Spoiler:

Des chuchotements par ci, des regards par là. Les échanges entre collègues et les conversations de bar étaient bien plus animés que d’habitude aujourd’hui. Puisque les nouvelles allaient bon train, et l’inquiétude grandissait dans les cœurs des habitants qui se relayaient la terrible information: un diplomate étranger avait été assassiné! Et pas par n’importe quel moyen. La Brume Sanglante avait de nouveau frappé. Même si les règlements de compte par la brume sanguinaire étaient devenu monnaie courante, ce n’était pas tant la victime du meurtre ou sa brutalité qui intriguait les curieux, mais la motivation derrière celui-ci. Donner une motivation à la brume, c’était comme la personnifier, lui donner sa propre personnalité, mais comment ne pas céder à cette tentation quand toutes les victimes jusque-là partageaient le point commun d’avoir agi contre les intérêts du village. Car oui, ce qui troublait les habitants, était bien le fait que cette victime-là n’avait jamais affiché d’intention antagoniste ou ne serait-ce que négative envers la Brume. Les théories complotistes fusèrent dans tous les sens. D’un côté ceux qui pensaient que ce n’était pas la Brume Sanglante qui avait commis ce meurtre, d’autres envisagèrent que l’ensemble des meurtres étaient d’origine humaine et que celui-ci était la preuve que le village de Kiri était derrière toutes ces manigances, car après tout l’erreur était humaine. Ou encore, c’était peut-être une tentative pour semer la confusion dans les esprits, mais alors qui pouvait bénéficier le plus de ces événements?

Yuudai lui, ne savait pas quoi penser de toutes ces rumeurs. Quand il accepta sa mission, il n’était guère très au fait des dernières enquêtes sur ce phénomène propre au village. Il avait ses propres obsessions, ses propres projets. Devenir ninja n’était pas pour lui une fin en soi, mais un tremplin pour son développement personnel. Il espérait avoir une mission sur des Yokai, mais soit, une mission de rang B apportait plus de sous que d’habitude, alors il n’allait pas s’en plaindre. Sa première pensée en lisant la missive était qu’il serait pertinent d’enquêter sur les opinions de ce diplomate étranger à l’égard de Kiri, voir si cela coïncidait bien avec l’inimitié des précédentes victimes pour le village. Sait-on jamais, peut-être y avait-il désinformation au sujet de ses opinions politiques, et que leur mission était biaisée dès le départ? Il devait aussi valider que la description du corps de celui-ci corresponde à celui des autres victimes de la Brume Sanglante, pour cela il fallait conduire une autopsie. Après avoir donné rendez-vous à ses coéquipiers, il se rendit donc d’abord à la morgue afin d’en savoir plus sur l’état du cadavre, avait-il essuyé les mêmes blessures, la fameuse “chair fondue”? Cela leur permettrait d'en avoir le cœur net pour la suite de leur investigation. Les lieux étaient aussi glauques que l’image qu’il s’en faisait dans son esprit, il attendit ses partenaires avant d’entamer les observations. Il se tenait à côté de la table d’opération, tandis qu’un agent de la morgue se préparait à lever une bâche sur le cadavre qu’on devinait en-dessous. Appuyant ses mains derrière la tête, le jeune insouciant se présenta, en employant un ton un peu trop guilleret au vu de l’austérité de l’endroit. Un moyen sûrement de compenser le sérieux de la situation et alléger l’atmosphère très pesante qui se dégageait déjà.  

— Bonjour! Je suis Yuudai, enchanté de faire votre connaissance! J’espère qu’on va faire du bon travail ensemble. Un sourire amical histoire de briser la glace.

La messe étant dite, il était temps de découvrir l’état du corps du diplomate étranger, le reconnaîtraient-ils seulement? Il regrettait un peu d’avoir mangé quelques minutes avant, s’il devait vomir à la vue de la chair fondue, cela ne laisserait guère une très bonne impression à ses collègues. Pourquoi fallait-il qu’il mange dans un restaurant de fondue juste avant?

