Courroucé par le quolibet de la guerrière argentée, le prestidigitateur démontra derechef l’étendue de son pouvoir qui dépassait l’entendement, son oeil aspira littéralement les offensives respectives des deux ninjas avant de se lancer dans une élégie en honneur à la créature qui l’avait servi jusqu’à son dernier souffle et qui n’était désormais plus de ce monde. Pourtant, la tension qui vrombissait dans l’air empêchait au manieur de pantins de se sentir soulagé, car son instinct avait raison de lui indiquer que rien n’était encore joué, que l’homme en haut de forme méditait sa vengeance de la plus cruelle des manières, et qu’ils allaient en être les premières victimes. Il semblait de toute évidence marqué par la perte de sa créature servile, et son attitude lunatique reflétait dramatiquement les contours de sa personnalité psychotique. Sa rhétorique théâtrale était passionnée et riche en envolées lyriques, si bien qu’il aurait fait un parfait acteur dans la troupe du saltimbanque s’il n’était pas aussi détraqué ou désireux de mettre fin à la vie des forces tetsujines. Car au sein de ce drame qui avait lieu au cœur de ce champ de bataille digne des épopées, il était l’antagoniste et non le héros. Et comme tout antagoniste qui se respectait, sa puissance était à la mesure du défi que les protagonistes devaient relever pour prouver leur valeur aux yeux d’un public captivé par la superbe des acteurs.

La scène qui s’offrit à leurs yeux plongea le champ de bataille dans une aura luciférienne, laissant entrevoir les prémisses de l’outre-monde. Quand la larve se transforma en une porte dimensionnelle, on pouvait lire dans les yeux écarquillées de l’artiste ambulant une expression d’émerveillement mélangée à la terreur… Ce goût de la mort pendu à ses lèvres, il jonglait entre l’exaltation passionnée de cet événement insolite, et la peur qui s’emparait de ses jambes alors qu’il tentait de faire face à l’armée de yokai qui se manifestait comme pour réduire leurs efforts à néant. Un puits sans fond depuis les abysses, leur montrant qu’ils avaient beau les exterminer les uns après les autres, ceux-ci finissaient toujours par proliférer et se répandre comme une épidémie intarissable, une peste mortifère ne laissant derrière eux qu’une rivière sanguinolente de cadavres. Une pensée traversa l’esprit galvanisé du héros malgré lui, pensant au danger qu’il y avait de laisser un tel ennemi marauder dans le Yuusei avec une armée capable de terrasser des nations entières. Il fallait impérativement qu’ils en finissent ici. Il tourna d’abord son attention vers l’énorme Akki qui avait fait son entrée remarquée dans l’arène, suivi du reste de la cohorte démoniaque.

Avant qu’ils aient le temps d’envahir les terres des hommes, il fallait couper le mal à la racine, en déployant des ressources d’une ampleur gargantuesque, tout cela en coordonnant ses efforts avec ceux de ses alliées. Examinant la réaction des hommes à ses côtés, il sentait la vague de peur qui avait corrodé le cœur de l’armée, nombre d’entre eux tremblaient à la perspective de ne devenir que de la chair à canon. Ainsi les hommes se jetèrent des regards emplis tantôt d’inquiétude, tantôt d’incertitude, se confirmant mutuellement que tout espoir était bel et bien perdu. Pourtant au milieu de l’attroupement en proie à la panique, la figure impavible de l’homme à la longue chevelure flamboyante se mit à sillonner au milieu de la marée humain qui le regardait avec hébétement alors qu’on pouvait lire dans ses yeux les flammes du feu sacré. Sa voix fit écho dans les rangs, déchirant le voile qui avait enveloppé leur cœur transi par la peur, transcendant les nuages les séparant du firmament.

— SOLDATS DE TETSU !! Il pointa du doigt la silhouette de l’homme au chapeau. Tout le monde porta le regard depuis Yoichi jusqu’à celui qu’il désigna comme cible. CET HOMME EST NOTRE ENNEMI, IL EST UN DANGER POUR NOTRE PAYS ET POUR LE MONDE ENTIER !

