vers un arbre plus loin. Le genin laissa échapper un soupir de soulagement.

— Ah, fausse alerte…

Il était loin de se douter que ce petit écureuil allait être le début de leurs soucis.

La frontière entre paranoïa et prudence était poreuse pour les deux ninjas de la Brume, marchant à l’aveugle dans une forêt. Ne disposant de rien d’autre que leurs sens pour les guider dans les méandres de la sylve nébuleuse, réagissant au moindre bruit à proximité. Ils avaient l’impression que le danger était partout. Heureusement, Yuudai pouvait compter sur la témérité de son partenaire lequel n’hésitait pas à marcher devant lui dans cette situation, étant donné qu’il était le plus à même de se défendre dans une situation de corps-à-corps. Cela rassurait le jeune genin surtout qu’il venait d’avoir une peur bleue en voyant le rongeur s’enfuir dans la broussaille, provoquant une chaîne d’événements qui n’étaient guère rassurante pour la suite. En effet, attaquer l’écureuil avait visiblement réveillé la faune et la flore environnante, ce qui avait pour conséquence de leur faire perdre l’effet de surprise sur d’éventuels ennemis. Pour ajouter à la maladresse de l’adolescent, Bankichi décida de crier une provocation à quiconque les observait depuis qu’ils s’étaient aventurés dans la forêt. Une manœuvre osée certes, mais qui avait aussi l’inconvénient d’indiquer leur position et de les rendre parfaitement vulnérables à une embuscade au milieu de la clairière où ils se tenaient à présent. L’ennemi pouvait se trouver dans n’importe quelle direction. Le cri tonitruant du guerrier des os retentissait dans le néant, on pouvait entendre l’écho de sa voix se propager au-delà de la clairière, jusqu’à faire s’envoler des oiseaux. Le craquement des branches, le bruissement des feuilles et les chants des oiseaux s’interrompirent soudainement, au point que les deux ninjas pouvaient entendre leur propre battement de cœur augmenter en intensité, leur respiration devenir plus soutenue. Il se mit dos à son partenaire afin d’élargir leur champ de vision, plongeant sa main dans sa sacoche d’armes pour en sortir un kunaï.

— C’est un petit peu trop calme, tu ne trouves pas?

Comme pour appuyer son propos, un mouvement se fit entendre dans le feuillage qui se trouve face à Yuudai, puis à sa gauche, à sa droite, et enfin… de tous les côtés. Ils étaient encerclés. Des silhouettes émergèrent de l’ombre. Des silhouettes humaines à l’apparence tout à fait normale. Des personnes qui n’avaient rien de menaçant puisqu’on pouvait reconnaître à leurs habits qu’il s’agissait de simples paysans. En regardant de plus près, on pouvait remarquer que leur tenue était déchirée et sale, une hygiène douteuse, des signes qu’ils n’avaient guère eu l’occasion de se doucher ou de se changer ces derniers temps. Depuis des jours voire des semaines. L’un d’entre eux leva les bras en l’air à la vue du Kaguya prêt à attaquer sur tout ce qui bougeait, un des inconnus (un homme bâti comme un bûcheron et avec une attitude de chef) prit la parole pour s’adresser aux deux aventuriers.

— N’attaquez pas s’il vous plaît! Nous venons en paix. Je vis dans le village de Manaka, nous nous sommes enfuis pour échapper à la malédiction qui a frappé notre village depuis des semaines. Nous sommes des fugitifs, mais impossible de quitter la forêt, maintenant que vous êtes entrés, il est trop tard pour en sortir, à moins d’éliminer la source.

— La source?

— Un Yôkai prenant l’apparence d’un écureuil. Cette forêt est devenue son domaine en même temps qu’une prison pour tous ceux qui y entrent. Les arbres bougent et impossible de trouver le chemin du retour.

— D’accord… Yuudai n’avait pas l’air convaincu par les propos sur la “forêt qui bouge”. C’était tout bonnement surréaliste. Un écureuil? Nous en avons croisé un tout à l’heure, mais il avait l’air inoffensif.

Le visage du paysan devint pâle à la mention de l’écureuil. Le reste des survivants échangent des regards paniqués, comme si on venait de leur annoncer une mort imminente. Avait-il dit quelque chose de mal?

