Il avait beau profiter pleinement de son séjour à Homura en tant qu’invité de la délégation de Kumo, il était aussi secrètement en mission pour collecter des informations sur Homura, et pour ce faire il fallait qu’il agisse de la manière la plus discrète possible tout en tâchant d’en apprendre davantage sur le village et ses habitants. Quoi de mieux pour remplir cet objectif que de faire ce qu’il faisait le mieux, à savoir se produire en spectacle devant les gens? Il était un artiste après tout, son nom ne disait encore rien à personne, mais il avait l’opportunité de faire tout l’étalage de son talent devant un public, quoiqu’il n’était peut-être pas avisé de le faire sous son vrai nom. Ainsi, il adopta une identité secrète et l’apparence d’un jeune homme aux origines inconnues, le sorte de minois qu’on oublie facilement et qu’il était facile de confondre avec le reste des personnes insignifiantes errant comme des fantômes dans une société en perpétuel mouvement. Il savait parfaitement quel visage adopter, quelles mimiques reproduire, un personnage façonné de toutes pièces, tel qu’il savait l’inventer dans ses propres œuvres dramaturgiques, à la différence que le but n’était pas tant de divertir que de tromper. Une tromperie qui avait deux facettes: il s’agissait d’abord de se faire passer pour un artiste de rue afin d’éviter qu’on ne remonte sa trace si on soupçonnait qu’il agissait de manière suspicieuse, mais aussi de collecter des sous qu’il utiliserait pour soudoyer des gens à la langue plus malléable et au portefeuille plus léger, qui étaient plus propices à lui prodiguer des informations, qu’il s’agisse de rumeurs ou de faits importants, l’idée était de prendre la température de ce qu’il se passait dans la cité.

Ainsi il mit son plan à exécution après plusieurs jours passés dans le Shogunat, après avoir observé les allées et venues des patrouilles, localisé des rues ni trop bondées, ni trop désertées afin de détecter des proies faciles. Il avait scruté suffisamment les environs au préalable pour s’assurer de ne pas tomber sur des ninjas qui avaient certainement la force voire la perspicacité de voir à travers sa ruse. Certes, il avait quelques scrupules à jouer les charlatans mais il voyait moins cela comme un acte immoral que comme une nouvelle manière pour lui d’exprimer son talent de jeu d’acteur sous une forme inédite, il prenait un malin plaisir à ce nouveau rôle qu’il s’était donné. Son numéro consistait à haranguer les passants dans la rue en leur proposant de participer à un jeu: ils avaient chacun le droit de miser une somme pour frapper le mannequin de bois et ils gagnaient l’équivalent de la somme misée (1:1) s’ils arrivaient à le faire bouger de sa position. Même un seul centimètre. Un défi qui paraissait facile mais qui était en réalité impossible pour les non initiés au chakra. La raison étant qu’il avait invoqué un pantin qui ressemblait trait pour trait à un de ces modèles de mannequin d’entraînement qu’on croisait dans les dojos. Un humanoïde de bois qui avait l’air tout à fait inoffensif et inerte de surface pour l'œil non averti, mais qui en réalité était relié par des fils de chakra aux doigts de Yoichi qui les articulait discrètement derrière la manche ample de son haori afin d’encaisser chaque coup sans broncher, à l’aide d’un mécanisme spécial et parce que le matériau dont étaient faits les pantins n’était pas du bois normal.

Tentative sur tentative, échec sur échec, les sommes s’empilèrent à vue d'œil dans les poches de l’artiste voyou qui avait découvert une nouvelle utilité à son art, même si c’était seulement pour le bien de sa mission. Ce ne fut qu’au troisième jour qu’il aperçut un énième volontaire pour participer à son jeu, un quidam aux épaules larges et aux muscles bien définis qui avait décidé de miser une somme faramineuse de dix mille ryôs afin d’impressionner sa bien aimée, que Yoichi comprit qu’il était tombé sur le gros lot. Un sourire en coin, il accepta la mise et invita sa nouvelle victime du jour à frapper le mannequin de bois et sans surprise, celui-ci ne bougea pas d’un pouce. Après quoi, l’énergumène piqué dans sa virilité et son ego retenta de nouveau sa chance, lâchant dix mille ryôs de plus. Même résultat. Le marionnettiste se sentit presque mal de détrousser cet homme qui ne semblait pas vouloir s’arrêter dans son obstination à prouver qu’il était le plus fort.