Entre les odeurs de putréfaction et l’image du corps en lambeaux de chair fondue, il regrettait effectivement d’avoir mangé au restaurant plus tôt. Si bien qu’il sentit l’acide gastrique de son corps remonter mais se retint aussitôt, la main devant la bouche et tournant le regard discrètement tandis que ses collègues semblaient plongés dans leurs pensées respectives. Avec un peu de chance, personne ne l’avait remarqué. Ce n’était pas le genre de réaction que l’on attendait d’un ninja de Kiri, il leur fallait montrer un sang-froid de tous les instants. Observant tour à tour les réactions de ses collaborateurs, l’aîné de la bande se présenta sous le nom de Utari du clan des marchands. Il avait l’air d’être un chic type, quoique son regard brûlant d’intensité avait quelque chose d’intimidant. Yuudai acquiesça dans sa direction, celui-ci se parlait à lui-même vraisemblablement quand il évoqua les jeunes soldats de la Brume qu’on sacrifiait sur l’autel du devoir, sous-entendant que cela allait changer plus tard. Était-il en présence d’un révolutionnaire? D’une certaine manière, lui aussi avait pour dessein de changer les mœurs à Kiri, mais il s’agissait davantage de changer l’opinion des gens vis-à-vis des Yokai. Mais ce n’était pas le genre de chose qu’il pouvait déclarer haut et fort dans les rues, sous peine de passer pour un aliéné défendant une cause perdue.

— Monsieur le légiste! Il prit une voix pure et innocente. Par “Pays de la Neige”, vous voulez parler de Tetsu non? Au risque de donner cette image typique de l'élève fayot qui posait trop de questions, il savait qu'au fond sa question était pertinente. En effet, Tetsu était le seul pays qui semblait correspondre à cette description, sauf que Tetsu était appelé le pays du Fer et qu’il était réputé pour y neiger constamment.

Le dévoilement du corps décharné, les informations apportées par le légiste sur l’identité de la victime, tout se mélangea dans la tête de Yuudai alors qu’il emboîta le pas du deuxième compère qui les amena sans dire mot vers une pièce contiguë à celle dans laquelle ils se trouvaient. Le garçon avait beau l’air d’être plus jeune que lui, il le dépassait en taille, ce qui était typiquement le cas de tous les gens qu’il croisait. Au-delà de ce constat évident, il prêta une oreille attentive à ses propos, tandis qu’il leur expliquait ses conclusions sur ce qu’ils venaient de voir plus tôt. Une analyse qui sonnait comme un air de déjà-vu pour le genin qui révéla plus tard qu’il était un utilisateur du Futton: qui de mieux qu’un manieur du Futton pouvait déceler aussi aisément la présence du ninjutsu? C’était une découverte intéressante et qui avait déjà de quoi rétrécir le champ des possibles pour les détectives en herbe. Yuudai adressa un simple sourire empli de sincérité à l’adolescent qui avait eu l’honnêteté de leur révéler cette information qui allait se révéler vitale pour la suite de leurs recherches.

— Merci d’avoir été honnête avec nous! Si tu as reconnu des traces d’acide issus du Futton, cela nous aide beaucoup. Affichant une moue pensive, il semblait avoir une idée derrière la tête. Je te rejoins totalement sur les trois options, mais cela implique que nous devons cumuler plus d’informations afin de percer cette affaire. On pourrait aller dans le quartier des émissaires étrangers, interroger ceux qui étaient liés de près ou de loin à la victime. Ou bien, nous rendre directement sur le lieu du crime, je pense que c’est notre priorité si on ne veut pas que certains indices soient effacés entre temps ou que les témoins oublient des détails importants. On pourrait se disperser pour gagner du temps, mais cela voudrait dire qu’on se rendrait sur chaque lieu sans avoir toutes les informations en tête, autant y aller tous ensemble non?

Après avoir entendu les avis de tout un chacun, il passa une dernière fois devant le corps calciné du dignitaire étranger, gisant encore sur la table d’opération. Aucun trait distinctif visible si ce n’est son badge indiquant son allégeance Il se retint de vomir une dernière fois lorsque les odeurs nauséabondes lui remontèrent jusqu’aux narines, il ouvrit la marche vers la sortie, plein d’entrain et d’insouciance, il avait hâte d’arriver au fin mot de l’histoire. Malgré lui, il laissa échapper un bâillement pendant qu’il marchait jusqu’au lieu du restaurant. C’était sans doute les retombées de ce qu’il avait mangé plus tôt, et que son corps avait besoin de temps pour digérer. Raison de plus pour se dépêcher de conclure cette enquête et d’aller piquer une sieste!

—  Oryudon, j’ai jamais mangé là-bas! Vous connaissez, vous?

Une question pour faire la conversation, et faire connaissance aussi peut-être? De toute manière, ils avaient toute la journée devant eux.