— Ces… petits écureuils. Ce sont ses éclaireurs. Des yôkai inférieurs qu’il utilise pour surveiller la forêt et traquer les intrus. Ce sont ses yeux dans ce labyrinthe. Si vous en avez vu un, cela signifie que leur "maître" sait où vous vous trouvez à présent.

— Ah.

Au moins ils n’avaient plus à se soucier de ne pas avoir de sensorialité pour trouver la trace du yôkai, puisque celui-ci allait probablement venir à eux. Bonne ou mauvaise nouvelle, ils allaient bientôt avoir la réponse.

Une rencontre fortuite au milieu de la forêt. Des villageois expulsés et désespérés de retrouver leur bercail, un yokai aux intentions malveillantes, et ses petits serviteurs démoniaques qui avaient d’ores et déjà signalé leur présence. L’avantage de la surprise n’était plus de leur côté, mais ils avaient au moins déjà une piste sur laquelle avancer, à défaut de tâtonner sans savoir où aller. Ils avaient de la chance d’avoir croisé le chemin de ces paysans qui leur apprirent des informations sur l’ennemi, qui n’était visiblement pas dénué d’intelligence, loin de là, les écureuils remplissaient le rôle d’éclaireurs voire de petits soldats. Le Kaguya eut quasiment la même idée que Yuudai à l’exception qu’il comptait les éliminer sans laisser de quartiers, compte tenu de leur nature, mais cela ne s’alignait pas tout à fait avec l’esprit conciliant de l’ami des Yokais, lequel envisageait une approche moins violente. Il appréciait cependant que son coéquipier se montre enclin à écouter son avis plutôt que d’imposer son point de vue. Ce détail avait son importance car il démontrait un côté que la carapace dure et austère du guerrier Kaguya ne laissait guère transparaître d’habitude. Un sourire se dessina sur le visage candide de Yuudai, un sourire de reconnaissance. Car s’il n’était pas naïf au point de croire en un idéalisme pacifique, il avait conscience de ses limitations et il savait que la violence était inévitable avec beaucoup de ces êtres mystiques, mais il désirait ardemment les étudier, comprendre leur manière de penser et pourquoi pas, gagner leur confiance avec d’établir une relation d’intérêt mutuel.

— Si tu as faim, je ne peux pas t’empêcher de les tuer pour te nourrir. La nature est ainsi faite que l’homme doit chasser pour survivre. Mais j’aimerais essayer quelque chose avec les écureuils, pour voir s’ils peuvent nous conduire vers leur maître. Au pire si on leur fait peur ils fuiront peut-être en direction de leur territoire, qui sait?

Rien ne disait qu’il allait réussir, mais rien ne disait non plus que cela n’allait pas marcher. Alors autant essayer, et au pire, s’ils se révélaient trop dangereux, Bankichi pouvait toujours en faire son casse-dalle de l’après-midi. En attendant, ils se dirigèrent avec prudence vers la position du village, en suivant les consignes des fugitifs à qui ils recommandèrent de se réfugier tandis qu’ils tâchaient de régler la situation pour de bon et purger les lieux de la omniprésence de l’être maléfique. En effet, plus ils avançaient et plus ils se sentaient observer, et plus la forêt se faisait sombre. Les feuilles avaient perdu de leur couleur, et les broussailles laissaient de moins en moins passer les rayons du soleil, formant des zones d’obscurité, où l’on pouvait deviner la présence de petites créatures aussi discrètes que sournoises. Des yeux luisaient dans le noir, dans chaque buisson qu’ils passaient, comme si leur chemin était constellé de plusieurs paires d’yeux qui s’allumaient automatiquement au fur et à mesure pour les éclairer. Toujours sur ses gardes, la main sur son katana, Yuudai se préparait à réagir, au cas où un animal ou yokai surgissait de nulle part pour les attaquer par surprise. Les pupilles du genin se balladaient d’un arbre à un autre, puis balayait le sol de gauche à droite comme pour l’inspecter, en scruter les moindres recoins. Il cherchait quelque chose visiblement par terre, il se baissa pour ramasser une poignée de glands, les lança dans les airs avant de les rattraper avec dextérité, avec un air confiant.

— J’ai un plan! On va appâter l’un de ces écureuils avec un gland pour le capturer. Je vais placer le gland au milieu d’une clairière et on va se cacher pour encercler la zone et lui couper les issues ? Par contre, ils risquent de fuir au moment où ils nous verront donc on doit se montrer réactif. Après les avoir immobilisés, j’ouvrirai le dialogue avec eux.