— Espèce d’ordure! Tu as truqué le mannequin de bois, je vais te dénoncer aux autorités et tu vas croupir en prison pour le restant de tes jours.  

— Non non je vous assure, regardez. Yoichi donna à son tour un coup de poing dans son pantin, qui s’écroula immédiatement au sol sous la force du coup. C’est une question de précision, pas de force. Tout est dans la rotation des hanches. "Tu parles" pensait Yoichi, il ne s'entraînait jamais au dojo, et ne pratiquait pas le taijutsu.

— Ah ouais? Attends je vais aller chercher quelqu’un on va voir si tu vas faire le malin. L’homme fou de rage scanna la foule des yeux et aperçut au milieu des civils un homme portant un heaume cachant son visage, et à l’allure intimidante. Toi! Viens par ici, si tu regagnes les vingt mille ryôs que j’ai perdu, j’aurais une récompense pour toi!

Yoichi qui ne pouvait pas se défiler sous peine de révéler l’entourloupe, priait pour que ce nouveau challenger ne fût pas un ninja, faute de quoi il allait passer un mauvais quart d'heure.

Spoiler:

La faute à pas de chance. Il fallait qu’à ce moment précis, le gaillard sorte son joker et fasse appel à un ami. Un ami qui avait toute l’apparence d’un soldat faisant sa patrouille dans les rues d’Homura, le sorte de chevalier qu’on décrivait dans les histoires de cape et d’épée. Le visage de l’individu mystérieux était complètement dissimulé derrière son heaume de métal, aussi était-il impossible pour Yoichi d’observer ses émotions ou de tirer quelque conclusion que ce fût. Il se contenta d’inviter le nouveau participant à prendre place devant le mannequin de bois et fit quelques pas en arrière, croisa les bras à l’intérieur des manches en préparant à intercepter le prochain coup. Une goutte de sueur coulait sur sa tempe, alors qu’il regardait l’homme ramener son poing en arrière. Lorsque les phalanges matelassées du soldat heurtèrent le bois de son pantin, celui-ci parvint à absorber la puissance du choc comme de coutume. Un dénouement heureux pour Yoichi qui poussa un soupir de soulagement avant de décroiser ses bras et faire quelques pas vers l’étranger alors que celui-ci s’adressait au mauvais perdant qui se rassurait visiblement de ne pas être le seul à ne pas avoir su venir à bout de son pantin, jusqu’à ce qu’il réalise qu’il avait définitivement perdu sa somme.

Fou de rage, il abandonna la bourse de ryôs au sol en s’avouant vaincu, s’en alla sans demander son reste. Le butin, ce fut le noble chevalier qui le ramassa mais… à la grande déception de Yoichi qui avait commencé un geste pour tendre le bras mais s’arrêta en voyant les doigts de l’homme se serrer autour de la bourse. Car l’homme mystère ne lui remit pas immédiatement son dû, il eut droit à la place à une sorte d’interrogatoire, ou était-ce une prédication? Un simple caprice de sa part ou une curiosité sincère, cela compliquait les choses pour notre charlatan en herbe. Il ne savait lire l’intention exacte derrière les paroles sibyllines de son interlocuteur, si ce n’est qu’il était en train de le jauger d’une certaine manière. Mais ce qui le frappa le plus, c’était lorsqu’il fit mention du “visage caché”: soupçonnait-il que Yoichi dissimulait sa véritable identité, ou était-ce une simple métaphore universelle? Peut-être se faisait-il des idées, mais cela avait suffi à lui donner des sueurs froides. L’inconnu se présenta d’abord comme un genin d’Homura et incita le vagabond à raconter sa propre histoire:

— Oh moi, je ne suis qu’un humble vagabond qui cherche à faire sa fortune en divertissant les gens. Je suis flatté que vous vous intéressiez à une personne de ma condition. En effet, Yoichi avait opté pour une tenue de roturier afin de rester aligné avec son personnage d’artiste de rue. Ma famille vit à la campagne, et j’ai décidé de venir vivre en ville pour être indépendant et plus tard apporter un soutien financier à mes parents. Comme vous pouvez le constater, tout ne s’est pas passé comme prévu. Il tourne son regard vers la gamelle en métal à même le sol, contenant quelques ryôs, ainsi que vers son pantin de bois. C’est mon seul gagne-pain, mais au moins cela ajoute une petite attraction touristique à Homura. C’est toujours mieux que de faire partie du décor, quand les gens font comme si je n’existais pas.