Sans surprise, les mots de Yuudai résonnèrent dans le vide abyssal qui le séparait de ses coéquipiers. Il regarda d’abord le solitaire prendre son envol sur sa créature d’encre en leur laissant méditer sur ses paroles obscures de personnage mystérieux — il était visiblement un amoureux des animaux et ça tombait bien lui aussi, tandis que le plus jeune de la bande semblait trop plongé dans son esprit pour faire attention à la question de son camarade (sûrement encore en train de décrypter le message des “petites souris”. Le lutin bleu laissa échapper un soupir nonchalant, étirant ses bras tandis qu’ils arrivaient jusqu’au restaurant, le lieu où le crime s’était manifestement produit. Naviguant entre les tables en marchant d’un pas guilleret, il marchait non sans nonchalance jusqu’à une rangée de tabourets alignés face au comptoir. D’un accord tacite, il laissa son partenaire à sa propre inspection tandis qu’il demeurait à l’intérieur en accordant une oeillade prospecte à l’attention des différentes personnes d’intérêt présentes dans la salle, allant des serveurs au cuisinier, cherchant à identifier leurs idiosyncrasies respectives, jusqu’à leurs micro-expressions, un pli du visage, un sourire ou un regard fuyant, le moindre indice trahissant la nervosité. Enfin, du moins c’était ce qu’il espérait accomplir en imitant les enquêteurs des histoires policières, il n’avait rien d’un expert en affaires criminelles, aussi se contenta-t-il de scruter tout le monde de manière intense et se donner un air sérieux.

— Peut-être que vous pouvez m’aider… Il plissa les yeux en fixant son interlocuteur. Un verre de lait s’il vous plaît. Froid de préférence.

Oui du lait, pour lui permettre de digérer son déjeuner de tout à l’heure.

— Avez-vous été témoin de la scène lorsque le crime s’est produit? Une phrase classique d’investigateur en herbe qu’il était fier de prononcer pour la première fois en situation réelle.

— Non.

Cela avait le mérite de lui faire gagner du temps. Qu’à cela ne tienne, Yuudai se leva de son siège et marcha en direction de la sortie pour délivrer son rapport exhaustif à ses coéquipiers, jusqu’à ce qu’il soit arrêté au seuil de la porte.  

— … mais l’un de mes employés a disparu ce matin, avec un message... inhabituel. Je ne sais pas si c’est lié à cette sordide affaire.

Un retournement dramatique comme il les aimait. Un employé disparu, un meurtre non élucidé, une Brume sanglante qui tuait à l’aveugle, des jeunes pousses à qui on confiait une enquête avec des enjeux de grande importance, rien n’allait plus dans ce village. L’enfant sauvage se retourna vers son interlocuteur, montrant un air intrigué et lui demandant de plus amples informations sur le serveur disparu en question. Sa dernière apparition remontait à ce matin-même, soit le lendemain du meurtre. Le jeune homme pourtant si ponctuel et travailleur s’était retiré précipitamment ce matin en laissant penser d’abord qu’il avait été bouleversé par les événements de cette nuit fatidique. Mais ce n’était pas tant son absence au travail que le message laissé derrière sans donner d’autres explications qui avait semé le doute dans son esprit: à la surprise générale, il avait décidé de démissionner de son poste. Il y avait certes anguille sous roche et pour détective Yuudai, il n’y avait qu’une seule vérité. On pouvait lire l’inquiétude sur les regards de ses collègues lesquels lui confièrent qu’ils ne l’avaient plus vu de la journée. Une étrange coïncidence, qui ne pouvait être expliquée seulement par le choc d’avoir appris la mort d’un client. Un lien peut-être entre la victime et le serveur disparu? Yuudai avait un mauvais pressentiment. Il y avait certainement une raison sous-jacente à un tel comportement qui ne pouvait être qualifié que par de la panique, de la peur. La peur de répercussion, la peur de conséquence. Mais pourquoi aurait-il peur? Pourquoi aurait-il à fuir des conséquences? Remuant ces questions dans sa tête, le genin termina son rafraîchissement, avant de reprendre la route, il rejoignit Yûsei pour lui faire part de sa découverte. Il l'informa qu'il se rendrait vers l'appartement du serveur disparu.