A ces mots, Yuudai plaça un tas de glands bien en évidence au centre d’une clairière, une étendue d’herbe bien éclairée et sans arbre ou buisson pour s’y dérober. Il se mit en place à l’extrémité de la clairière afin de refermer le piège sur l’une des petites bêtes, ainsi il diminua sa signature chakratique de manière à être plus difficilement détectable par les yokai inférieurs.

L’initiative du plan venait de Yuudai, et malgré son rang de genin, il allait prendre la responsabilité de celui-ci, quitte à sacrifier le succès de la mission sur l’autel des principes. Il pouvait deviner que son comparse ne partageait pas sa philosophie, nulle âme qui vive à Kiri de manière générale, car la culture du village reposait entièrement sur l’extermination de ceux qu’ils considéraient comme de la vermine, et au mieux, des bêtes sauvages. Afin de mener à bien le stratagème, le chérubin aux cheveux turquoises décidait de placer les appâts au centre de la clairière, tandis que lui et le Kaguya iraient guetter l’arrivée d’un des petits sciuridés. Comme prévu, l’un de ces derniers pointa le bout de son museau en dehors d’une broussaille à proximité, prudemment, avant de sortir une patte, puis l’autre. Ce n’était pas un écureuil qu’on vit sortir du buisson, mais un buisson avec des pattes rousses, qui marchait quelques pas avant de s’arrêter, puis de reprendre, s’approchant peu à peu de sa destination afin de collecter son butin. Au milieu de la clairière, la présence du mini-buisson avec les petits yeux à peine dissimulés n’avait absolument rien de discret, bien au contraire, puisque cela marquait d’autant plus le contraste avec le reste de son environnement. Une scène ridicule qui laissa Yuudai sans voix. Pensait-il vraiment qu’on ne le voyait pas? Enfin, quand l’écureuil se mit à ramasser le premier gland pour le faire disparaître dans son feuillage, c’était le signal qu’il avait baissé sa garde. A ce moment précis, le genin sauta de sa cachette, les bras en avant, mais l’embuscade fut un échec car l’écureuil eut le réflexe de reculer, laissant son assaillant se ratatiner le visage contre le sol et attraper le vide.

L’effet de surprise s’était estompé, et le genin voyait sa proie s’enfuir dans la direction opposée, vers le village, l’obligeant à lui courir après. Une course poursuite qui ne fit pas très long feu, dans la mesure où le buisson sur pattes finit par s’arrêter après une dizaine de secondes. On entendait quelqu’un respirer bruyamment, tentant de reprendre son souffle mais il ne s’agissait pas de Yuudai. Ce dernier se retourna vers Bankichi qui avait une bien meilleure condition physique et qui ne présentait guère de signe de fatigue. Par procédé d’élimination, on devinait qu’il s’agissait de l’écureuil qui était complètement immobilisé.  Curieux, le genin retira le déguisement qui enveloppait complètement la petite créature, révélant alors un écureuil joufflu à bout de souffle, avec plusieurs types de fruits à coque  qui tombèrent au sol.  Cela expliquait pourquoi l’écureuil avait eu du mal à leur échapper, une chance que la gourmandise du frugivore lui ait coûté de se faire piéger par les deux shinobis, une aubaine qui leur épargnait d’errer de manière hasardeuse dans la forêt.

— On a des questions pour toi! Où est ton chef écureuil? Emmène-nous jusqu’à lui! Le ton de Yuudai se voulait relativement autoritaire, bien que cela n’avait rien de très intimidant compte tenu de sa voix d’enfant.

Toutefois, l’écureuil ne l’entendit pas de cette oreille et rétorqua d’une voix digne d’un baryton, sur un registre familier qui n’avait absolument rien d’adorable.

— Tais-toi morveux, laisse-moi partir ou je vais t'étriper et massacrer toute ta famille.

Marquant un temps de pause, Yuudai passa de la surprise à l’agacement, attrapant le gros écureuil par la queue et le tenant à l’envers, le secouant à plusieurs reprises afin de lui faire cracher le morceau. On pouvait voir que la petite créature n’appréciait pas cette session de torture, même si cela pouvait sembler amusant et ridicule d’un point de vue extérieur.