Ils étaient face à une menace bien plus grande qu’ils ne l’imaginaient, un danger qui avait manifesté des pouvoirs dont le potentiel était encore abstrait pour eux simples mortels.

— Pensez à votre famille, pensez à votre devoir envers la patrie! Cette bataille va décider de la suite de la guerre, et de votre place dans l'histoire.

Les enjeux étaient plus importants que jamais, et ils ne pouvaient pas se permettre d’échouer ici. Il marqua une pause, levant son éventail vers le ciel avant de le redescendre droit devant lui. Une immense rafale de vent fendit l’air, formant un large corridor qui menait droit sur l’ennemi. Un phénomène miraculeux qui galvanisait d’autant plus les soldats dont le coeur palpitait à l’imminence du cri de guerre.

— SOLDATS, EN AVANT!!

Le cor sonna. La terre se mit à trembler, et le ciel à gronder au rythme de la course furieuse et sauvage des guerriers du Fer. Près d’une cinquantaine d’hommes composant l’unité de fantassins de Yoichi (tandis que la cinquantaine d’archers restaient en retrait), ceux qui faisaient partie de la Compagnie de la Griffe étaient des soldats d’élite, habillées de fourrure souple et d’une robustesse à même de contrer les vigueurs du froid et les sévices des armes hostiles.

— ARCHERS, FEU!  Les voix de Yoichi et du commandant retentirent à l’unisson.

A ce même moment, les archers de la Griffe et ceux du Commandant se mirent à relâcher une grande vague de flèches enflammées sur les forces rassemblées des Yokai afin de les affaiblir, alors qu’elles avaient à peine mis les pieds dans le domaine des vivants. Il fallait se montrer impitoyable envers ces séides des ténèbres et les renvoyer définitivement d’où ils venaient. Au milieu de cette contre-offensive, le Stratège attrapa un rouleau à sa ceinture qu’il déploya devant lui en initiant quelques mudrâs, libérant alors deux pantins qui se lancèrent rapidement sur les jambes de l’homme en haut de forme afin de le clouer sur place et le rendre d’autant plus susceptible d’être impacté par l’attaque suivante. En effet, ce fut au tour du Commandant d’exécuter une technique tellurique dont il avait le secret, et qui permit aussi de deviner le stratagème qu’il souhaitait mettre en place avec Yoichi. Il fit apparaître une multitude de bandelettes de terre qui recouvrirent le corps en entier de l’invocateur de Yôkai, jusqu’à lui couvrir complètement la tête au point qu’il ressemblait à une momie et dans l’espoir de l’empêcher temporairement d’utiliser son pouvoir inné et laissant tout le loisir aux soldats de Tetsu, Izanami et aux pantins de l’attaquer au corps-à-corps.

Un grondement titanesque réveille l’ensemble du champ de bataille, il s’agissait du dragon mécanique de Yoichi dont les pupilles avaient subitement viré au rouge, imprégné d’une masse de chakra sans précédent. Propulsé par les courants d’air précédents, l’ensemble du corps du pantin était désormais en surchauffe et s’élançait avec ses ailes en pleine extension en direction de la lignée de Yokai afin de les décimer jusqu’au dernier traçant des longs sillons à travers le ciel, utilisant tantôt ses griffes pour lacérer et évider les entrailles de ses victimes, tantôt ses crocs pour dévorer la tête des plus malheureux. Le massacre pouvait dès lors commencer.

Spoiler:

