Il y avait deux jours que tu t'étais évanoui sur ton arme, dans la décharge de ce village perdu dans les plaines d'Oto. Deux jours durant lesquels ton esprit inconscient n'avait rien su de ce qui s'était produit durant son absence. Aussi, lorsque tu rouvris les yeux ce matin-là, pus-tu ressentir une certaine confusion. D'autant que le lieu où tu te trouvais ne t'était en rien familier.
Tu te réveillas sous un toit de toile, tendu comme l'est celui d'une tente : sauf que cette tente-là était tout en rond. En un mot, une yourte. Un poteau central maintenait l'équilibre du tissu. Il y faisait merveilleusement chaud. Un brasero diffusait, non loin de ta couche, de douces effluves qui réchauffaient les couvertures épaisses dont tu étais couvert. Les lieux avaient tout d'un foyer accueillant. Il n'y manquait plus que de quoi te rassasier - car déjà tu pouvais sentir la faim tirailler ton estomac et la soif déchirer ta gorge - et aussi… Tu eus beau balayer la pièce du regard, tu ne vis pas trace de tes sabres. Un Fujiwara de ta trempe peut-il ressentir une plus grande angoisse que celle d'être séparé de ses plus fidèles alliés ? À la sérénité commençait déjà à se mêler l'inquiétude.
Elle fut de courte durée, cependant, car déjà une silhouette se faufilait à l'intérieur de la tente, chargée d'un plateau de nourriture et de boisson. Mais pas de sabres en vue. C'était Nosuri.
"Bien, tu es réveillé. Nos guérisseurs pensaient bien que tu ne tarderais pas à ouvrir les yeux. Mange et bois. Je vais t'expliquer où tu es."
Il déposa le plateau sur ta couche et traîna vers lui un tabouret sur lequel il prit place. Son visage avait la même sérénité de pierre que lorsqu'il avait décapité Muzan. Le confort d'un foyer semblait avoir aussi peu d'effet sur lui que la mort d'un commandant ennemi.
"Tu as dormi pendant deux jours. Nous avons pris possession des armes et des vivres que ton clone avait trouvées. Nous en avons distribué une part aux habitants du village, une autre aux gens cachés dans un bosquet, dont tu nous avais indiqué la position. Le reste, nous l'avons gardé pour entretenir nos troupes. Tous sont saufs, à présent. Ceux qui ont perdu leur village ont trouvé refuge dans un autre, aux alentours. Quelques-uns ont rejoint nos rangs. À force d'entraînement, ils feront de bons cavaliers pour la Horde."
Là-dessus, il fit une pause, pour te permettre d'assimiler ces premières informations. Il semblait que tu avais accompli ta mission, en tout cas celle que tu t'étais donnée auprès de ces peuples trahis par la providence. Un peu de paix était rétablie pour des innocents et un coin du monde s'en portait mieux. Un noble acte.
"Tu es dans une yourte des miens. Bienvenue à la Cour."
La Cour ? Un nom pompeux pour une tente, quand on avait connu les fastes d'une capitale impériale.
"Comme tu t'en doutes, mes hommes et moi-même représentons la révolte d'un peuple contre un Daimyô corrompu. Nous revendiquons le trône au nom de la reine d'Oto, héritière légitime d'une lignée depuis longtemps oubliée des souverains de ce pays. Tu connais le mal dont est capable le Daimyô actuel : il a déclenché une guerre insensée et il laisse la misère prendre soin de ses gens pour lui. En fait, il a depuis longtemps abandonné les rênes du pouvoir à son généralissime. Un homme cruel, qu'on appelle Daidoji Tettsui. Ce que tu as vu dans ce village montre bien son mode de gouvernement : il laisse ses armées faire régner un semblant d'ordre, qui ne masque que la terreur et l'oppression. Ce schéma se retrouve dans tous les bourgs du pays, de sa frontière du sud à la mer au nord, des confins de Tetsu no Kuni à ceux de Sanchu. Nous estimons qu'il est temps que cela cesse. Et je crois que tu es de notre avis."