— Hé! Qu’est-ce que tu fais! Stop! L’inoffensif incapable de lutter contre des forces qui le dépassaient tourna son attention vers Bankichi qui était juste derrière son coéquipier, le suppliant de lui venir en aide. Hé! Toi, arrête-le, tu veux?

L’attrape-nigaud avait permis aux deux complices de piéger un scuridé ventripotent mais qui n’avait la langue dans sa poche, pour cause, il ne se priva pas de faire comprendre au genin qu’il avait l’intention de massacrer sa famille s’il ne le laissait pas repartir. Quoique les menaces n’étaient pas tombées dans l’oreille d’un sourd, il n’était aucunement en position de négocier sa libération face à deux shinobis originaires de la Brume, un village qui formait ses ninjas de manière à ne craindre aucun danger quel qu’il fût, ils n’allaient donc pas s’abaisser aux menaces creuses d’un rongeur aux rétorques acerbes, encore moins à celles d’une créature trop corpulente pour s’échapper. Si la scène avait de quoi mettre les deux ninjas dans une situation peu propice à être décrite dans leur rapport de mission à la Mizukage, il n’en demeurait pas moins que leur échange avec leur otage était crucial à l’accomplissement de leur objectif, à savoir d’identifier la cause du mal qui sévissait dans la région. Car à en croire les dires des habitants qu’ils avaient croisé plus tôt dans la forêt, un yôkai à l’apparence d’écureuil régnait en maître et menaçait la paix dans les alentours, il était sans l’ombre d’un doute à l’origine des récentes disparitions. Alors il leur fallait se rapprocher de la source, quitte à entreprendre des moyens peu conventionnels pour obtenir les réponses à leurs questions.

A la manière douce du chérubin succéda la rudesse intimidante du Kaguya qui sans montrer la moindre fibre de compassion à l’égard du petit mammifère, lui expliqua en des termes simples que sans sa coopération, il avait bel et bien l’intention de faire de lui son prochain encas. Et l’appétit vorace de son partenaire était déjà bien ancré dans l’esprit du candide qui comprit qu’il n’hésiterait pas à mettre ses menaces à exécution, et qu’il ne s’agissait pas vraiment d’une métaphore ou d’une figure rhétorique, mais bien d’une affirmation, car son clan n’était pas vraiment connu pour faire dans l’humour, ils étaient bien ceux qui avaient mis en place l’examen genin le plus mortel que le monde ninja ait connu. Laissant la magie s’opérer, l’écureuil semblait avoir changé complètement d’attitude avec la méthode radicale du guerrier des os, surtout après que celui-ci lui ait apposé un parchemin explosif sur le dos, de quoi étouffer toute fourberie de sa part tandis qu’il menait la marche pour emmener le duo vers le domaine de son maître. La réaction de Yuudai face à la diplomatie Kaguya était à la fois empreinte d’admiration et de peur, il se disait intérieurement qu’il était content de les compter au sein de sa faction plutôt qu’en tant qu’ennemi.

Quelques minutes plus tard, ils arrivèrent à l’entrée d’un village complètement silencieux et visiblement déserté, leur guide s’arrêta avant de se retourner.

— On y est. Suivez ce chemin et vous arriverez dans le grand Hall, c’est le bâtiment du chef de village et c’est là qu’il s’est installé avec une garde rapprochée. Maintenant, je peux y aller?

Après quelques secondes de réflexion, Yuudai échangea un regard avec Bankichi comme pour lui faire comprendre son intention, accepta de lui ôter le parchemin explosif et le laissa s’enfoncer dans la forêt jusqu’à disparaître de leur champ de vision. Il pensait avoir fait ce qui était juste, après tout, l’écureuil avait tenu parole. La violence gratuite ne faisait pas partie de son répertoire même s’il aimait beaucoup la baston, ce n’était jamais malveillant mais plutôt pour s’amuser, ce qui le rendait peut-être encore plus sadique d’une certaine manière?

— Comment veux-tu que l’on procède Bankichi-san? Tu as accepté mon plan, maintenant je vais suivre le tien.

Allait-il regretter ces paroles? Peut-être bien. Tandis qu’ils planifiaient leur prochaine manœuvre, on pouvait entendre des bruits provenant du grand bâtiment identifié comme le grand Hall.