Un fol optimisme s’était emparé de son cœur, le vain espoir de conquérir le domaine des dieux, de réussir l’impossible, de pourfendre les cieux grâce à la flamme qui l’animait à ce moment-là et qui irradiait le reste des forces en présences, exaltés par la sapience du Stratège et par la fureur de l’Argentée. L’écho de leurs voix, l’entrechoquement des résolutions donnèrent lieu à un assaut d’une charge cavalière puisant toutes leurs ressources dans cet ultime stratagème qui déterminerait une fois pour toutes le dénouement du combat. Le tonnerre de la marche pleine de panache des soldats du froid résonnait dans le ciel, comme autant de tambours annonçant le glas des rangs de la cohorte infernale. Yoichi avait mémorisé l’attaque précédente de leur adversaire et se doutait que celui-ci allait l’utiliser de nouveau, d’où le fait qu’il avait choisi (sans l’admettre ouvertement à ses troupes) de les envoyer au devant du danger, afin d’offrir une opportunité inespérée à la spadassine d’exploiter une faille et de porter un coup fatal à leur némésis. Il était sa pièce maîtresse, et celle-ci était pourtant trop précieuse pour être sacrifiée. Pourtant, ce fut tout le contraire qui se produisit sous ses yeux. Tout d’abord, ses pantins ainsi que les bandelettes de terre censées immobiliser leur cible se firent neutraliser grâce à l’arcane secrète du Magicien, pourtant, on pouvait très bien voir que les pantins étaient intacts bien que leurs liens de chakra avaient été supprimés, ce qui conduisit le marionnettiste à comprendre exactement les effets de ce pouvoir qui paraissait si obscur et inexorablement surpuissant. Grâce à sa capacité à raisonner rapidement en situation critique, il put en venir à cette conclusion qui aurait pu marquer un tournant dans la bataille. Mais il était trop tard.

Le gigantesque yokai parvint à poser ses griffes sur la samouraï, lui laissant de profondes lacérations qui peinèrent à contenir son ardeur, comme si l’adrénaline lui permettait de soutenir l’amplitude d’une douleur qui aurait laissé la plupart des hommes rendre leur dernier soupir. Or, la mort dût attendre encore que celle-ci eût signé son moment de gloire avant de lui ôter la vie, car elle se projeta en avant, s’élançant avec cette fulgurance des derniers instants, parvenant à saisir une brèche dans la protection jusque-là infaillible de leur adversaire capable de tordre la réalité autour de lui. Une attaque, une seule. Celle-ci suffisait à rappeler le demi-dieu à sa condition de mortel quand il réalisa le sang qui s’écoulait de sa plaie qui brûlait sa peau jusque-là immaculée. Son surplus de confiance lui avait fait baisser sa garde face aux ninjas, mais plutôt que de l’intimider, cela eut pour conséquence d’amplifier sa colère, au point qu’il commanda à sa créature larvesque de le sauver et de noyer le terrain d’une nouvelle vague de yokai.

Une goutte de sueur perlait sur le front émacié par la fatigue du maraudeur, constatant les prémisses du pandémonium qui s’abattait sur le champ de bataille mêlé du sang de la soldatesque et de la bile des yokai. L’avant-goût de l’enfer s’était libéré sous ses yeux flétris par la torpeur de l’impuissance, la cruelle réalité l’avait alors agrippé à la gorge et sans lâcher prise, l’espace de plusieurs secondes lui parurent une agonisante éternité. Si bien que, fléchissant ses membres inférieurs drainés de leur énergie, il tremblait de tout son corps, happé dans une spirale d’événements dont le contrôle lui échappait. Il était témoin du carnage, la peur qui se lisait sur les visages, jeunes pour la plupart, des Tetsujins fuyant les Akki qui décimaient leurs rangs sans qu’ils puissent leur infliger la moindre égratignure.

Où avait-il échoué? Pourquoi le rapport de force était-il si inégal? Son corps se pétrifia quand il vit la tête de l’Argentée se faire séparer de son corps. Le choc transperça son regard statique, où l’on pouvait voir le reflet de la silhouette décapitée de sa coéquipière. Ce ne fut que lorsque le bruit de la tête heurta le sol et finit par rouler à ses pieds qu’il réalisa ce à quoi il venait d’assister. Il ne s’agissait plus d’une bataille, mais d’un massacre en règle qui n’allait bientôt laisser aucun survivant. Encore sous le choc, il déposa ses yeux vitreux sur la tête inanimée de la guerrière, s’abaissa pour la récupérer en délicatesse, comme s’il protégeait un objet précieux. En son for intérieur, le regret le rongeait d’avoir conduit l’Homurajine hors des frontières de son pays, pour mourir loin des siens, mais pour peu qu’il la connaissait, il savait que celle-ci savourait de mourir avec autant de panache, à la manière des gestes épiques des grands héros de légende.  Il esquissa un léger sourire à cette pensée, avant de fermer pour toujours les paupières de l’Argentée. Il appela un groupe d’hommes restés en retrait pour leur confier le cadavre de la guerrière. Il les aida à la transporter et pendant ce laps de temps, son index chargé de chakra grava discrètement quelques caractères sous la manche de la femme avant de l’enrouler.

