Parmi les personnes qu'il hissait au summum de son estime, les sabreurs siégeaient en maître. Il n'y avait d'ailleurs probablement que eux, si l'on oubliait la place unique et indétrônable qu'avait l'Ombre en son cœur. Il y dressait presque le tableau d'une famille, si l'on en oubliait leurs rapports mutuels. Dans cette projection, il les voyait tous comme ses égaux – en tout cas comme de rares personnes qu'il n'était pas dérangé d'estimer plus fortes que lui –, comme des pairs dont il ne pouvait se dissocier et qui pouvaient le comprendre. Pour cause, de la même façon qu'il avait été traité, ils avaient été choisis par des Divinités pour en devenir leurs fidèles, et cette simple condition lui suffisait, dans sa vie et dans son histoire, pour y voir des frères.
Sûrement était-ce d'ailleurs une des autres grosses bêtises dont il serait l'acteur.
La thématique du jour était particulière et peu commune. Parmi les affrontements qu'il aurait apprécié éviter, il y avait probablement ceux qui le divisait d'un autre camarade Sabreur, même s'il y voyait une opportunité pour voir ce qu'il valait. Plus que cela, le combat qui l'attendait l'opposait à l'une des figures qui avait l'avantage de réussir avec une facilité déconcertante à le mettre mal à l'aise.
Il ne l'avait vue que de loin, autour de cette table. Cette femme était discrète mais tranchante, belle mais sombre comme si la vie l'avait bien trop battue. Il ne la connaissait que comme ça.
Alors peut-être qu'il avait été aussi naïf de croire que cette rencontre était l'opportunité parfaite pour éclaircir ces zones d'ombres qui les séparait. Car de ce face à face il n'en avait tiré qu'une seule chose : elle venait de l'estimer comme on grondait un enfant, et il n'y avait besoin de rien de plus pour exciter ce vilain orgueil qu'il entretenait bien trop comme un trésor.
«
Un gosse ? »
Il tourna la tête, comme s'il n'en croyait pas ses yeux. De gauche à droite, ses prunelles se perdirent derrière lui comme s'il voulait s'assurer qu'elle ne parlait pas à quelqu'un qui se situait derrière lui. Jusqu'à ce qu'il ne comprenne qu'effectivement... il ne pouvait y avoir que lui.
«
C'est à ça que je te fais penser, depuis le début ? A un gosse ? »
Il montrait bien qu'il avait eu l'opportunité d'y songer depuis le temps, à ces sentiments qu'ils se partageaient. Tout ce qu'il y avait dans un sens ne semblait être qu'un honteux désintérêt, qu'il comptait cette fois régler par autre chose qu'un orgueil démesuré. Cela n'était dû qu'à sa condition de Sabreur.
«
Hoy, Meian-san, tu fais ce que tu veux des ordres de la hiérarchie, ça te regarde, tant que tu sers Kiri. Mais sois certaine que je ferai tout pour grimper les échelons, je dois faire partie de l'élite qui tire la Brume vers les sommets. »
Elle voyait alors ce qui motivait le détenteur de Sōshisha à croiser le fer ; il n'était ni plus ni moins qu'un soldat fiable de la Brume qui était capable de donner sa vie si c'était pour sa bien-aimée. Une personne fidèle et aveugle qui agissait dans broncher, sans jamais requestionner les ordres tant que cela lui permettait d'obtenir un peu de fierté.
«
En garde ! »
Lui sautant d'un grand bond dessus, il lui envoya plusieurs coups d'épées : relativement rapides, ils avaient de quoi provoquer l'aînée. Surtout, il voulait la provoquer suffisamment pour qu'elle aussi n'ait à répondre... après tout, sûrement ne voudrait-elle se laisser blesser gratuitement.