Il avait passé l’appartement au peigne fin, tout ce qu’il avait trouvé n’était que des cigarettes écrasées et des boîtes de ramen vides, un lit complètement défait, la vaisselle sale datant de plusieurs jours, le cliché de l’appartement qui ne disait rien qui vaille. Les sens de détective de Yuudai en éveil, la main caressant son menton aussi lisse qu’une peau de bébé, il tentait de mettre de l’ordre dans ses idées à défaut de faire le ménage dans cette pièce désordonnée. Tout était sens dessus dessous, qu’est-ce que cela voulait bien pouvoir dire? Il s’asseyait sur une des chaises qui n’étaient pas renversées, son regard louvoyant entre les différents éléments à sa disposition: tout d’abord, ce qui l’interpellait, c’était la présence de ryôs sur la table… Dix billets de 100 ryôs… pour un total de 1000 ryôs. S’il était parti de son plein gré, pourquoi serait-il parti sans prendre cet argent? On aurait dit qu’il était en train de compter son argent et qu’on l’avait interrompu au milieu de son calcul. Parce que même s’il était parti dans la précipitation, il aurait été impossible pour lui de manquer tout cet argent sur la table, en évidence… Cela signifie que quelque chose s’était passé, il n’y avait aucun doute. Mais aucune trace de sang, ni d’affrontement. Cela contre-disait déjà la théorie qu’il ait été attaqué dans son propre appartement, à moins que… Le travail ait été fait par un professionnel. C’était la seule explication. Alors… Cette mission était bien plus dangereuse qu’il ne le pensait. Plongé au milieu de sa réflexion, il entendit la porte grincer derrière. Un son qui le fit bondir de sa chaise et sortir un kunaï de sa sacoche, il l’envoya dans un geste réflexe en direction du bruit. Heureusement, la précision du lancer laissait à désirer et le projectile se planta dans la porte à demi ouverte, à quelques centimètres à la hauteur du visage de l’inconnu qui venait de pointer le bout de son nez. Le cœur du genin battait à toute allure, ses yeux grand ouverts trahissaient clairement un mélange de panique et d’hostilité: il venait de conclure que la mission impliquait un assassin particulièrement doué et il craignait que celui-ci retournât sur le lieu du crime pour éliminer tout risque de remonter sa trace.

Sortant un nouveau kunaï de sa sacoche d’armes ninja, il la pointa en direction de l’inconnu qui en regardant plus en détail, paraissait bien jeune et innocent pour être un assassin. Mais il ne fallait pas oublier qu’ils étaient à Kiri, l’assassinat c’était une discipline traditionnelle comme les autres à l’école des ninjas, c’était comme apprendre les arts plastiques ou les mathématiques pour un civil. Alors il n’était pas exclu que le garçon face à lui fut un assassin surdoué entraîné à l’art de tuer depuis qu’il est sorti du ventre de sa mère, qu’il a été engagé dans une unité secrète afin de se sentir redevable envers son père adoptif qui était en fait le chef des assassins et qui l’a élevé comme son fils justement parce qu’il voyait en lui un successeur, et qu’il l’avait donc entraîné avec beaucoup plus de poigne que le reste de ses disciples pour qu’il soit à la hauteur et surpasse tout le monde, qu’il devienne le meilleur de tous les assassins, afin de se venger finalement de celui qui avait tué ses parents biologiques. L’imagination débordante de Yuudai lui jouait des tours, tandis qu’il fixait des yeux l’inconnu avec la voracité d’un rapace étudiant sa proie, quoique les rôles étaient probablement inversés dans ce cas-là et qu’il n’avait aucune chance de s’échapper. Ici c’était plutôt la bête sauvage au pied du mur qui n’avait d’autre choix que de lutter pour sa survie. Allait-il mourir ici? Alors qu’il s’agissait de sa toute première mission? Il espérait au moins gravir les rangs de la Brume, découvrir ses origines, trouver qui se cachait derrière le Yôkai qui l’avait sauvé des griffes de la mort ce jour-là… Mais tout cela n’avait pas de sens s’il se faisait tuer ici pas vrai? Son souffle rapide s’interrompit lorsque l’inconnu prononça son nom. Comment le connaissait-il? Avait-il déjà autant de temps d’avance sur lui? Décidément, il était face à un ennemi incroyablement intelligent et fort, il n’avait aucune chance. Son heure avait donc sonné, un instant l’idée de se rendre lui traversa l’esprit, un moment de faiblesse qui dénotait son attachement à la vie. Un sentiment passager qui s’éclipsa dès lors qu’il se rappelait de son allégeance envers la Brume, le village où l’on côtoyait la mort à partir de l’examen genin.

— Je ne sais pas comment vous connaissez mon nom, mais je ne vous rendrai pas la tâche facile. Vous ne m'aurez pas vivant vous m’entendez? VOUS NE M'AUREZ PAS VIVANT !!

Quelques minutes plus tard, une fois que le malentendu fut corrigé, Yuudai lui expliqua ses découvertes et lui fit un résumé de l’ensemble de la mission, après quoi il s’excusa un peu gêné pour sa réaction de tout à l’heure:

— Heu désolé je t’avoue que je ne m’attendais pas à recevoir des renforts à l’improviste comme ça, c’est un plaisir de rencontrer un nouvel ami! … je veux dire un nouveau partenaire de mission! Cela m’intrigue que Utari et Yûsei ne soient plus de la partie, tu penses qu’ils ont été… ? Il fit un “couic” au niveau de son cou comme pour suggérer qu’ils avaient peut-être été éliminés par le fameux assassin. N’hésite pas à examiner la pièce et tirer tes propres conclusions. Son ton était maintenant beaucoup plus chaleureux et jovial, en contraste complet avec leur premier contact.

Heureusement, le quiproquo ne semblait pas avoir plus troublé que cela son nouveau partenaire de mission qui au contraire, exprimait le fait qu’il comprenait tout à fait qu’il l’ait attaqué sans crier garde. Après tout, ils se trouvaient dans un village réputé pour ses assassinats et la mort était une vieille amie qui pouvait frapper à la porte à tout instant. Plus de peur que de mal, Yuudai avait complètement changé d’expression depuis qu’il avait compris qu’il n’avait pas face à lui un ennemi qui voulait sa peau, mais un genin tout comme lui qui cherchait à l’aider dans son enquête. Il apprenait en même temps que ses anciens partenaires avaient abandonné la mission pour des raisons que Ryôta ignorait également, au moins ils n’avaient pas été tué par le responsable de ces atrocités, c’était le principal. Il n’avait donc plus de raison de lever sa garde en présence du garçon qui paraissait tout aussi jeune que lui, un ninja en devenir fraîchement recruté dans les rangs de la Brume et qui avait encore tout à prouver. C’était rafraîchissant de pouvoir parler avec quelqu’un de moins… lugubre que les camarades qu’il avait rencontré jusque là, il avait l’air plutôt sympathique! Et puis Yuudai n’eut guère besoin de se répéter quand il lui fit le topo de l’investigation, il avait l’air de comprendre rapidement les tenants et aboutissants de la mission, notamment les enjeux qui demandaient qu’ils résolvent le mystère derrière ce meurtre qui ne correspondait pas aux critères habituels de la Brume Sanglante. Le diplomate assassiné ne semblait aucunement hostile envers Kiri, ni ouvertement ni de manière plus officieuse. D’où la nécessité pour les autorités de missionner des ninjas pour avoir le fin de mot de l’histoire et faire taire les rumeurs pour de bon.

Et le serveur disparu depuis ce matin, ils conclurent l’un comme l’autre qu’il était lié d’une certaine manière à cette sordide affaire, même s’il était impossible pour l’instant d’affirmer son rôle ou de prouver quoi que ce soit. Le timing de sa disparition avec la mort du diplomate était trop parfait pour qu’ils ne soient pas liés en tous cas, c’est pourquoi ils soupçonnèrent qu’en retrouvant la trace de celui-ci, ils pourraient remonter au responsable du meurtre. Un meurtre d’origine humaine, et non en raison d’un phénomène surnaturel. Yuudai écoutait attentivement les hypothèses émises par son compatriote, qui avait remarqué comme lui la liasse de billets sur la table que le propriétaire de l’appartement avait laissé avant de disparaître mystérieusement. Il était d’accord que quelque chose s’était passé pour que celui-ci n’ait pas le temps de récupérer son argent, quelque chose d’assez sérieux ou urgent pour qu’il laisse derrière lui une telle somme, modique certes, mais une somme tout de même. Il fut soudainement coupé dans sa réflexion par le Kaguya qui avait visiblement une ouïe plus fine que lui, puisqu’il l’alerte sur une présence qui s’approchait petit à petit de leur position. Yuudai acquiesça de la tête et fit part de ses intentions à son partenaire afin qu’ils synchronisent leur prochaine manoeuvre avec succès:

— Oui. A mon signal, on neutralise le suspect. Il nous faut des réponses… Et c’est notre seule piste tangible.

Tout reposait sur ce moment de vérité. Les bruits de pas se faisaient plus forts et il fut bientôt possible de distinguer des voix étouffées derrière la porte déjà entrouverte. Il y avait au moins deux hommes. Suspendu au plafond grâce au chakra à ses pieds, son dos était complètement collé à la surface de manière à se fondre parfaitement dans l’ombre du décor, sans laisser le moindre membre de son corps dépasser. Il retenait sa respiration de manière à ne pas être détecté et réduisait au maximum sa signature de chakra. A moins qu’ils aient affaire à des experts de la détection, il ne risquait pas d’être débusqué. La porte s’ouvrit en grand, dévoilant derrière elle un soldat portant un uniforme qu’il ne reconnaissait pas, suivi d’un autre soldat habillé à l’identique. Ils étaient armés chacun d’une hallebarde et d’un gambison assez épais et portant des armoiries d’un pays étranger: Yuudai n’avait pas assez de culture générale pour reconnaître de quel pays il s’agissait, peut-être que Ryôta le savait lui? Chacun de leur pas était rythmé par un frottement métallique. Un garde restait posté à l’entrée tandis que l’autre avait la lance pointée en avant, prêt à embrocher le moindre belligérant dans l’appartement. Quelques secondes plus tard, il annonça que la voie était libre et finalement, une troisième silhouette se manifeste derrière le garde posté à l’entrée: un cinquantenaire barbu, habillé de manière respectable, une longue robe au tissu d’excellente qualité, moults bijoux venaient complimenter son cou et ses oreilles. Ses longues manches, sa longue barbe et sa manière de marcher. C’était le genre d’homme politique qu’il voyait traîner dans les hautes sphères de la Brume, mais celui-là, il n’était clairement pas de Kiri.