Un carillon se fit entendre, au-dehors. Nosumi releva la tête.
"La reine arrive, elle veut te rencontrer. Je lui ai raconté tes actions et elle les a jugées bonnes et vertueuses."
Nosumi se leva au moment où la porte de toile de la yourte se soulevant une seconde fois. Deux silhouettes se présentèrent dans son embrasure.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Ahoudori II, reine d'Oto no Kuni, et l'
Abbé
Ces deux présences étaient imposantes, c'était certain. Une aura à nulle autre pareille se dégageait d'eux. Nosumi se chargea de faire les présentations, avec les mots de sa tradition, en commençant par l'homme au visage découvert :
"Kogetsu Kamui, connais le visage du noble Abbé, père et gardien de notre magie et bienveillant conseiller du trône."
L'Abbé s'inclina légèrement dans ta direction. Son regard était scrutateur. Tu ne pus t'empêcher de remarquer, lorsque Nosumi le présenta, que son ton était emprunt de dureté. Il poursuivit, cependant :
"Kogetsu Kamui, connais le masque de celle-qui-ne-se-découvre-pas, étendard de notre nation et ma mère, la reine Ahoudori II."
Sa mère ? Nosumi avait donc gardé quelque secret sur sa propre identité. C'eût été mensonge, en tout cas, que d'admettre qu'une telle figure n'avait rien d'impressionnant. La foule des manteaux qui la couvrait ne laissait rien deviner de sa silhouette. Ses mains étaient gantées et son visage inaccessible, caché derrière un masque splendide, mais à la signification insaisissable.
La reine parla, d'une voix de reine :
"Le prince mon fils m'a raconté les prodiges que vous avez accomplis pour la sauvegarde de mon peuple. Vous avez essuyé les larmes des miens et pleuré leur sang répandu. Vous avez notre gratitude, pour les siècles des siècles."
Là-dessus, elle s'inclina légèrement, de quelques degrés seulement - car elle restait une reine - mais assez déjà pour emplir ton coeur d'orgueil. Sans un mot, l'Abbé tira de son manteau tes deux sabres et les présenta, sans vraiment te les tendre.
"Nous avons pris la liberté d'examiner vos lames. Elles sont d'une facture parfaite. Et votre maniement, d'après les dires du prince, est sans égal. Croyez bien que nous sommes enclins à compter vos forces parmi les nôtres dans le combat que nous menons. Mais auparavant, il nous faut nous assurer que nous ne tombons pas dans un piège ennemi. Vous comprendrez, sans doute, cette précaution."
L'Abbé agita alors ses mains et forma une suite de mudras. Il émit un sifflement strident, pareil au cri de l'aigle. Tu eus simplement le temps de capter le regard d'excuse que t'adressait Nosuri, avant d'être plongé dans le sortilège. L'espace sembla s'effacer dans un néant peuplé d'étoiles, de galaxies et de comètes. Tu étais toujours sur ta couche, face à l'Abbé, mais il n'y avait plus rien d'autre que vous deux. Du néant émergèrent huit lames, comme des pointes de lances, qui entourèrent ta gorge, leur pointe dirigée sur ta peau, prêtes à frapper, comme des serpents dressés. L'Abbé parla, d'une voix de géant qui résonna dans le cosmos :
"Dis-moi, étranger, quel est ton vrai nom et quelles sont les terres de ta naissance. Si tes mots sont vrais, tu auras la vie sauve. Si tu me mens, ta gorge ne produira jamais plus une parole."
Voilà un réveil bien brutal.
- Spoiler:
Le sortilège dans lequel te plonge l'Abbé est un Genjutsu de rang S. Si tu décides de mentir, tu auras l'illusion que les lames s'enfoncent dans ta gorge et la même douleur que si cela se produisait réellement - autrement dit, tu auras l'impression de mourir.