Quelle que soit l’origine d’un homme, il existe toujours une façon de se réincarner, de se renouveler et de s’acclimater là où les vents le déposent, tel le pollen propageant dans d’étrangères prairies un nouveau genre de fleur, tel l’eau trouvant un chemin tortueux à travers une nouvelle fissure pour inonder d’inconnus espaces. Indubitable est l’évidence que l’on vient tous de quelque part et que notre route, fatalement, nous mène ailleurs. C’est ainsi que les choses sont faites, que l’on parle des exodes humains ou des colonies d’insectes, du troupeau de fauves jusqu’aux rhizomes des forêts de bambou, des vents glacés qui déferlent des pôles aux tempêtes désertiques qui grondent au centre du monde, tout le vivant, toute la matière se propage là où le chemin s’ouvre au dehors des ténèbres, où luit une éclaircie, où les espaces vides se peuplent. Ô comme les choses sont bien faites. Le jour se couche et se lève, la nuit s’étale et se rétracte, et le ciel et la mer se disputent le splendide dans ce poème un peu biscornu et cyclique que nous joue cette planète.
Le jeu des contraires s’équilibre sur la balance, le jour cède à la nuit et la nuit rend la pareille au jour, la mort prend sa dime sur la vie puis réinjecte sa prise dans le vivant, l’amour s’efface devant la guerre et puis de la guerre, l’amour revient encore plus étincelant. Il n’y a d’ombre que là où on trouve de la lumière, et s’il n’y avait d’ombre, il n’y aurait pas de lumière par définition.

Mais ce n’est pas de ça que l’on parle aujourd’hui. Aujourd’hui, je me suis levé avec une singulière envie de mettre mes pieds quelque part, et ce quelque part, j’aimerais bien que ce soit dans la gueule de quelqu’un ; nonobstant une inconditionnelle affection pour les petits plaisirs de la vie, je crois qu’il n’y a rien que j’aime plus que de péter la gueule d’un ennemi. De le voir chialer comme une merde pendant que ses dents font des arabesques au-dessus de sa tête, de sentir le liquide poisseux et chaud de son sang sur mes phalanges, de savoir que je l’écrase et qu’il se soumet, qu’il se livre à mon jugement et que je possède le pouvoir de vie ou de mort sur lui, de capturer ce nectar divin et précieux qui me propulse au rang de suzerain suprême de son âme, de me baigner dans ce pouvoir opulent et dérangeant tandis qu’il continue d’inonder le sol de ses larmes et de ses viscères. Rien que de l’imaginer me met en émoi, à tel point qu’il peut se produire quelque chose de physique sous ma ceinture, et si vous êtes capable de comprendre de quoi je parle vous ne pouvez nier que l’on pense à la même chose et c’est précisément ce qui est extraordinaire dans notre relation, ne serait-ce que dans cette compréhension mutuelle de ces idées mal placées qui vivent malgré nous à l’intérieur de nous.

Je suis quelqu’un de profondément perfide, je suis plus mauvais que deux hyènes autour d’une charogne, et c’est peut-être ce trait de caractère qui me rend digne d’intérêt. D’ordinaires les gens ont une face sombre qu’ils cachent derrière une apparente bonté ; pour moi, le schéma est inverse. Ma face lumineuse dort sous un manteau de ténèbres que j’affiche au grand jour, à tel point que j’ai peu d’amis, beaucoup de problèmes, et de rares moments de trêve.

C’est du moins la façon dont je me définissais avant qu’on me propulse dans une étrange tourmente avec un quasi génocide sur le peuple Aburame que j’ai endigué en donnant les armes pour tuer notre persécuteur. J’ai joué au héros, ce qui ne me ressemble pas, et ce n’est même pas mon ennemi direct qui a failli me plonger dans la tombe ; car à la fin, nous l’avons éliminé avec une facilité déconcertante. D’un simple coup couteau, administré par une femme qui n’a pas la moitié de mon talent pugilistique. Quelle mort ridicule. L’humiliation suprême pour un adversaire soit-disant si terrible.
Le hic, c’est que je n’ai même pas profité d’un statut de grâce. Au contraire. Je me suis attiré un tas d’emmerde et d’ennemis, à commencer par le Raikage et ma cheffe de clan. Depuis, la vie m’a appris que le danger guette dans les ombres avec ses yeux de glace. J’ai été destitué de mes responsabilités, mis aux bans de la société, disgracié, alors même que j’avais glané de précieuses informations au sujet du Démon-Renard, et cela de la bouche d’un homme qui n’était pas censé nous l’apprendre. J’ai fui tous ces problèmes. J’ai réalisé les missions que je devais faire, et je suis parti loin, de l’autre côté des montagnes, pour lutter contre mes propres démons.

Ce qui m’amène donc à expliquer ce que je branle ici. Je suis de retour, et c’est pas pour cueillir les morilles. Une escouade a été levée pour mener un travail d’exploration. Il s’agît d’explorer des ruines découvertes par le DRK, desquelles émane une étrange aura. Nous sommes partis au Nord-Est du pays, quelques toises au-dessus de la ville où siège le Palais du Daimyô. C’est ici son fief ; pour autant qu’il soit chez lui partout dans le Kaminari, il semblerait qu’il soit encore plus immense ici qu’ailleurs.