Se retrouvant dans une impasse et manquant trop d’informations pour décider de passer à l’attaque ou non dans une situation aussi délicate, le genin se contenta d’observer ce qu’ils étaient venus faire ici. Il regarda les soldats examiner la pièce de manière scrupuleuse, sans rien laisser au hasard, alors que leur chef avait l’air d’être plutôt stressé de ne pas trouver ce qu’il cherchait.

— On m’a pourtant dit qu’ils étaient entrés ici. On arrive trop tard. Cherchez le quartier des affaires étrangères, ils sont peut-être déjà là-bas.

“Ils”? Était-il en train de parler de lui et de Ryôta? Comment pouvaient-ils déjà être sur leurs traces? Et pourquoi cet inconnu d’un pays étranger était-il si intéressé de les empêcher de poursuivre l’enquête? Mince… Dans quoi s’étaient-ils fait embarquer encore? Il attendit que l’homme mystérieux et ses deux soldats quittent l’appartement pour descendre de sa cachette et faire le point avec son complice, donner du sens à ce qu’ils venaient de découvrir et établir un plan d’action. Il demanda d’abord au Kaguya s’il avait reconnu le symbole sur la tenue des soldats, ou bien le visage du civil qui ressemblait à un homme politique, un homme de grande stature en tous cas.

Une visite impromptue. Une fois que l’escorte était partie des quartiers personnels de l’employé disparu, les deux genins émergèrent des ombres pour se concerter sur la prochaine marche à suivre. Trop de questions sans réponse, Yuudai espérait que son coéquipier soit mieux informé que lui sur certains éléments qui l’avaient interpellé, notamment le symbole que portaient les soldats sur leur uniforme: une sorte de spirale qui n’était pas sans évoquer pour Ryôta, le pays de Uzu. Ce qui ne manquait pas d’ajouter une nouvelle énigme à leur liste déjà longue, à savoir pour quelle raison ces individus étaient venus pour fouiller les lieux, quel était leur lien avec le propriétaire de l’appartement? De même, qu’est-ce qu’un homme d’un statut aussi important que celui qui était à la charge de ce cortège étranger pouvait-il vouloir en se déplaçant dans une résidence d’un simple roturier? Le jeune genin aux yeux luminescents se grattait la tête, tandis qu’il écoutait le raisonnement de son complice. Il lui accorda un sourire lorsque celui-ci lui déclarait qu’il avait confiance en lui, cette confiance était évidemment partagée, il avait visiblement déjà oublié qu’il y avait à peine quelques minutes, il avait cherché à le tuer sans sommation. Pour le Kaguya, il y avait des chances que cet homme en robe était une pièce importante au milieu de cette toile d’araignée qui ne cessait de s’agrandir…

Ses paroles avaient aussi révélé qu’ils étaient à la recherche de plusieurs individus, il n’était pas impossible qu’il s’agisse des deux genins, car pourquoi seraient-ils venus ici à ce moment précis? Ils devaient donc redoubler de vigilance et surveiller leurs déplacements à Kiri sous peine de se retrouver assassiné dans la rue. Dans ce cas, qui croire ? Qui était leur ennemi, qui était leur allié? Au moins, ils savaient qu’ils pouvaient compter l’un sur l’autre. Il n’avait rien décelé de suspect chez son coéquipier. Heureusement, il eût été difficile de poursuivre la mission en adoptant un état d’esprit paranoïaque. Il lui fallait se concentrer sur les responsables du meurtre du diplomate de Tetsu. Justement, fallait-il voir un lien entre Tetsu et Uzu, mis à part le fait qu’il s’agisse de deux pays indépendants, des puissances dont le seul point commun était de faire partie des Pays Libres, c’est-à-dire les pays qui ne faisaient pas partie du triptyque des grandes puissances qu’étaient Hi, Kaminari et Mizu. S’agissait-il d’une “simple” querelle diplomatique entre le pays des Tourbillons et celui du Fer? Malheureusement, l’adolescent n’était pas suffisamment calé en géopolitique pour se prononcer sur cette possibilité, alors il devrait trouver la réponse ailleurs ou l’obtenir de la propre bouche d’un des acteurs de cette grande mascarade qui prenait une tournure plus dangereuse qu’il ne pensait.