Une certaine partie de son personnage était inspiré de sa propre vie, qu’il s’agisse de sa famille pauvre vivant à la campagne ou son désir de leur apporter un soutien financier avant que le prochain hiver à Tetsu ne leur fût fatal, pour cela il avait bien l’intention de devenir un grand artiste de renommée internationale alors que le travail de mercenaire pour lui passait au second plan.

— Mon nom est Yuki, comme la neige. Il afficha un sourire. C’était évidemment un clin d'œil à ses propres origines de Tetsu. Aurais-je l’honneur de connaître l’homme derrière le masque? Je dois aussi avouer que vous vous exprimez dans un langage qui échappe à mon entendement: la Voie, l’Éternité, et l’équilibre… Qu’entendez-vous derrière ces concepts?

Une goutte de sueur coulait sur la tempe de Yoichi, lequel toujours sous sa fausse apparence commençait à s’inquiéter que l’interaction avec ce ninja ne se prolonge au-delà du raisonnable. Non pas qu’il trouvait l’individu désagréable ou méchant. Son inquiétude relevait davantage du fait que les actions de son interlocuteur n’avait aucunement l’intention de passer son chemin et ses paroles aussi obscures que ambiguës ne faisaient que lui donner l’impression que le voile avait été levée sur son identité, ou du moins qu’il avait compris qu’il n’était pas qu’un simple artiste de rue. Quelles actions, quels mots avaient pu le trahir? Il se repassait le dialogue dans sa tête tandis que le dénommé Weihan poursuivait dans son monologue sur la Voie, l’équilibre et la paix. Rien ne faisait sens mis à part le fait qu’il était visiblement obsédé par ces mots. Intérieurement, Yoichi regrettait déjà d’avoir posé sa question car les explications le perdirent davantage dans les méandres de l’ésotérisme. Pourquoi fallait-il qu’il ouvre son clapet? Note à lui-même: les hommes masqués ne présageaient jamais rien de bon. Aussi tenta-t-il de couper court à la conversation quand pour couronner le tout, le genin s’empara de sa marionnette pour la porter sur son épaule en l’invitant à manger chez lui. De mal en pis.  

— Non vraiment, il ne faut pas…

A ce moment, l’artiste tendit la main en avant comme pour arrêter l’Homurajin mais il était trop tard, le mal était déjà fait. Il aurait été encore plus suspect de refuser l’invitation alors il réfléchissait à des excuses pour esquiver la proposition. Il n’en trouva pas dans l’immédiat et se contenta de suivre l’homme étrange jusqu’à sa demeure. La tête baissée, il maudissait sa mauvaise fortune avant de relever les yeux vers l’énigmatique chevalier en armure qui l’invitait poliment à boire un thé avec lui. Il était aussi intriguant de constater autant de cordialité de la part d’un homme à l’apparence aussi stoïque, Yoichi pensait qu’il ne s’agissait rien d’autre qu’un trompe-l’oeil afin de lui faire baisser sa garde et lui forcer à révéler ses réelles intentions. Il y avait clairement quelque chose de pas très net chez ce ninja, une simple patrouille l’aurait questionné avant de passer son chemin, mais celui-ci s’était montré particulièrement insistant. Pourquoi? Tous les gardes à Homura étaient-ils des fanatiques obsédés par la Voie? Peut-être que s’il parlait le même langage que cet individu, alors il accepterait de le laisser partir.

— Vous pensez qu’il y a un déséquilibre… dans mon équilibre c’est ça? S’il voulait rester crédible auprès de son interlocuteur c’était raté. La Voie si je comprends bien c’est votre Dieu? Je vous assure, je suis en paix avec mon équilibre donc pas besoin de me montrer la Voie. D’ailleurs ma Voie est dans cette direction, je ne peux pas rester trop longtemps, même si j’apprécie beaucoup l’invitation.

En attendant, il se voyait forcé de se soumettre à l’invitation de Weihan d’aller chez lui, en espérant que dans son langage, “une bonne tasse de thé” ne fut pas synonyme de salle de torture ou de somnifère, auquel cas il ne donnait pas cher de sa propre peau.

— Et vous, mon cher Weihan, qu’est-ce qui vous a conduit sur… le chemin de la Voie? Il espérait ne pas avoir dit de bêtise ou d’avoir insulté son interlocuteur par mégarde, il ne manquerait plus que ça.

Plus l’interaction se prolongeait, et plus Yoichi était persuadé qu’il avait affaire à un tueur en série qui l’invitait dans sa demeure pour l’égorger et ajouter sa tête à sa collection. Pire encore, un inquisiteur qui voulait le forcer à rejoindre son culte de fous ou bien de l’offrir en sacrifice à sa divinité? Ce scénario devenait de plus en plus probable à mesure qu’ils s’avançaient vers la demeure somme toute modeste du chevalier qui lui répondait toujours avec ces paroles sibyllines que lui-seul comprenait, tandis que l’invité continuait de hocher de la tête et sourire pour faire semblant d’être d’accord avec tout ce qu’il disait, sous peine de le froisser et provoquer son courroux. Il était d’ailleurs bien trop calme et et amical pour un homme qui arborait une armure aussi intimidante, quelque chose n’était pas net, et il n’avait guère l’intention de découvrir ce qui se cachait derrière cette personnalité intrigante mais qui devait dissimuler un passé troublé. Tous les guerriers ou hommes mystérieux avaient un passé douloureux ou une personnalité violente, celui-ci n’était sûrement pas une exception? Pour une fois que sa nature curieuse était loin de vouloir creuser le sujet d’un homme dont il ignorait tout des intentions, il cherchait le moindre prétexte pour prendre congé de son hôte, quoique celui-ci poursuivait dans sa rhétorique sur la Voie. S’agissait-il d’une religion populaire à Homura? Tous les adeptes de ce culte étaient-ils aussi… biscornus? Pénétrant dans la tanière du loup, Yoichi regardait le décor pour trouver les indices pouvant lui indiquer quelque chose sur le chevalier. Des armures, des armures et… des armures. Ah oui, et une hallebarde. Édifiant. Comme s'il ne savait pas déjà qu’il s’agissait d’un guerrier. Bien que peu rassuré, le maître marionnettiste accepta de s’asseoir à la table (pas comme s’il avait le choix) pour se faire servir le fameux thé. Il ne s’agissait donc pas d’une métaphore énigmatique pour le sacrifier sur l’autel de la foi.

— Vous êtes bien aimable envers quelqu’un que vous ne connaissez pas, Weihan. Je suis flatté que vous m’invitiez à prendre le thé. Avec un peu de chance, il déciderait de l’épargner.  

Il en apprit un petit peu plus sur cette religion — le Culte de l'Éternité, notamment le fait qu’il ne vénérait pas tant une divinité qu’une aspiration à se rapprocher de la plénitude, ce qu’il appelait manifestement le divin. Mais il avait l’impression qu’en creusant davantage ou en posant des questions, il allait se retrouver avec encore plus d’interrogations que de réponses. De toute façon, ce n’était pas comme si le chevalier avait besoin de lui pour soliloquer sur sa croyance, sans doute qu’il était capable de se parler tout seul des journées entières, même si cette pensée avait de quoi susciter la compassion de Yoichi qui avait une certaine sensibilité à l’égard des âmes en marge de la société. A sa manière, bien que son armure lui donnait l’image d’une brute sanguinaire, il y avait un fond, un être doté d’une certaine émotivité. Et s’il s’était abandonné à ce culte, c’était peut-être par absence de repère ou parce qu’il cherchait à se faire des amis? Qui était-il pour juger les motivations d’un individu vis-à-vis de sa foi?

— Approcher le divin, c’est donc votre but? Comment faut-il faire, il y a un mode d’emploi? Souvent les religions proposaient un livre recensant les commandements de leur divinité, il devait en être de même pour eux, non? Et le Culte de l'Éternité, combien avez-vous de confrères? Comment fonctionne-t-il? Existe-t-il un précepteur ou un chef?

Peut-être qu’avec cette rafale de questions, son interlocuteur allait être tellement désorienté et distrait qu’il allait oublier de le sacrifier. Retrouvant son calme, il porta ses doigts autour de l’anse de sa tasse avant de la rapprocher de ses lèvres avec prudence. Une pensée éphémère mais qui augurait avec ironie la proposition suivante de l’armure vivante qui lui suggérait de passer au sacrifice. Au moment d’entendre le mot “sacrifice”, il manqua de s’étouffer à cause du liquide brûlant et dût se frapper la poitrine à plusieurs reprises. Il avait anticipé cette conclusion, ce fanatique voulait l’utiliser comme offrande pour sa religion!

— Je… euh… Sacrifice, vous êtes sûr? Une prière ça ne suffit pas à rétablir l’équilibre chez vous? Je ne sais pas si je veux aller aussi loin pour en savoir plus sur vous et la Voie, ça me paraît un petit peu excessif. Être spectateur, ça me va très bien finalement!

Du regard, il tentait de localiser la position de son pantin, en priant pour qu’il ne l’ait pas caché dans son sous-sol (s’il en existe un) ou un endroit difficile d’accès.

Le rire sombre et maléfique de son interlocuteur ne lui plaisait guère, il pouvait voir au travers des meurtrières de son heaume de métal une lueur sanguine dans l’ombre qui le fixait en permanence. L’homme était empli d’une aura meurtrière et sadique, et ses paroles pleines d’une ferveur luciférienne prenaient une ampleur d’autant plus inquiétante qu’il suggérait à son interlocuteur de procéder au sacrifice. Le noyant d’un flot de paroles inexhaustibles, le précepteur du culte continuait à prêcher la volonté de la Voie, la nécessité de rétablir l’équilibre et la paix. Yoichi faisait mine de comprendre toute cette phraséologie ésotérique, opinant de la tête et souriant bêtement, jouant sur le faux semblant pour donner l’impression qu’il considérait la conversion à ce culte de fous, alors qu’il ne pensait qu’à une chose, prendre les jambes à son cou. Louvoyant son regard entre le pantin et l’homme de métal, il tentait de rester discret et de ne pas quitter des yeux celui qui le tenait en otage dans sa demeure, à l’occasion d’une pause thé. Car ce n’était pas juste n’importe quelle pause thé, c’était pour lui une véritable épreuve de survie qui consistait à réagir de manière adéquate à une situation dont il n’avait pas le contrôle, autant d’énigmes qu’il lui était impossible de déchiffrer. Alors il n’avait d’autre choix que de se plier aux circonstances, tâchant de ne pas faire le moindre faux pas qui pouvait provoquer l’ire de son hôte qui ne s’arrêtait pas dans son sempiternel monologue prosélytique, c’était à peine s’il semblait remarquer sa présence.

— Ah… oui oui, la Voie est… Zzzz…

Il dodelinait de la tête pour s’empêcher de s’assoupir, tenant le menton avec ses mains il plissait les yeux comme pour donner l’air de se concentrer. C’était comme s’il avait oublié qu’il était en danger tant son corps avait sommeil et s’engourdissait. Ses paupières s'appesantissaient et il fut tenté à de multiples reprises de relâcher un bâillement indélicat, mais heureusement, il parvint à réprimer les appels incessants de Morphée. Car qui sait comment Weihan aurait réagi s’il comprenait qu’il ne désirait pas vraiment rejoindre les rangs de son culte fanatique? Le hacherait-il menu pour le servir en pâture à ses acolytes cannibales? Ou bien ferait-il de lui un exemple en le crucifiant sur la place publique en le brandissant comme un hérétique? Tout était à envisager, aussi en voyant ses scénarios défiler dans son esprit, il se ravisa de faire l’affront de contredire son interlocuteur qui était lancé de plus belle dans ces loghorrées dont lui seul avait le secret. Quoiqu’il fut candidement intrigué par l’étude de cette religion dont il entendait parler pour la première fois, il y voyait en cela l’occasion d’en savoir plus sur ce qui était peut-être les prémisses d’une religion qui était déjà populaire auprès de la population et qui allait se répandre telle une traînée de poudre dans le reste du Yuusei, qui sait? Mais pour que ce fut le cas, il était important de revoir le registre du discours pour les franges les moins éduquées de la gente roturière, à moins que leur foi ne s’adressât qu’à des personnes plus aisées?

— Hein? Quoi? Mais qu’est-ce que vous faites?