Dojutsu. Supprime. Chakra. Kenseitō.

Un message contenu sur le tissu du vêtement de l’Argentée, il nourrissait que celle-ci retrouve sa patrie et que ceux-ci fussent alertés. Il confia le reste aux soldats en leur indiquant de battre en retraite avec le Commandant, qu’il s’occuperait du reste et qu’ils devaient lui faire confiance, même s’il n’avait aucune certitude que son plan allait fonctionner. Tournant le regard vers le Magicien agonisant de la dernière blessure qui lui fut infligé, il marcha dans sa direction, d’un pas décidé, sa silhouette impassible face aux terribles Akki qui regardaient déjà dans sa direction et menaçaient de le réduire en charpie. Pour autant, il n’avait aucune intention de fuir, pas cette fois. Il cria haut et fort, faisant retentir sa voix jusqu’à l’intéressé.

— Tu as gagné cette bataille. Tu as montré ta supériorité. Nous avons eu tort de croire que nous étions capables de rivaliser avec ta puissance, Izanami en a payé le prix de son hubris en te provoquant et je ne souhaite pas partager son funeste destin. Il se dégoûtait de parler ainsi de sa défunte partenaire. Il se maudissait d'être aussi faible. Il plia un genou au sol, la tête abaissée et tenant fermement un objet dans sa main collée contre son épaulé dans sa position de salut. Décidant de sacrifier sa fierté pour donner une chance aux derniers survivants de venger Izanami, sa priorité immédiate était de cesser les hostilités, quel que fût le prix. Je ne suis qu’un mercenaire au sein de cette armée, je l’ai même déserté par le passé, je ne voue aucune allégeance envers les autorités de Tetsu qui n’ont à coeur que leurs velléités politiques et non les besoins du peuple qui souffre de la famine et du froid. Ainsi, si tu m’offres cette chance, je souhaiterais rejoindre tes rangs, éliminer les chefs qui président encore au gouvernement du Fer — le Conseil des Kan’Rei, et ainsi purger le pays de la corruption de ses dirigeants. Quel que soit le camp qui gagne, je désire mettre un terme à cette guerre qui n’a que trop duré.

Il serait considéré comme un renégat, un traître pour l’éternité. Mais il préférait cela à manquer de respect au sacrifice de son alliée, il acceptait ce rôle d’antagoniste dans cette immense tragédie, laissant les véritables héros prendre le relais et accomplir l’exploit qu’il n’avait pu réaliser. Ce qui leur manquait à présent, c’était des informations sur cet ennemi, sur cette menace qui progressait vers les frontières de Tetsu. En le rejoignant, il comptait protéger indirectement les habitants (en particulier les civils) de cette invasion qui risquait de tout engloutir sur son passage.

— Celle que tu as tuée est originaire d'Homura. J’ai pu y voyager naguère, leurs forces sont composées d’incroyables ninjas. Il pensait à tous ceux qu’il avait rencontré lors de son séjour là-bas: un guerrier tout feu tout flamme, un guérisseur à l’âme charitable, un chevalier plein de zèle, et… un nain plutôt loquace. Tu te trompes si tu crois les vaincre tout seul. Tu as besoin d’informations, et d’alliés pour t’épauler. Si deux ninjas ont réussi à te blesser, imagine la menace que tout un village pourrait représenter? Pire encore, si les villages venaient à s'allier?  Il espérait semer une graine de doute, le provoquer à la faute. Je te serais beaucoup plus utile vivant que mort, en revanche, ces soldats seront toujours loyaux envers Tetsu. J’aimerais que tu les laisses partir, si tu les tues, tu peux très bien me tuer aussi ici et maintenant.

Il inspira une dernière fois, avant de formuler les paroles qui scelleraient probablement son destin.

— Si tu acceptes ma requête… Moi, Minamoto Yoichi, je jure solennellement de te servir jusqu’à la mort.

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