Malgré tout, ils tenaient déjà une piste intéressante, maintenant il s’agissait de la creuser jusqu’au bout. La disparition de l’employé et la venue de ce noble d’Uzu, il leur manquait une pièce du puzzle. Une information cruciale. Son compère lui suggéra de trouver un informateur à Kiri qui pourrait les aider dans cette tâche, mais c’était surestimer le réseau de connaissances de Yuudai. Au sens propre comme figuré, il n’avait pas vraiment le bras long. Ainsi, il fit une moue pensive pendant quelques secondes, faisant quelques pas dans la pièce pour l’aider à réfléchir. Son regard divaguait comme pour tenter de s'agripper au moindre indice qui pourrait provoquer l’étincelle, cet “eurêka” digne des détectives, c’est alors qu’il s’exclama “A-ha!” au milieu de sa concentration intense et proposa au Kaguya de le suivre en dehors de l’appartement. Sur le chemin, il lui avoua qu’il n’avait pas d’amis à part un vieil homme qui traînait dans un quartier mal famé de Kiri, où il se promenait des fois malgré les avertissements de sa mère qui ne voulait pas qu’il fréquente des étrangers, et encore moins des personnes peu recommandables. Cet homme ne lui avait jamais donné de nom, parce qu’il ne s’en souvenait plus, il avait soi-disant perdu la mémoire après un traumatisme crânien… Même si on pouvait deviner à sa musculature qu’il avait un passé de guerrier. Personne ne savait dans quel contexte ni de qui il s’agissait. Il n’avait ni famille ni amis pour confirmer son identité, il se contenter d’enchaîner les petits boulots de manutention pour tirer parti de sa grande force physique. C’était d’ailleurs lui qui lui avait appris des techniques de combat et aussi comment maîtriser son chakra, c’était son mentor en quelque sorte.

— Tu vas voir, il est super sympa!

Lorsqu’ils entrèrent dans le quartier en question, la brume était bien plus épaisse qu’ailleurs, et un silence suspect rappelait aux deux visiteurs qu’ils n’étaient plus dans le centre-ville mais dans un endroit moins fréquenté par la populace. Le genre de lieu qu’on préférait éviter si on ne voulait pas se faire racketter ou poignarder dans une ruelle sombre. Contrastant avec l’atmosphère inquiétante, l’attitude crédule et radieuse de Yuudai qui marchait tout sourire. Comme pour couronner le tout, ils passèrent devant un groupe d’individus à l’allure patibulaire adossés au mur d’un bâtiment qui les fixaient du regard comme pour leur faire comprendre qu’ils n’étaient pas la bienvenue. Mais le genin les ignorait, l’air innocent il continuait sa route de manière insouciante, conduisant son camarade dans les entrailles tortueuses jusqu’à ce qu’ils arrivent en face d’un bâtiment en ruines, un vieil homme barbu était assis sur les marches menant à la porte, habillé en haillons et le regard perçant, une musculature bien taillé du haut de ses deux mètres cinquante (un véritable géant au coeur pur), pas le genre de personne à qui on demandait le chemin ou à qui on cherchait des noises. Pourtant, le petit lutin bleu s’approchait à grands pas et il se mit même à le gronder et à l’appeler “Oyaji” (qui signifiait littéralement “vieil homme”) une manière familière (voire insultante) de s’adresser à quelqu’un d’aussi dangereux.

— Oyaji ! Tu m’as oublié pour mon anniversaire… Son ton était capricieux et taquin à la fois, on aurait dit un enfant qui s’adressait à son grand-père. Leur relation en avait tout l’air en tous cas, et il n’eût pas été surprenant que Ryôta pensa de cette manière.

Difficile de reprocher à l’adolescent son attachement à Oyaji, puisqu’il n’avait jamais connu son père biologique et son père adoptif avait été tué dans son ancien village de pêcheurs, il nourrissait de manière inconsciente, le besoin d’une figure paternelle pour le mettre sur la voie. Le vieil homme frotta le haut du crâne azurin de celui qu’il considérait réciproquement comme un petit-fils, et en même temps son seul ami au milieu de cet environnement impitoyable qu’était Kiri.

— Je te présente Kaguya Ryôta, c’est mon nouvel ami! Il est aussi mon acolyte dans notre enquête. Oui, parce qu’il se considérait comme le détective et il voyait son camarade genin comme son associé. Une manière un peu juvénile de se croire toujours le personnage principal de l’histoire.