Quand vint le moment de marcher vers la tanière des sciuridés, le chérubin déglutit à l’idée de se confronter à une armée de ces êtres aussi démoniaques qu’ils étaient rusés, laissant le shinobi sceptique quant à la perspective de les vaincre par la force seule, il leur fallait compter sur une approche plus subtile. Fébrile mais résolu, il endossait le poids de ses principes, ceux-ci reflétaient sa vision du monde aux antipodes de la doxa, son idéal selon lequel que rien ne justifiait de leur montrer un semblant de clémence et pourtant, il s’évertuait à croire au fond de son être qu’ils avaient tout à gagner à montrer de la patience. Et de la patience, son partenaire de mission en fit preuve tout le long de leurs épreuves dans la forêt, probablement pour mettre le genin au défi, et le convaincre qu’il était peine perdue de poursuivre dans la voie de la diplomatie. Car la violence était la réelle mère de sûreté quand la rhétorique échouait à résonner dans les cœurs corrompus de l’engeance que le village de la Brume avait pour coutume d’exterminer. Il pouvait ressentir à quel point le Kaguya contenait ses propres pulsions meurtrières pour ne pas le froisser, et il se sentit reconnaissant à son égard. Par un accord tacite, il avait accepté cette gageure afin de prouver qu’il avait raison de prôner la défense des yôkais, êtres incompris et méprisés, quoiqu’il n’ignorait pas qu’il existait parmi eux des êtres si maléfiques que rien ne pouvait les faire basculer vers une possible cohabitation avec l’humanité.

— Merci de me faire confiance…

Mais trêve de divagation, il était temps de pénétrer dans l’antre et mettre un terme au mal qui frappait la région, et cela commençait par identifier celui qui avait réussi à soumettre toute une communauté d’hommes et de femmes avant de les chasser de leur propre lieu de vie. Qui pouvait bien être aussi puissant pour accomplir un tel exploit? Ils allaient bientôt avoir leur réponse, quand le Kaguya décida de pousser la porte du bâtiment d’une manière délibérément sèche, afin d’attirer les regards de ceux qui se trouvaient dans la pièce. Au moins, le genin avait désormais leur attention et s’avançait timidement à l’intérieur, ses pas résonnant jusqu’aux marches qui le séparaient du fameux trône entièrement composé de noisettes. Huit gardes, des écureuils qui tenaient debout comme celui qu’ils avaient croisé plus tôt, mais plus grands, plus forts et plus menaçants. L’alpha de la meute n’était autre qu’une créature humanoïde portant une armure royale semblable à celle d’un chef de guerre, une magnifique cape rouge et un cimeterre d'acier au halo démoniaque capable de fendre la terre. Trois mètres de muscle qui lui permet de toiser l'ensemble de son audience et dégager une aura incroyablement puissante. Le regard carnassier de la bête à la crinière noire de jais les fixait avec répulsion d’abord de voir ces êtres pestilentiels faire intrusion dans sa demeure, mais son instinct omnivore reprit finalement le pas.

Spoiler:

— Regardez-moi ça, des nouveaux morceaux de viande qu’on nous amène, ils sont frais et prêts à être dégustés. Ne les abîmez pas trop, cela risque de gâcher le goût, d’accord?

Les sbires se mirent à encercler la position de Bankichi et Yuudai, quand ce dernier fit un geste de la main pour les interrompre.

— Attendez! Nous sommes là pour conclure un marché! Il éleva davantage la voix, gonflant les poumons. Nous vous mettons en demeure de quitter les lieux car ils ne vous appartiennent pas et rétablir la forme humaine aux villageois que vous avez transformé, et en retour, nous accepterons de vous laisser partir sains et saufs!

Le roi des écureuils se tut avant de se tourner vers ses serviteurs qui se montrèrent également stupéfaits. Après quelques secondes, une cacophonie de fou rire s’échappa de leurs mâchoires déployées alors que d’aucuns se roulaient à terre, d’autres en étaient presque à s’étouffer. Le genin comprit qu’il n’avait pas affaire à des êtres doués de raison, tout au plus des bêtes sauvages qui ne pensaient qu’à une chose, vociférer des menaces et dévorer leurs proies, semer la peur et la désolation. Il se tourna vers son supérieur, assis sur sa majestueuse monture, haussant des épaules comme pour exprimer sa propre confusion. Avait-il dit quelque chose de drôle? Ou avait-il manqué le contexte de la situation? Tandis qu’il laissait le groupe d’écureuils se calmer, le duo de Kirijins pouvait également ressentir une présence pesante, invisible et mystique, qui les observait continuellement depuis qu’ils avaient fait irruption dans le grand hall. Mais ils n’eurent guère le temps de d’investiguer cette mystérieuse présence que la cohorte de sciuridés armés jusqu’aux dents se mirent à charger vers Yuudai, lequel se trouvait en première ligne, et qui commençait à composer ses mudrâs mais trop lentement pour arrêter le javelot qui arrivait sur lui et menaçait de l’embrocher.  