Il sortit de sa léthargie quand il vit le casqué se munir de sa hallebarde après avoir plaqué son pantin contre le sol comme pour l’exécuter. Le voyant lever l’arme comme une guillotine, Yoichi pondéra ses options à vitesse lumière, comprenant qu’il avait le choix entre intervenir et risquer de briser sa couverture, ou bien laisser faire le bourreau et… qu’il découvre dans l’amas de bois qu’il était rempli de toutes sortes de mécanismes qui nécessitaient de sa part une explication. Car il ne s’agissait pas d’un simple mannequin de bois mais d’un pantin, c’était dès lors le risque qu’on comprenne qu’il n’était pas qu’un simple charlatan, mais un ninja. Face à ce dilemme, il s’exclama en tendant sa main en avant afin d’arrêter le geste de son interlocuteur, ce geste n’était pas anodin car en pointant ses doigts dans la direction du pantin, il réussit à y connecter ses fils de chakra qui n’étaient pas visibles à l’oeil nu. S’il venait à frapper ce pauvre Mokujin, il était prêt à activer son mécanisme de défense:

— Attendez mon bon Weihan, je comprends où vous voulez en venir. Vous êtes en train de tester ma foi, voir si je suis prêt à affronter notre nemesis, la source de tout chaos. Décidément, l’improvisation n’était pas son fort, il espérait ne pas regretter les mots qui allaient suivre. Vous m’avez convaincu, j’accepte de rejoindre le Culte de l'Éternité. Mais pour cela, j’ai besoin de garder mon acolyte de bois afin de traverser le Yuusei et rallier d’autres alliés à notre grande cause.

Il termina sur un rire métallique.

Spoiler:

La messe était dite, et Yoichi attendait de voir la réaction de l’interlocuteur. Sur un malentendu, il espérait l’avoir suffisamment choqué pour qu’il décide de ne pas savoir comment réagir. A moins qu’il ne s'agisse de rien d’autre qu’un coup de bluff dès le départ, une tentative pour tester la réaction de l’imposteur, l’obliger à révéler sa main. Une manœuvre habile et qui finit par payer, prenant le comédien à son propre jeu. Haltant sa main, l’homme en armure décida de ne pas passer à l’acte et d’épargner le pantin. Son regard perçait l’âme des vivants et même la matière inerte, au vu des déductions qu’il parvint à faire à partir du simple poids de l’objet. Il avait croisé d’autres marionnettistes dans sa vie, aussi n’était-il pas dupe sur le fait que Yoichi appartenait à cette même classe de ninjas. Le souffle coupé, il était impressionné par la capacité de raisonnement du chevalier qui avait semble-t-il compris qu’il n’était pas celui qu’il prétendait être, cette identité sous le nom de Yuki, l’histoire larmoyante du sans-le-sou vivant à Kumo et tentant de percer un jour, autant dire que cela n’avait guère convaincu le genin qui le laissait sous-entendre à travers ses palabres. Il acquiesça de la tête, faisant tomber momentanément le masque de Yuki, laissant entrevoir le sourire en coin de Yoichi alors que celui-ci reprenait le pantin sur son épaule pour quitter le domaine.

— C’est moi qui vous remercie Weihan pour votre hospitalité, mais j’ai assez profité de votre générosité et de vos nombreux enseignements sur la Voie. J’espère vous rendre la pareille, le moment venu. Peut-être sous sa réelle identité?

Il s’inclina respectueusement avant de se tourner vers la porte de sortie, un pas après l’autre. Quelque chose lui disait que ce n’était pas la dernière fois qu’il allait entendre parler de cette religion, même si elle semblait pour l’instant assez mineure et obtuse à Homura. Ce qui était paradoxale finalement, c’était que en dépit de la loquacité du personnage, celui-ci n’avait pas révélé grand-chose de sa propre identité, ses origines, son histoire. Il y avait un voile de ténèbres qui le rendait fascinant. Yoichi partait avec le sentiment qu’il ne fallait pas se fier seulement à l’armure et au masque dont il était équipé, car au-delà de l’aspect guerrier, il y avait à l’intérieur de cette carapace de métal, un regard inquisiteur capable d’entrevoir plus loin encore jusqu’à saisir les choses dans leur quintessence. Assoiffé d’absolu et obsédé par l’équilibre, il ne déviait jamais de sa voie et il avait au moins le mérite d’être cohérent dans ses principes moraux. Cette rencontre lui avait appris qu’il existait des hommes en ce monde dont la force de leur piété dépassait l’entendement, même s’il était encore trop tôt pour déduire que ce Culte dont il était le prédicateur avait atteint des niveaux alarmants de dogmatisme au point de convertir des foules entières à son paradigme.

— Que la Voie soit avec vous. Il ne savait pas ce que cela voulait dire, mais cela sonnait bien sur le moment.

Sur ces mots il prit congé de son hôte avant que celui-ci ne change d’avis et décide de le sacrifier au nom de son culte.