— Enquête? Je me disais bien que tu n'étais pas venu me voir juste pour prendre des nouvelles... Il se tourna vers le Kaguya, en le dévisageant des pieds à la tête comme pour essayer d’évaluer sa puissance. Merci d’aider ce petit impertinent, il peut avoir la tête dans les nuages des fois, mais c’est un bon garçon. Tu m’as l’air plus âgé que lui déjà, ou alors c’est juste la taille. Un sujet délicat pour le petit Yuudai qui gonfla les joues, vexé qu’on lui rappelle cette triste réalité. Sur ces entrefaites, le vieil homme cessa de tourner autour du pot. En quoi je peux vous aider, Ryôta?

Des retrouvailles chaleureuses, cependant l’heure n’était pas à l’épanchement des émotions mais à la résolution d’un mystère. Ce qui n’empêchait pas Yuudai de revoir son seul ami, malgré la différence d’âge qui les séparait, il avait pleine confiance en lui et à sa capacité à leur venir en aide dans cette situation. C’était un adulte avec du vécu, il avait vu Kiri traverser plusieurs périodes et c’était suffisant pour les deux jeunes genins. Même s’il quittait très rarement les bas quartiers de la Brume, Oyaji savait tendre l’oreille et certains se tournaient vers lui pour lui demander des services, qu’il s’agisse de basses besognes contre des faveurs, au point qu’il était relativement respecté parmi ses pairs. Mais ce n’était pas pour autant qu’il était une personne-clé du village, ou qu’il avait une réputation suffisamment grande pour attirer l’attention des autorités de la Brume, au contraire, il savait se faire petit et ne jamais chercher à étendre son influence au-delà d’une certaine limite qui l’exposerait trop facilement à des menaces ou des personnes aux mauvaises intentions. Le garçon savait que son mentor était quelqu’un de débrouillard, le genre d’ami sur qui on pouvait compter. Aussi lorsque Ryôta lui exposa leur problème, le vieillard se mit à réfléchir aux informations qui lui étaient données. D’une part, des hommes provenant du pays des Tourbillons, d’autre part un homme à leur tête portant des vêtements “très onéreux”, son expérience et sa connaissance du village suffisaient à tirer ses propres conclusions.

— Hum… il doit s’agir d’un ambassadeur de Uzu, ou un homme d’affaires. En général, ce genre de personnes habitent dans un quartier dédié aux diplomates, pas loin du centre-ville. Je n’y pose jamais les pieds car c’est très surveillé. On ne s’y rend pas sans y être invité, surtout des civils comme moi. Il lève les yeux vers les deux jeunots. Mais des ninjas… Si vous dites que c’est pour votre enquête, il se peut qu’ils vous laissent passer.

— Oui mais ils ont déjà vu nos visages, ils ne vont pas nous laisser enquêter tranquillement!

— C’est vrai, mais il faut savoir se mouiller dans la vie. Je te l’ai pas déjà dit?

Comme d’habitude son maître ne se montrait pas tendre envers son disciple, c’était grâce à lui que Yuudai était arrivé à son niveau, alors il se contenta de croiser les bras avec un air mécontent, avant de tourner les talons, quelque peu agacé de ne pas avoir d’autre option que de devoir se jeter dans la gueule du loup. Quel choix avaient-ils? Sans dire au revoir à son mentor qui avait l’habitude de l’attitude ronchonne de son entêté d’élève, le lutin bleu s’en alla dans la direction d’où ils étaient arrivés. Oyaji quant à lui soupira et sans faire de commentaire, fit un signe d’au revoir à Ryôta alors que Yuudai était déjà loin, tapant le pied dans un caillou et les mains dans les poches. Trop distrait pour attendre son coéquipier, sa silhouette disparut dans la brume épaisse et dans le dédale qu’était le quartier dans lequel ils se trouvaient. Quelques ruelles plus loin, il finit par briser le silence sans comprendre qu'il parlait tout seul.

— Pff… Qu’est-ce qu’on fait maintenant. T’as une idée Ryôta?

Pas de bruit, le silence complet.

— Ryôta?

Le genin se retourna, pour se rendre finalement compte qu’il était parti tout seul devant sans son partenaire de mission. Pour couronner le tout, il s’était complètement perdu, depuis le temps qu’il n’avait plus remis les pieds dans cette partie de la ville, il s’inquiétait de s’être aventuré là où il ne le fallait pas. Tant bien que mal, il força son regard à travers le rideau de brouillard face à lui, plissant les yeux jusqu’à apercevoir quelque chose de brillant clignoter à l’horizon. Soudain, cet objet brillant prit la forme d’un kunaï. Par réflexe, il s’écarta juste à temps pour que la lame du projectile lui érafle la joue. Son rythme cardiaque s’intensifiait, quelqu’un lui avait tendu un piège mais pas moyen de savoir combien ils étaient. Il espérait que son partenaire le rejoigne rapidement…