La diplomatie montra ses limites pour le gringalet qui constata la désillusion de voir son discours balayé d’un revers de la main, face à la cohorte de souriceaux qui ne trouvèrent rien d’autre à lui répondre que de la raillerie et du dédain. Son approche se heurta à de l’incompréhension, cette pierre angulaire de sa relation avec les Yokai s’était étiolée à cet instant où son mentor lui présenta la réalité dans son aspect le plus prosaïque et cruel. Le volubile soldat de la Brume se confronta à la crainte de voir ses principes remis en question, quoiqu’il portait en son for intérieur l’espoir irréductible de renouer un véritable rapport avec les scions d’Izanagi. Relégués par l’humanité au rang de monstres et d’ennemis, les démons étaient-ils mauvais par nature pour autant? Rien n’était moins sûr dans l’esprit du jeune bourgeon dont le regard balaya les corps gisants sur les marches qui les séparaient du glorieux trône du scuridé alpha, se tenant de manière stoïque du haut de sa taille pachydermique et son armure rutilante. Son cimeterre acéré le rendait d’autant plus menaçant. A ses côtés, deux de ses subordonnés survécurent malgré la salve meurtrière opérée par le Kaguya, lequel avait profité de l’effet de surprise pour leur infliger une attaque décisive et adéquatement exécutée. Le duo de survivants se caractérisaient par une aura différente du reste de leurs camarades tombés au combat. La manière dont ils avaient réussi à mettre en échec l’assaut du Kaguya consistait soit à dévier les projectiles soit les esquiver complètement.

— Peut-être qu’ils ne m’ont pas bien compris, peut-être que… Il se cherchait une explication pour l’échec du pourparlers.

Le premier écureuil portait une longue robe de sorcier, les paupières fermées il avait les mains jointes, il avait réussi à former à une vitesse ahurissante un bouclier de chakra transparent absorbant tous les projectiles arrivant sur lui.  Sa capuche lui conférait un air mystérieux et teinté de religiosité, sa fourrure de neige immaculée suggérait que ses précédents adversaires n’avaient jamais réussi ne serait-ce qu’à effleurer son corps.
Le second écureuil était quant à lui pourvu d’une longue queue rousse, plus longue que ses comparses, lui permettant de se tenir en hauteur et hors de portée des projectiles. Il retomba sur ses deux pattes inférieures, avec une agilité simiesque et en position accroupie, il balançait son regard à gauche et à droite, examinant l’étendue des dégâts. Un soupir fendit ses lèvres alors qu’il se redressa en plongeant son senestre dans une poche de son gilet de cuir, le malandrin fit apparaître des glands entre les doigts.

— Des glands ? Pour quoi f-…

Yuudai eut aussitôt sa réponse lorsqu’un des akènes effleura sa joue, et ses yeux s’écarquillèrent à la sensation d’un liquide chaud perlant de la plaie. Touchant celle-ci avec son index, il constata qu’il avait parlé trop vite, encore une fois. Tandis que les coups de dague de la salamandre se frottaient à la protection sans faille du manieur d’arts mystiques, formant un glyphe face à lui absorbant chaque impact sans présenter pour autant le moindre signe de fêlure ou de fébrilité. La muraille était impénétrable, et protégeait également ses alliés.
Dans un même temps, le jongleur se mit à envoyer une tempête de projectiles qui ricochèrent face à l’égide chakratique formée in extremis par le genin. Ainsi, des deux fronts, les défenses se révélèrent capables de supporter les assauts adverses, mais il était probable que l’endurance de Yuudai serait un handicap dans cette guerre de position. Ils étaient maintenant face à deux sbires particulièrement talentueux et un chef de guerre retranché qui les poussait jusqu’au dernier souffle, le combat commençait vraiment désormais.

Pour atteindre le chef, ils n’avaient d’autre choix que de marcher sur les corps inertes de ses subordonnés.