La route a été avalée par nos bottes avant que nous ne plongions dans un dédale souterrain, labyrinthique et obscur, ce que le narrateur a nommé une canopée rocailleuse. Ca n’existe pas, une canopée rocailleuse, mais l’image d’un long plongeon vers un lugubre abîme est passée. Lors, parvenus au point de séparation qui devait nous amputer de notre guide, nous avons fait une courte halte et une certaine Mizuki a pris la parole pour suggérer son propre rôle consistant à rester en retrait par rapport aux autres. Nakano (Nobu) a aussitôt sauté sur l’occasion pour se signaler en queue de peloton, et j’ai fait les gros yeux. C’est d’ordinaire à moi que revient le rôle de la couardise, et je m’offusquerai presque de voir cet avantage m’être retiré par cet extrême manque de courtoisie mais il convient d’admettre que je suis appelé à contrôler notre itinéraire, du fait de mes tale… de ma malédiction, ce qui dans le fond n’est pas désagréable à vivre et m’ouvre plusieurs pistes de retraite.

Car oui, ce que je sais à l’évidence, c’est que ces ruines sont un piège à con, et que notre escouade est destinée à être sacrifiée juste pour collecter du renseignement. Ne voyant autour de moi aucun shinobi de bonne réputation, et sachant comme l’ennemi peut vite être hors de notre portée, j’estime que nos chances de survie sont assez larges tant qu’il n’y a pas d’antagoniste, et diminueraient drastiquement s’il fallait se battre. Il n’y a qu’à voir le nombre de squelettes qui s’amoncellent ici et la bravoure de mes compatriotes. J’ose croire qu’il y a peut-être un traître, dans ce groupe, ou au moins un ou deux autres gus capables de comprendre que c’est un guet-apens ; mais je me garde d’une trop hâtive déduction. Dans un coin de la tête, je crains toujours que le Raikage et ma cheffe de clan, Aburame Yokoshima, tentent de m’éliminer au cours d’une mission trop « périlleuse » pour quelqu’un de mon rang. Ces ruines semblent l’endroit idéal au demeurant pour faire disparaître ce quelqu’un, dans la mesure où son corps ne ferait que se rajouter à longue liste de guerriers trépassés.
C’est le cœur un peu serré que je me tourne donc vers Mizuki puis « Nakano ».

« Devant ou derrière, vous savez, au vu de l’ambiance qui règne dans ce corridor morbide, si on doit crever, on crèvera tous. Permettez-moi d’éclairer la zone avec le groupe de tête. Je vous offre la chance de mater mon cul. »

Naturellement à ses dires j’écrase mon poing dans ma paume, paré à en découdre, et derechef je fais craquer mes cervicales d’un mouvement de tête. Mon corps est prêt, mes ressources morales sont encore abondantes de volonté, mon désir de combattre est intense. Je renifle puis remue une glaire dans ma bouche que je crache par terre tout de go, brillant d’insolence et de disgrâce, après quoi je m’avance vers les deux portes massives dégondées et pareilles à des vestiges brisés d’une ancienne civilisation. Un sourire éclaire mon visage à la remarque de Nakano que je laisse planer en suspens par courtoisie.
J’ai l’impression de marcher dans un autre monde. J’ignore quel peuple de troglodyte devait vivre ici, mais le doute me taraude. Nous progressons à l’aveugle dans un mystère historique qui tient peut-être du mythe, et s’il faut faire un pas dans la légende, sûr que je serais le premier à y mettre mon empreinte.

« Ce dédale semble chargé d’histoire. Une violente bataille. Un massacre. A la façon dont les portes sont défoncées, on devine qu’elles ont été ouvertes par l’envahisseur, et qu’il s’est engouffré dans cette caverne. »

Je me fléchis sur mes appuis pour ramasser un peu de terre et humer son contenu. Je la rapproche de mes narines et je la délie entre mes doigts noires de suie, tentant d’en capter les fragrances pour qu’elles me parlent de son histoire. Elle est humide et friable mais peu poreuse, les sédiments s’émiettent entre mes doigts et distribuent une odeur âcre, du sulfate, du limon, de l’argile et différents minéraux. J’exécute le même exercice près d’un des squelettes, et à ces odeurs se rajoutent une forme présence de carbone et de ce que j’associe à de la rouille. J’en déduis qu’ils étaient sûrement équipés, mais de quoi ? Les corps se sont décomposés depuis longtemps.

Je me relève puis me rapproche des portes. Ma main plonge vers les portes dénudées de leurs parures, leurs ornements craquelés et le bois rongé par la vermine. Je ramasse justement ces insectes, ces centaines de petits être vivants capables de me dire tant de choses sur la nature de cet endroit.


« Ces portes… je confirme, elles sont vieilles d’au moins deux cents ans. Elles étaient là avant même que naisse l’Empire d’Aikuchi. Elles datent de l’ère Rinten, aux prémisses du chakra, avant l’édification des Empires. Peut-être… peut¬-être que cette caverne raconte comment l’Empire d’Aikuchi est né. En tout cas, c’est un grand saut vers l’inconnu. Si je puis me permettre, je suggère que nous fassions tout ce qui est notre pouvoir pour ne pas détériorer ces vestiges plus qu’ils ne le sont déjà. Vous savez… »

Je me retourne, puis je scrute à nouveau les innombrables cadavres qui s’étalent aux portes de la caverne.

« … nous foulons peut-être la terre des dieux. »

Enfin, j’écarte les bras. De la ruche que je porte dans mon dos se déploie une grande escadrille de petites créatures bourdonnantes : elles envahissent l’espace autour de moi et tournoient en harmonie. D’un geste maîtrisé, je tend ma main en direction de la caverne, les doigts grands ouverts, les yeux toujours tournés vers mes camarades mais avec ceci de particulier que mes paupières sont closes à présent : j’essaie de voir ce que mes filles visitent.

Résumé: